Limitation des déplacements, école à la maison, télétravail, etc., ne constituent que la partie visible du confinement. Quel impact a-t-il en termes de risques psycho-sociaux ?

« L’homme est un animal politique ». En 2020, la célèbre citation d’Aristote revêt une résonance toute particulière. Si la vie en société constitue le devenir naturel de l’homme, est-ce à dire que le confinement empêche les milliards d’hommes et de femmes coincés actuellement chez eux de s’épanouir et de réaliser leur humanité ? Si l’homme est un animal vivant parmi ses pairs, quels risques psychologiques lui fait encourir une période de distanciation sociale ? 

Confinés mais tous exposés

« L’annonce du confinement », explique Christian Mainguy, directeur des relations stratégiques chez Workplace Options, « produit un effet très anxiogène ». Puis, dans un second temps, « le vécu de l’insécurité de l’emploi prend le dessus », ce qui nourrit l’anxiété… Ce cercle, vicieux s’il en est, explique sans doute les chiffres dévoilés, le 20 avril, par le Baromètre exclusif Opinion Way pour Empreinte Humaine. Ainsi, 44% des salariés français sont en détresse psychologique et un quart d’entre eux présentent un risque de dépression nécessitant un traitement. 

Le baromètre révèle également que nous ne sommes pas égaux face à l’impact psychologique du confinement. Les femmes et les personnes vivant en couple semblent particulièrement exposées puisqu’elles sont respectivement 22% et 20% à faire l’expérience d’une détresse psychologique élevée. Christian Mainguy, quant à lui, met en garde contre les différences de vécu « entre ceux “protégés” par le télétravail et ceux contraints d’aller “au front” », entre ceux exerçant des activités jugées indispensables et les autres. « Elles risquent, à terme, de créer des tensions au niveau du collectif » car la souffrance n’épargne pas ceux qui « restent chez eux ». Le travail, en effet, confère un statut social. Il permet à l’individu de s’insérer dans un réseau de relations humaines, de s’estimer lui-même à proportion de l’estime qu’il reçoit de la part de ses collègues ou de ses supérieurs. Cette confiance en soi s’effrite à mesure que les contacts s’amenuisent ou que la charge de travail se rétrécit chaque jour davantage.

44% des Français sont en détresse psychologique 

Brown-out pour les uns, burn-out pour les autres, et peut-être même bore-out pour ceux qui, comme un quart des actifs, sont concernés par les mesures exceptionnelles d’activité partielle. À l’ennui d’une journée sans mission ni tâche assignée, peut s’ajouter la crainte de lendemains plus difficiles. Nombreux sont, en effet, les salariés à percevoir leur mise en activité partielle comme le signe annonciateur d’un chômage futur. Le stress grimpe d’un cran chez ceux qui, toujours en période d’essai, vivent avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. 

La force du collectif 

Le déconfinement ne représente encore qu’une perspective et non une réalité. Pourtant, arrivera le moment où nous retournerons travailler. Le contexte économique exigera sans doute efforts et investissements, mais « aucune impasse ne saurait être faite » sur la prise en compte des risques psychosociaux. « Il faudra », insiste Christian Mainguy, « parler de ce qui s’est passé, de comment chacun a vécu la crise, de ce qui n’a pas fonctionné. » Or, les organisations apparaissent peu outillées pour faire face à l’après. Un tiers seulement des salariés estiment qu’elles en font suffisamment en matière de sécurité psychologique. 

Acteur de la prévention des risques, le manager ne saurait être renvoyé à sa solitude dans la détection des signaux faibles émis, par écrans interposés, par des collaborateurs en proie au stress ou à l’anxiété. Prendre soin des autres induit, en effet, de n’être pas soi-même en état de détresse psychologique élevée, ce que vivent 20% des managers. Si la Fédération des intervenants des risques psychosociaux (FIRPS) met en garde les télé-managers contre le réflexe du contrôle taylorien du travail, la souplesse à l’égard des collaborateurs ne doit pas pour autant rimer avec laisser-aller. Le télétravail en période de confinement relève bien du hors-piste managérial. Il n’en requiert pas moins l’instauration de nouveaux rituels qui viendront encadrer l’activité de collectifs de travail éclatés.

La gestion des risques psychosociaux implique de mettre à l’équilibre des contraintes et des ressources. Les entreprises auront, dans les semaines à venir, à composer avec une surcharge de travail, des difficultés économiques, des collaborateurs moralement épuisés, etc. Néanmoins, souligne Christian Mainguy, elles pourront « s’appuyer sur le collectif pour se reconstruire » mais aussi tester de nouvelles manières de travailler et, plus largement, innover. 

Marianne Fougère

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