A.Raymond (Araymond) : «Dans un contexte incertain, la solution réside dans le long terme »
Décideurs. Vous défendez une certaine vision de l’entreprise. Quelle est-elle exactement ?
Antoine Raymond. Nous croyons en une entreprise porteuse de sens, soutenue par l’engagement des êtres humains. Travailler dans le stress, dans la pression permanente de la performance financière et du court terme n’est pas propice à la création de valeur et à l’innovation. Aujourd’hui, le monde des affaires va vite, il y a plus d’instabilité, de ruptures technologiques… et en même temps il serait dangereux de se cantonner à une approche de court terme. Dans un contexte
incertain, paradoxalement, la solution réside dans le long terme. La priorité ne doit pas être de se fixer des objectifs financiers ou technologiques, mais de développer une culture d’agilité pour
devenir une organisation capable de créer et d’anticiper. Un groupe doit pouvoir se remettre en question immédiatement en cas de surprise. Ce n’est possible que si l’on a mis en place des conditions qui font que les gens sont en confiance.
Comment cela se traduit-il en termes de management ? Vous soutenez notamment la chaire « Mindfulness et paix économique » de Grenoble École de Management…
Oui, tout à fait, nous la soutenons depuis l’origine car elle correspond à nos convictions. Avant de faire partie de la chaire, nous avions commencé à mettre en place le « servant leadership ». Le concept n’était pas connu à l’époque, il l’est bien davantage aujourd’hui. Il s’agit d’un leadership attentif aux autres, mais aussi à ce qui se passe dans le monde et dans les collectivités. Et nous faisons en sorte de diffuser cette culture autant que possible. Nous avons d’ailleurs conçu un
programme de formation qui a été suivi par des centaines de personnes partout dans le monde.
Quels en sont les éléments principaux ?
Il repose sur la connaissance des personnalités, l’apprentissage de techniques d’écoute et de communication non violente. Il s’agit avant tout d’être authentique, vrai.
Vous qualifiez Araymond « d’entreprise collaborative » Qu’est-ce que cela implique ?
Au sein de notre groupe lui-même, nous cherchons à être un réseau collaboratif. Nous sommes un réseau fédéré d’entreprises interdépendantes. Nous avons, bien entendu, créé une structure qui
anime et coordonne mais nous restons une organisation transversale et non hiérarchique. Chaque équipe dispose d’une réelle autonomie, ce qui permet l’agilité. Une entreprise en réseau est bien plus agile qu’une entreprise pyramidale. Notre comité exécutif réunit 43 personnes et fonctionne de manière collaborative. Notre plan stratégique également a été créé par des centaines de
personnes, partout dans le monde. Pour autant nous ne sommes pas une entreprise collectiviste.
C’est-à-dire ?
À l’intérieur de ce réseau collaboratif, il existe une organisation. Si un besoin survient, une personne prend la décision et en est garante. La liberté ne peut s’exprimer que dans un cadre, d’autant que les êtres humains ont besoin de se sentir en sécurité. S’agissant du processus
décisionnel lui-même, nous essayons de favoriser la controverse, parfois très émotionnelle. C’est important pour minimiser ou réduire les risques d’erreurs collectives.
Que pensez-vous de la loi Pacte et de l’évolution de la définition de l’entreprise ?
Je trouve positif qu’un mouvement s’amorce vers une prise de conscience nationale du fait que l’entreprise n’est pas que du « business ». Les entreprises tissent du lien social, permettent
potentiellement à une personne anodine de devenir un héros dans son domaine. Elles font partie intégrante d’une collectivité, impactent la vie de leurs clients, de leurs fournisseurs… Elles constituent une incroyable contribution à la vie humaine. Ce qu’elles permettent à une nation de
réaliser est fantastique.
Marie-Hélène Brissot