En application de la Directive 2014-50/UE, les droits à retraite à prestations définies ne pourront plus être conditionnés à la présence du bénéficiaire dans les effectifs lors de son départ en retraite. Ils seront acquis au fil du temps. Ce changement de paradigme va révolutionner ces dispositifs, composants importants de la rémunération des cadres dirigeants des grandes entreprises.

Depuis des décennies, le législateur procède par des réformes successives, en améliorant (?), mais aussi en complexifiant les dispositifs d’épargne retraite, empilant les systèmes. En ce domaine, comme dans d’autres, l’ambition du gouvernement est d’une autre nature. Il entend procéder dans le cadre de la loi Pacte à une simplification radicale des dispositifs permettant de constituer une épargne en vue de la cessation d’activité professionnelle.

La « refonte » devra répondre à quatre objectifs :

- mieux financer l’économie en orientant l’épargne retraite vers le financement en fonds propres des entreprises ;

- développer l’épargne retraite en améliorant son attractivité, notamment dans un contexte de mobilités professionnelles accrues, tout en assouplissant les conditions de sortie (capital/rente) ;

- protéger ceux qui épargnent en vue de la retraite ;

- stimuler la concurrence sur le segment de la retraite supplémentaire.

Enfin, la réforme va procéder à la transposition par voie d’ordonnance de la Directive 2014-50/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative aux prescriptions minimales visant à accroître la mobilité des travailleurs entre les États membres en améliorant l’acquisition et la préservation des droits à pension complémentaire.

En clair, il s’agit de la réforme des retraites à prestations définies dont la perspective agite les conseils d’administration. Va-t-on enfin réussir à stabiliser, normaliser et sécuriser les dispositifs en vigueur dans notre pays ? L’enjeu est stratégique.

Vers un encadrement légal des retraites à prestations définies

Actuellement les régimes de retraite à prestations définies supplémentaire « L137-11 du Code de la sécurité ­sociale » sont, au stade de la constitution des droits* :

- exonérés de cotisations de sécurité ­sociale, de CSG et de CRDS ;

- soumis à un prélèvement patronal ­spécial sur les primes d’assurance, ou sur les rentes ;

- non concernés par l’impôt sur le revenu (droits non acquis).

Mais les droits sont accordés sous condition suspensive de présence dans les effectifs de l’entreprise au terme de la carrière du bénéficiaire et le financement ne doit pas être individualisable par salarié. Par conséquent, aucun droit n’est acquis tant que le départ en retraite n’est pas ­intervenu.

Cette règle est incompatible avec la « Directive Mobilité » : la libre circulation des travailleurs est entravée lorsqu’un ­salarié qui veut travailler dans un autre pays de la communauté se voit priver de ses droits à retraite supplémentaire. La principale règle imposée par la Directive est que les périodes d’acquisition ou les délais d’attente ne pourront pas excéder trois ans.

Les États devront adopter des mesures ­visant à garantir les droits à pension « dormants » d’un travailleur « sortant » qui peuvent être conservés dans le régime de retraite transféré (portabilité). Passé ce délai, les droits seront acquis, quelle que soit la suite du contrat de travail du bénéficiaire. Lorsque la relation de travail prendra fin, il faudra calculer et provisionner ses droits qui seront ainsi « cristallisés ».

La réforme va aller au-delà de la Directive et sera l’occasion de créer un véritable cadre juridique des retraites à prestations définies qui, à ce jour, ne sont pas véritablement organisées.

Il semble admis dès à présent par l’ensemble des parties prenantes que l’acquisition des droits serait plafonnée de telle sorte qu’ils ne pourraient pas, exprimés par année, être supérieurs à 3 % de la rémunération de référence dans le cadre des régimes différentiel et à 50 % de ce plafond pour les régimes additifs. Par ailleurs, le montant de la rente viagère ne pourrait dépasser le montant le plus élevé entre 8 fois le plafond annuel de la sécurité sociale et 30 % de la rémunération de référence. Enfin le dispositif devrait être systématiquement géré dans le cadre d’un contrat d’assurance. Moyennant le respect de ces conditions et notamment le fait que les droits seront désormais acquis année par année, ils bénéficieraient d’un système de prélèvements sociaux plus favorable que celui prévu par l’actuel ­article L137-11 du Code de la sécurité sociale.

Le nouveau principe de fonctionnement va remettre en cause tous les règlements de ­retraite qui devront, selon les cas, être fermés, dénoncés ou transformés pour les mettre en conformité avec la nouvelle législation. Cette réforme aura une incidence importante sur le niveau des passifs sociaux et ces régimes vont changer de finalité en tant qu’outil de gestion des ressources humaines.Elle va poser d’importants problèmes techniques, en particulier s’agissant du calcul des règles de plafonnement en cas de régime différentiel (chapeau) et de la période transitoire.

L’inconnu de la fiscalité

Il reste à traiter une question essentielle : la fiscalité.

À ce jour, le financement des retraites à prestations définies échappe à l’assiette de l’impôt sur le revenu, puisque les droits ne sont pas acquis par le bénéficiaire. À l’avenir, les avantages de retraite étant acquis année par année, quelle que soit l’issue du contrat de travail, quelle va être la future fiscalité ?

Il faut évidemment espérer que l’absence de prélèvement au stade du financement sera maintenue. L’argument qui milite en ce sens est l’aléa viager : l’assuré qui ­décède avant le terme perd en principe tous droits au titre du régime, qui donc restera géré dans le cadre d’un fonds ­collectif. Dans le cadre d’un régime de ­retraite à cotisations définies « article 83 », en cas de décès prématuré de l’assuré, le capital est versé au bénéficiaire désigné et les droits sont individualisés. Autrement dit, les régimes de retraite à prestations définies post-réforme resteront « aléatoires » au sens que les droits pourront être définitivement perdus en cas de décès prématuré, alors que les capitaux constitués dans un système « article 83 » seront versés soit à l’assuré, soit à ses ayants-droit.

Est-ce que cette différence justifiera le maintien du régime fiscal très favorable des systèmes de retraite « L137-11 » ? C’est la grande question.

L’enjeu de cette réforme est stratégique, vu l’importance de ce type de régimes dans le panel de rémunérations des cadres ­dirigeants et des mandataires sociaux des grandes entreprises. La réforme doit être équilibrée pour ne pas amoindrir l’attractivité économique du pays. Elle pourrait donner une nouvelle jeunesse à ces dispositifs.

Par Gilles Briens, cofondateur, et Jean-Sébastien Capisano, avocat associé. Fromont Briens

Notes de bas de page

* Les prestations sont, quant à elles, soumises à un prélèvement spécial sur les rentes à la charge du bénéficiaire. 

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