I.Behar (ancien président EAPM): « Les structures périclitent toujours à cause des problèmes sociaux »
Décideurs. Quelle est l’origine de ce projet de « normes volontaires applicatives » ?
Izy Behar. Le secrétariat central de l’ISO à Genève, en Suisse, coordonne un réseau d’instituts nationaux de normalisation dans 160 pays. En 2011, à la demande des États-Unis, une vingtaine de pays se sont réunis afin de mettre en place une norme en matière de ressources humaines. C’était assez nouveau puisque, depuis l’origine, les normes ISO s’appliquent aux processus industriels et non aux services. Ils souhaitaient « normaliser » les processus de recrutement notamment, et ceux de la gestion des ressources humaines ; ce avec quoi la France n’était pas vraiment d’accord. Une norme bien plus politique devait s’appliquer à la gestion de ces ressources et concerner directement la stratégie de l’entreprise. C’est alors à notre pays qu’est revenu le projet de pilotage de la norme ISO 30408 sur la gouvernance humaine. Nous avons été suivis par une cinquantaine de pays et la norme a été publiée en 2016.
Que contient cette norme ?
Ses lignes directrices proposent de mettre en place des outils, des processus et des pratiques destinés à favoriser le développement et l’amélioration continue d’une gouvernance humaine efficace au sein d’une organisation. Cette norme s’applique aux organisations de toutes tailles et de tous secteurs, qu’elles soient publiques ou privées, à but lucratif ou non. Pour résumer, la baseline serait : « Lorsqu’on prend une décision stratégique dans l’entreprise, il faut s’intéresser simultanément à ses conséquences économiques et sociales. » Il s’agit de la mise en œuvre de la formule que beaucoup citent « la performance sociale est le cœur de la performance économique ».
Comment la faire appliquer ?
Nous travaillons toujours sur des indicateurs à mettre en place afin de mesurer la mise en pratique de cette norme, mais il n’est pas simple de les définir dans la mesure où elle est d’ordre philosophique et morale et relative au capital humain. La mesure du taux d’absentéisme ou du coût du turnover sont des pistes que nous explorons car tous deux sont révélateurs de l’engagement des collaborateurs auprès de leurs employeurs, et traduisent la santé de l’entreprise. Quand les structures périclitent, c’est toujours à cause des problèmes sociaux.
Quelles en sont les conséquences ?
Le capital humain n’est pas suffisamment considéré dans nos entreprises, alors qu’il est le facteur principal de la compétitivité. Il faut encore plus éveiller les consciences.Actuellement, seules les conséquences économiques inquiètent. Dans les faits, la norme ISO 30408 veut mettre l’humain au cœur des préoccupations de la gouvernance des entreprises. Elle repositionne le DRH au niveau du comité exécutif, s’assure de lui donner les moyens d’agir en faveur des collaborateurs de l’entreprise. Celui-ci doit prendre part aux décisions stratégiques – ce qui n’est pas toujours le cas – pour être en mesure de les comprendre et de les anticiper.
Comment est-ce accueilli par les professionnels des ressources humaines ?
Il était important de faire partie de ces travaux au plus haut niveau mais aujourd’hui, nous avons une vraie mission de sensibilisation. La fonction RH, en France, n’est pas habituée aux normes, comme c’est le cas dans les pays anglo‑saxons, qui certifient ces compétences. Il faut montrer l’intérêt de ces textes votés au niveau international, pour le DRH au quotidien, mais aussi pour l’entreprise dans son ensemble.
Roxane Croisier