Diversité : la parole se libère
Une « erreur humaine », selon les termes du parc d’attractions, auquel il faudra tout de même neuf ans de procédure pour faire reconnaître le bien-fondé de cette défense et obtenir une relaxe. Si la médiatisation de ce types d’affaires permet de mettre au jour certaines pratiques et d’ouvrir le débat, le sujet reste sensible et les évolutions lentes. Selon le baromètre 2017 du Défenseur des droits, les discriminations seraient subies par 23 % de la population active au cours de leur vie professionnelle, et par près de 15 % lors de la recherche d’emploi.
Des avancées réglementaires timides
Jacques Toubon, Défenseur des droits, note que « la situation législative stagne un peu depuis quelques années, même s’il faut relever certaines avancées ». Après l’échec du CV anonyme, rendu obligatoire par une loi de 2006 n’étant jamais entrée en vigueur, l’action de groupe en matière de discrimination a été introduite par la loi de modernisation de la justice de 2016. Ainsi, plusieurs candidats à un emploi, un stage ou à une période de formation en entreprise, ou plusieurs salariés, qui estimeraient faire l’objet d’une discrimination imputable au même employeur, peuvent désormais initier ensemble une action en justice.
Depuis janvier 2017, les entreprises de plus de 300 salariés ont également l’obligation de former leurs chargés de recrutement. Evelyne Philippon, formatrice et consultante en ressources humaines et formation chez Feel RH, précise qu’ « il s’agit de renforcer la maîtrise du cadre juridique du recrutement par les acteurs concernés. Ce cadre a en effet connu d’importantes évolutions au cours de ces dernières années : accroissement des critères de discriminations, nouvelle action de groupe… » Mais la formation ne s’arrête pas là. La dimension comportementale doit également être abordée afin que « les chargés de recrutement soient en capacité d’identifier une attitude discriminante, les stéréotypes et préjugés les plus fréquents. L’objectif de la formation est donc de sensibiliser les acteurs du recrutement mais également de les amener à adapter leurs comportements face à des situations à risque et d’améliorer leurs pratiques. »
Initiatives de la société civile
Aux côtés de ces évolutions réglementaires, quelques initiatives privées attirent l’attention. C’est le cas de l’action de Mozaïk RH, premier cabinet de recrutement spécialisé dans la promotion de la diversité. Saïd Hammouche, son président, relève que « selon une étude de l’Observatoire national de la politique de la ville, un candidat d’origine maghrébine ou africaine doit faire cinq fois plus d’efforts qu’un autre pour obtenir un poste ». Il précise ainsi que pour lutter contre ce phénomène il faut « sortir du carcan de la culture du diplôme, développer les outils de sensibilisation et accompagner les recruteurs ». Mozaïk RH propose ainsi de sélectionner des candidats à partir d’une banque de profils qualifiés et évalués. Les personnes sont également coachées pour être préparées à la recherche d’emploi et à l’entrée dans le monde de l’entreprise. Le cabinet affiche aujourd’hui des partenariats avec plus de 200 entreprises. Il a également conclu en 2016 un partenariat avec Pôle emploi visant à faciliter l’embauche de jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville.
La gouvernance des entreprises est évidemment elle aussi largement concernée par le phénomène de la discrimination. Mais là aussi certaines initiatives ont vu le jour. C’est ainsi que le Club XXIe siècle, en partenariat avec le Medef et l’Institut français des administrateurs, a lancé en 2016 un annuaire des administrateurs indépendants, aux profils issus de la « diversité », pouvant entrer dans les conseils d’administration de groupes cotés. « La diversité est un atout considérable, c'est une force et une source de richesses, c'est un levier de performance individuelle et collective », expliquait alors Pierre Gattaz, président du Medef.
Les actions de ces acteurs de la société civile ne rencontrent pas toutes le même succès. Elles ont en tout cas pour effet de libérer la parole. Et il s’agit d’un pas important car, comme le rappelle Saïd Hammouche, « il est difficile de parler de discrimination en France ; la question est sensible. Le seul sujet de la mise en place d’unités de mesure reste tabou. »
Coup de pied dans la fourmilière
C’est sans doute d’ailleurs ce qui a motivé la campagne publicitaire lancée en 2016 par le gouvernement et baptisée « Les compétences d’abord ». Plus de 2 000 affiches, fusionnant les visages de personnes d’origines différentes, sont placardées un peu partout dans l’Hexagone. Quelques mois plus tard, l’exécutif est monté d’un cran. Sous l’impulsion de Myriam El Khomri, le ministère du Travail s’engage dans un vaste programme de « testing » : plus de trois milles CV anonymes ont été envoyés auprès d’une quarantaine d’entreprises. L’enquête a été largement médiatisée et a montré qu’une douzaine d’entreprises suivaient des politiques de recrutement contestables. Elles ont alors été enjointes de présenter un plan d’action pour y remédier. Deux d’entre elles, ne s’étant pas pliées aux exigences du gouvernement, ont vu leur nom mis au jour, selon le procédé anglo-saxon du « name and shame ». Une méthode nouvelle en France, qui traduit un besoin certain de bousculer l’ordre établi.
Camille Guével