Pour le PDG de Danone, la pandémie est un "test sur notre capacité collective à vivre et travailler ensemble". Elle valide surtout ses choix, jugés autrefois iconoclastes, et ancre son rôle de figure de proue d’un capitalisme rénové.

Chômage de masse, dépression, chute plongeante du PIB, risque de contamination… La crise du Coronavirus abonde en mauvaises nouvelles annonciatrices, chacune dans leur registre, de lendemains qui déchantent. Elle n’en suscite pas moins de fortes attentes comme l’espoir, peut-être, de voir le monde se transformer et, avec lui, notre modèle socio-économique.

L’heure est aux plans de gestion de crise, mais aussi au monde d’après. Les uns en appellent à plus de sobriété, les autres remettent au goût du jour l’utilité sociale des entreprises. D’autres encore soulignent l’urgence de relocaliser. Autant de réflexions et d’objectifs qu’Emmanuel Faber fait siens depuis déjà quelques années. Car le PDG du groupe Danone n’a pas attendu les invitations à penser le monde de demain pour remplir son "devoir d’utopie" et exercer son "droit au pragmatisme".

Emprunter des chemins de traverse constitue même sa marque de fabrique, quitte à collectionner les oxymores. Diplômé de HEC mais pourfendeur du règne de l’argent. Stakhanoviste du travail mais engagé dans des projets personnels à raison de plusieurs semaines par an. Manager mais dissident. Le "moine-soldat", comme certains se plaisent à le surnommer en interne, se montre ambitieux tout en défendant une approche humaniste de l’entreprise. Il cherche à réconcilier l’économique et le social, ce qui relève du casse-tête chinois quand on dirige une multinationale.

Convictions

"Sans justice sociale, il n’y aura plus d’économie". Telle est la révélation tonitruante qu’il a faite lors d’un discours prononcé en juin 2016 à HEC, bien décidé à contredire l’enseignement reçu par la promotion d’étudiants tout juste diplômés. "On vous a appris qu’il y a une main invisible, mais il n’y en a pas." Et le PDG d’ajouter devant un parterre de jeunes gens médusés : "Il n’y a que vos mains, mes mains, nos mains qui puissent améliorer les choses." Ainsi, puisque seuls les hommes et les femmes peuvent remettre l’économie à leur service, Emmanuel Faber n’a pas ménagé ses efforts pour accomplir, chez Danone, ce qui s’apparente aux douze travaux d’Hercule.

"Sans justice sociale, il n y aura plus d'économie"

En 2017, la multinationale française a dévoilé sa toute première signature de marque "One Planet. One Health" dans l’optique d’insuffler un changement. Parmi les objectifs visés d’ici à 2030, le groupe ambitionne d’être certifié B Corp, ce qui concerne actuellement dix-sept de ses entités, soit plus de 30 % de son chiffre d’affaires mondial. Accusé par certains de green washing, par d’autres de transformer Danone en ONG, Emmanuel Faber prône depuis plusieurs années une alimentation plus saine, plus respectueuse des hommes et de la planète. Il rachète le leader américain des produits laitiers biologiques et à base d’origine d’ingrédients d’origine végétale. Il multiplie les initiatives comme le lancement, au lendemain de la crise des gilets jaunes, du "collectif pour une économie plus inclusive" ou la création de la coalition "One Planet Business for Biodiversity" pour "promouvoir un modèle d’agriculture régénératrice". Il s’enthousiasme pour la loi Pacte, estimant que "toute entreprise a sa raison d’être. C’est ce qui l’anime et la fait vivre". Il chahute l’assemblée générale des actionnaires en installant "une gouvernance participative avec l’ensemble des salariés" grâce au programme "une personne, une voix, une action". Il abandonne sa retraite chapeau…

Garantir la filière

Mais, n’est-ce pas dans les périodes plus troubles que se découvrent les véritables héros ? La crise du Coronavirus a révélé chez Emmanuel Faber son côté sophocléen. Dans Œdipe Roi, la peste constitue le prétexte qui permet au héros d’accomplir son funeste destin. De la même manière mais en moins tragique, l’épidémie de Covid-19 a donné l’opportunité au PDG de Danone de confirmer son image de patron atypique et engagé.

"L'épidémie de Covid-19 a donné l'opportunité au PDG de Danone de confirmer son image de patron atypique et engagé"

Une dizaine de jours seulement après le début du confinement, Emmanuel Faber annonçait ainsi garantir, à travers le monde, le maintien des emplois, des salaires et des contrats de travail dans les trois prochains mois. Il estimait essentiel de "tranquilliser, autant qu’il est possible de le faire, les salariés qui vont assumer la charge de répondre aux besoins de la population". En France, le groupe s’est engagé à compenser le manque à gagner des collaborateurs mis en activité partielle et à verser une prime de 1 000 euros à ceux obligés de travailler sur site.

Prestataires de services, agriculteurs, distributeurs indépendants : le géant des produits laitiers n’œuvre pas seul. À ces 15 000 entreprises, Emmanuel Faber a promis la mise en place "d’un dispositif de soutien de 250 millions d’euros", manière de souligner que le monde d’après ne saurait advenir sans union des forces. Le renouvellement des solidarités passe non seulement par des avances de trésorerie mais surtout par la construction de coalitions innovantes entre toutes les parties prenantes.

Devoir d’utopie

Aussi, plutôt que de chiffrer en priorité le coût de mesures exceptionnelles, Emmanuel Faber se joint au collectif des "10 % pour tout changer" pour précipiter le basculement de la compétition à la collaboration. Son nom figure également parmi les personnalités qui, à l’initiative de Pascal Canfin, ont lancé un appel à mobilisation en faveur d’un plan de relance verte pour ne pas répéter les erreurs commises après la crise financière de 2008. L’avenir dira si la croissance enregistrée par Danone en période de confinement se confirme ou pas. Mais la crise révèle déjà "qu’on ne changera pas le monde si les dirigeants d’aujourd’hui ne remplissent pas ce devoir d’utopie".

Marianne Fougère

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