L. de Gromard (Chance), "Pourquoi se reconvertir serait l'apanage de l'élite ?"
Décideurs. De quel constat est né Chance ?
Ludovic de Gromard. J’ai exercé précédemment comme recruteur, un métier qui m’a conduit à Dubaï et à San Francisco. Mais, ici ou là, la même situation se reproduisait. La plupart des personnes que je recevais en entretien étaient incapables de dire pourquoi elles faisaient ce qu’elles faisaient... Chance vise précisément à lutter contre cet énorme gâchis. Sa création a été accélérée grâce à ma rencontre au Bangladesh avec Muhammad Yunus. J’ai demandé au père du microcrédit s’il accepterait de m’aider à permettre à tout un chacun de trouver un travail aligné avec qui il est véritablement.
Et vous, comment accompagnez-vous les personnes dans leur projet de reconversion ?
Chance repose sur des modules 100% en ligne d’autocoaching et de vidéocoaching qui durent trois mois. Le premier est consacré à de l’introspection ce qui nous permet, dans un second temps, de recommander une quarantaine de pistes personnalisées d’exploration. Durant la troisième phase, les personnes sont épaulées par notre communauté et nos alumni pour valider et entrer dans leur projet de reconversion professionnelle. L’idée est d’intervenir comme une aide à la décision, de faciliter le choix des quatre piliers qui définissent un métier : c’est-à-dire le métier en tant que tel, la finalité, l’environnement de travail et les impératifs de vie, qu’ils soient financiers, géographiques ou familiaux.
"Offrir un service premium n’exclut pas d’œuvrer pour la démocratisation de l’accès à la reconversion".
En parlant d’impératifs de vie, que répondez-vous à ceux qui considèrent la reconversion comme un sujet secondaire, réservée à une minorité aisée et diplômée ?
Pourquoi se reconvertir serait l'apanage d’une élite ? Un jeune de banlieue ne peut-il pas lui-aussi s’interroger sur ce qui l’anime ? Offrir un service premium n’exclut pas d’œuvrer pour la démocratisation de l’accès à la reconversion. Ainsi, notre parcours s’adresse-t-il autant aux cadres trentenaires urbains qu’aux personnes sans emploi qui représentent 40% de nos utilisateurs. Parmi ces derniers, nous comptons 70% de femmes. Un chiffre qui témoigne de leur plus grande humilité quant à la nécessité d’un accompagnement et d’une approche méthodique de la reconversion. Chance espère ainsi faire reculer l’autocensure féminine mais pas seulement. Nos statuts requièrent par exemple que 25% des bénéficiaires de notre offre touchent un salaire inférieur à 1 400 euros nets. Pour toucher un public plus large, nous avons également créé des programmes particuliers que ce soit dans le cadre du PIC ou avec d’autres organisations.
"Le switchskilling passe d’abord par le whichskilling"
Dans quelle mesure la crise que nous traversons change-t-elle la donne ?
D’après l’étude que nous avons réalisé récemment en partenariat avec YouGov, 1/3 des Français désirent changer de voie mais ont peur de se tromper. Parmi eux, on retrouve ceux qui, soit parce qu’ils ne sont pas heureux dans leur travail soit parce qu’ils veulent en terminer avec un "bullshit job", souhaiteraient utiliser leur compte personnel de formation (CPF) pour se faire accompagner. Et puis, il y a tous ceux qui veulent être proactifs car ils savent leur industrie en difficulté. A ces derniers, je conseillerai de ne pas se diriger de manière trop précipitée vers un secteur qui semble se porter mieux. Il me paraît essentiel de prendre le temps de réfléchir au pourquoi qui les fera se réorienter vers telle activité plutôt qu’une autre, de leur proposer autre chose que du simple reskilling ou upskilling. Comme jamais auparavant, le switchskilling passe d’abord par le whichskilling.
Propos recueillis par Marianne Fougère