O.Lajous (BPI Group) : « L’entreprise est une aventure humaine faite d’émotions, de passions et de peurs »
Décideurs. Quelles sont les qualités essentielles d’un dirigeant ?
Olivier Lajous. Gouverner c’est servir l’intérêt général et faire travailler ensemble des hommes et des femmes qui peinent parfois à coopérer. C’est encourager, trouver le bon rythme pour adapter des organisations à la réalité de l’environnement dans lequel on se situe. C’est la recherche d’un équilibre entre toutes les parties prenantes. Cette notion d’équilibre, de gestion équilibrée même, est essentielle. Curieusement, elle est souvent mal perçue en France. On a tendance à y voir l’expression d’un manque de caractère ou de conviction. Or, c’est tout le contraire. Il n’y a rien de plus dynamique que la recherche de l’équilibre car elle suppose le mouvement. C’est l’un des enseignements majeurs que j’ai retenu de ma vie de marin. La force du dirigeant est de savoir rester en mouvement et de se remettre en question en permanence. Pour y parvenir, il ne doit jamais rester seul, savoir s’entourer d’une équipe qui lui parlera de façon non complaisante.
Vous parlez de « gouvernance responsable ». Que revêt cette notion ?
L’art de gouverner est un rendez-vous avec nos émotions. Les équipes que nous dirigeons sont sensibles et l’entreprise, avant d’être une organisation commerciale, juridique et technique, est une aventure humaine faite d’émotions, de passions et de peurs. Pour toutes ces raisons, le dirigeant doit agir en assumant et mesurant les conséquences de ses actes, de ses décisions. Il est impossible de dissocier la notion de gouvernance de celle de responsabilité. Et cette responsabilité est exclusive de l’ego. Je suis convaincu que tout comportement égotique ou dominateur conduit à la catastrophe.
« Tout comportement égotique ou dominateur conduit à la catastrophe »
Comment devenir un dirigeant responsable ?
Cela commence dès l’enfance. Pour ma part, je me souviens que mes parents me répétaient souvent : « Sois toi-même, mais intègre-toi. Tu dois pouvoir parler à la bonne comme au pape avec la même sincérité. » Malheureusement, ce n’est généralement pas comme cela que l’on apprend aux personnes à diriger. On véhicule l’idée qu’il faut être le premier, pas les vertus du travail en équipe. Dans les écoles de commerce, on forme les dirigeants au jeu d’échecs, encensant le conflit et l’opposition. Cet état d’esprit se retrouve par la suite dans les entreprises. On devrait plutôt les initier au jeu de go, favorisant la construction de territoires. Pour ma part, j’ai défini mon propre concept. J’aime parler de « coopétition », c’est-à-dire le fait de travailler ensemble, dans une saine émulation. J’invite les « je » à se mettre au service d’un « nous » respectueux de chacun et porteur de progrès social. Cela dit, les mentalités ont commencé à évoluer dans ce sens. L’école démocratique, à laquelle je crois beaucoup, est un bel exemple. Nous sommes à l’aube d’importants changements. Nous sommes à un moment de bascule intéressant qui permet tout.
Qu’est-ce qui vous conduit à penser que c’est le cas ?
Les déséquilibres sont nombreux : grandes richesses et grandes pauvretés à travers le monde, mouvement des gilets jaunes, élection de Donald Trump… constituent des signaux forts. C’est à nous de choisir le monde dans lequel nous voudrons vivre demain, de le créer.
Marie-Hélène Brissot & Roxane Croisier