L’accent régional, objet de discrimination
Sous-représentés
En France, où l’identité nationale est intimement liée à la langue, le fait de parler avec un accent étranger, ou même un accent « régional » peut être mal perçu et freiner l’évolution professionnelle.
Un premier constat s’impose : l’accent est peu représenté dans la sphère publique et au sein des médias. En 2011, répondant à une mise en cause publique d’Eva Joly – alors candidate à la présidence de la République – pour son accent étranger, le journaliste Emmanuel Schwartzenberg déclarait : « Les télévisions comme les radios [écartent] de l'antenne les journalistes comme les animateurs qui parlent avec un accent (…) Les présentateurs des JT de France 3, eux, savent bien qu'ils n'ont aucune chance de mener une carrière nationale s'ils font entendre leur terroir. Qu'il s'agisse du Sud-Ouest, de l'Alsace ou de la Corse, l'accent n'est pas toléré (...) Au nom de la diversité, le Conseil supérieur de l'audiovisuel se saisira peut-être, un jour, de ce dossier. »
Quelques spécialistes, peu d’études
À l’étranger, et notamment dans les pays anglo-saxons, le sujet de la discrimination du fait de l’accent est largement connu. Il porte d’ailleurs un nom : l’accentism. Au Royaume-Uni, selon un sondage ComRes pour la chaîne ITV News de 2013, 28 % des Britanniques se sont déjà sentis discriminés en raison de leur accent régional, notamment au travail (14 %) ou durant un entretien d’embauche (12 %). Le linguiste Alexander Barrata, de l’université de Manchester, compare d’ailleurs les mécanismes de ce phénomène à ceux du racisme.
En France, en revanche, le sujet est assez peu étudié. Sociolinguiste et professeur à l’université de Rennes II, Philippe Blanchet a mené plusieurs analyses et choisi un vocable pour désigner le phénomène, celui de « glottophobie », qu’il définit comme le processus qui exclut ou stigmatise pour des raisons linguistiques. Il se pose désormais comme un ardent défenseur de la diversité linguistique. D’après lui, les employeurs ne cherchent même pas à dissimuler la question et disent ouvertement « votre candidature n’est pas retenue, votre façon de vous exprimer ne convient pas pour le poste ». Il évoque les témoignages de lecteurs reçus après la publication de son dernier ouvrage. Plusieurs relatent s’étant sentis obligés de gommer leur accent natal ou d’abandonner leur langue pour gagner en légitimité au travail.
Le rejet de l’altérité
Tous les accents ne sont pas logés à la même enseigne. L’accent du midi serait le moins pénalisé car il est connoté très positivement, même si on le considère parfois comme n’étant pas sérieux. Celui des banlieues a en revanche une image très négative. En tout état de cause, l’idée même de la supériorité d’un accent sur un autre pose question.
Professeur à l’université d’Aix-Marseille, Médéric Gasquet-Cyrus déclarait sur Slate.fr « Dire à quelqu’un qu’il a "un accent", c’est non seulement le renvoyer à une altérité, mais également à un rapport normatif hiérarchique implicite, puisque s’il a "un accent", c’est par rapport à quelqu’un qui n’en aurait pas. » Philippe Blanchet rejoint cette analyse. Il affirmait auprès des journalistes de Libération : « Une langue sert à dire qui nous sommes. Rejeter, même sur le ton de la blague, une manière de parler, un accent, une langue, ce n’est pas simplement dire : ici, on utilise tel logiciel pour communiquer plutôt que tel autre. Mais c’est toucher à l’identité de l’être, rejeter ce qu’il est. »
Depuis la loi de modernisation de la justice du 18 novembre 2016, il est aujourd’hui discriminatoire d'opérer « toute distinction entre les personnes morales sur le fondement [...] de la capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français » (article 225 du code pénal). Pour Philippe Blanchet, il s’agit d’un premier pas, notamment pour lutter contre l’exclusion des langues régionales. Peut-être l’occasion également de s’interroger sur les effets néfastes de certains clichés, et notre rapport à la langue et son usage.
Marie-Hélène Brissot