Par Rémi Dupiré, avocat associé, et Grégoire Loiseau, professeur. Dupiré & Associés
Les forfaits-jours sous haute surveillance
Le recours aux forfaits-jours présente, aujourd’hui, un risque d’insécurité faute de pouvoir compter sur une méthodologie garantissant la régularité du procédé, tant du point de vue de la prévision des conditions de sa mise en place que de la détermination de la situation des salariés susceptibles d’en faire l’objet.
Les forfaits-jours sont dans le collimateur de la Chambre sociale de la Cour de cassation : si celle-ci n’en a pas condamné le principe, après que le comité européen des droits sociaux avait jugé le dispositif non conforme à la charte sociale européenne, sa jurisprudence est implacable pour dénoncer leur mise en œuvre chaque fois qu’elle ne satisfait pas aux exigences qu’elle-même formule.
Le raidissement de la jurisprudence fait naître un risque d’insécurité pour les entreprises qui ont recours à ce mode d’organisation du temps de travail. Concrètement, si l’application du dispositif est contestée avec succès, la convention de forfait en jours étant privée d’effet, le salarié peut prétendre au paiement d’heures supplémentaires. La difficulté, aujourd’hui, est toutefois ne pas pouvoir compter sur une méthodologie garantissant la régularité du procédé, tant du point de vue de la prévision des conditions de sa mise en place que de la détermination de la situation des salariés susceptibles d’en faire l’objet. L’incertitude ambiante alimente l’insécurité, entretenue et aggravée par l’esprit de rigueur qui anime la Cour de cassation.
À l’origine du risque, le contrôle de la Chambre sociale se dédouble : à l’exigence de garanties pour l’application du régime des forfaits-jours, les juges de cassation ajoutent un examen très strict des conditions dans lesquelles il y est recouru en ce qui concerne les salariés soumis à ce régime.
Du contrôle des garanties d’application du régime
Pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs, et en considération de l’obligation de résultat pesant à ce propos sur l’employeur, la Cour de cassation exige depuis 2011 que toute convention de forfait-jours soit prévue par un accord collectif garantissant le respect de durées maximales de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires (Cass. soc., 29/6/2011, n° 09-71.107 ; Cass. soc., 31/1/2012, n° 10-19.807). L’exigence est aussi ferme que vague quant aux mesures qu’elle implique pour assurer cette garantie.
Sans en donner le mode d’emploi, la Chambre sociale indique ce qu’elle estime insuffisant : il ne suffit pas de prévoir un entretien annuel avec le supérieur hiérarchique sur l’amplitude et la charge de travail ainsi qu’un examen trimestriel par la direction des informations communiquées sur ces points par la hiérarchie. Ces seules mesures ne sont pas, d’après les juges de cassation, de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition dans le temps du travail de l’intéressé (Cass. soc., 26/9/2012, n° 11-14.540). Il y a là deux enseignements à tirer.
Le premier est que la détermination dans l’accord collectif de durées maximales de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires ne suffit pas à satisfaire l’exigence de protection de la sécurité et de la santé du salarié. Il doit s’y ajouter des mesures plus substantielles pour assurer, au-delà d’une régulation mécanique du temps de travail, un contrôle de l’amplitude et de la charge de travail : ce contrôle doit être «?de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé?». Le second est que, s’il doit certainement être prévu à cet effet un suivi personnalisé, celui-ci ne peut se limiter à un seul entretien et doit avoir pour objet, surtout, de veiller à ce que l’organisation du travail du salarié ne le met pas en situation de suractivité et qu’il n’exerce pas ses fonctions, fût-ce volontairement, suivant un rythme excessif.
Au contrôle des conditions de recours au régime
La vigilance de la Chambre sociale porte également sur la légitimité du recours à ce type d’organisation du temps de travail. Depuis la loi du 20 août 2008, les forfaits-jours sont applicables aux « cadres qui disposent d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés » ainsi qu’aux « salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui leur sont confiées » (C. trav., art. L. 3121-43). Auparavant, seuls les cadres pouvaient en être l’objet et c’est à leur propos que, statuant sous l’empire du droit antérieur à la loi du 20?août 2008, la Chambre sociale a posé l’exigence qu’ils disposent d’une autonomie « à la fois dans la fixation de leur horaire de travail et dans le mode d’organisation de leur travail » (Cass. soc., 21/11/ 2012, n° 11-10.829 ; v. aussi Cass. soc., 31/10/2012, n° 11-20.986).
L’autonomie se présente ainsi comme le marqueur du salarié en forfait-jours et, à cet égard, la Cour de cassation exige que l’autonomie soit à la fois programmatique, dans la détermination de l’horaire de travail, et organisationnelle, dans la mise en œuvre de l’activité. Au-delà de ces directives, il est cependant difficile de savoir quel degré d’autonomie le salarié doit avoir, sachant que l’autonomie ne peut être une totale liberté dans un rapport de subordination. Ce qui est sûr, c’est que l’appréciation de cette autonomie doit être faite in concreto. Peu importe donc la définition dans la convention collective des fonctions exercées et la reconnaissance, pour une qualification donnée, de la qualité de cadre autonome : si le salarié ne bénéficie pas, effectivement, d’une autonomie dans l’exercice de ses fonctions, le régime du forfait-jours ne peut lui être appliqué (Cass. soc., 21/11/2012, préc.). Quant à l’autonomie dans la fixation de l’horaire de travail, elle suppose, à tout le moins, que le salarié dispose d’une certaine latitude dans leur aménagement : si l’emploi du temps du salarié est déterminé par son supérieur hiérarchique, il n’est pas susceptible de relever de ce régime (Cass. soc., 31/10/ 2012, préc.). Il suffit même, décide la Cour de cassation, que les horaires des salariés, s’agissant de cadres employés par un casino, soient intégrés dans des plannings imposant leur présence dans les salles de jeux pour que cette circonstance soit exclusive de la qualification de cadre autonome (Cass. soc., 23/1/2013, n° 11-12.323).
Bref, fragilisé par une part croissante d’incertitude, le dispositif des forfaits-jours est désormais exposé au risque de contestation que les entreprises doivent prendre en considération.
Les forfaits-jours sont dans le collimateur de la Chambre sociale de la Cour de cassation : si celle-ci n’en a pas condamné le principe, après que le comité européen des droits sociaux avait jugé le dispositif non conforme à la charte sociale européenne, sa jurisprudence est implacable pour dénoncer leur mise en œuvre chaque fois qu’elle ne satisfait pas aux exigences qu’elle-même formule.
Le raidissement de la jurisprudence fait naître un risque d’insécurité pour les entreprises qui ont recours à ce mode d’organisation du temps de travail. Concrètement, si l’application du dispositif est contestée avec succès, la convention de forfait en jours étant privée d’effet, le salarié peut prétendre au paiement d’heures supplémentaires. La difficulté, aujourd’hui, est toutefois ne pas pouvoir compter sur une méthodologie garantissant la régularité du procédé, tant du point de vue de la prévision des conditions de sa mise en place que de la détermination de la situation des salariés susceptibles d’en faire l’objet. L’incertitude ambiante alimente l’insécurité, entretenue et aggravée par l’esprit de rigueur qui anime la Cour de cassation.
À l’origine du risque, le contrôle de la Chambre sociale se dédouble : à l’exigence de garanties pour l’application du régime des forfaits-jours, les juges de cassation ajoutent un examen très strict des conditions dans lesquelles il y est recouru en ce qui concerne les salariés soumis à ce régime.
Du contrôle des garanties d’application du régime
Pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs, et en considération de l’obligation de résultat pesant à ce propos sur l’employeur, la Cour de cassation exige depuis 2011 que toute convention de forfait-jours soit prévue par un accord collectif garantissant le respect de durées maximales de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires (Cass. soc., 29/6/2011, n° 09-71.107 ; Cass. soc., 31/1/2012, n° 10-19.807). L’exigence est aussi ferme que vague quant aux mesures qu’elle implique pour assurer cette garantie.
Sans en donner le mode d’emploi, la Chambre sociale indique ce qu’elle estime insuffisant : il ne suffit pas de prévoir un entretien annuel avec le supérieur hiérarchique sur l’amplitude et la charge de travail ainsi qu’un examen trimestriel par la direction des informations communiquées sur ces points par la hiérarchie. Ces seules mesures ne sont pas, d’après les juges de cassation, de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition dans le temps du travail de l’intéressé (Cass. soc., 26/9/2012, n° 11-14.540). Il y a là deux enseignements à tirer.
Le premier est que la détermination dans l’accord collectif de durées maximales de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires ne suffit pas à satisfaire l’exigence de protection de la sécurité et de la santé du salarié. Il doit s’y ajouter des mesures plus substantielles pour assurer, au-delà d’une régulation mécanique du temps de travail, un contrôle de l’amplitude et de la charge de travail : ce contrôle doit être «?de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé?». Le second est que, s’il doit certainement être prévu à cet effet un suivi personnalisé, celui-ci ne peut se limiter à un seul entretien et doit avoir pour objet, surtout, de veiller à ce que l’organisation du travail du salarié ne le met pas en situation de suractivité et qu’il n’exerce pas ses fonctions, fût-ce volontairement, suivant un rythme excessif.
Au contrôle des conditions de recours au régime
La vigilance de la Chambre sociale porte également sur la légitimité du recours à ce type d’organisation du temps de travail. Depuis la loi du 20 août 2008, les forfaits-jours sont applicables aux « cadres qui disposent d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés » ainsi qu’aux « salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui leur sont confiées » (C. trav., art. L. 3121-43). Auparavant, seuls les cadres pouvaient en être l’objet et c’est à leur propos que, statuant sous l’empire du droit antérieur à la loi du 20?août 2008, la Chambre sociale a posé l’exigence qu’ils disposent d’une autonomie « à la fois dans la fixation de leur horaire de travail et dans le mode d’organisation de leur travail » (Cass. soc., 21/11/ 2012, n° 11-10.829 ; v. aussi Cass. soc., 31/10/2012, n° 11-20.986).
L’autonomie se présente ainsi comme le marqueur du salarié en forfait-jours et, à cet égard, la Cour de cassation exige que l’autonomie soit à la fois programmatique, dans la détermination de l’horaire de travail, et organisationnelle, dans la mise en œuvre de l’activité. Au-delà de ces directives, il est cependant difficile de savoir quel degré d’autonomie le salarié doit avoir, sachant que l’autonomie ne peut être une totale liberté dans un rapport de subordination. Ce qui est sûr, c’est que l’appréciation de cette autonomie doit être faite in concreto. Peu importe donc la définition dans la convention collective des fonctions exercées et la reconnaissance, pour une qualification donnée, de la qualité de cadre autonome : si le salarié ne bénéficie pas, effectivement, d’une autonomie dans l’exercice de ses fonctions, le régime du forfait-jours ne peut lui être appliqué (Cass. soc., 21/11/2012, préc.). Quant à l’autonomie dans la fixation de l’horaire de travail, elle suppose, à tout le moins, que le salarié dispose d’une certaine latitude dans leur aménagement : si l’emploi du temps du salarié est déterminé par son supérieur hiérarchique, il n’est pas susceptible de relever de ce régime (Cass. soc., 31/10/ 2012, préc.). Il suffit même, décide la Cour de cassation, que les horaires des salariés, s’agissant de cadres employés par un casino, soient intégrés dans des plannings imposant leur présence dans les salles de jeux pour que cette circonstance soit exclusive de la qualification de cadre autonome (Cass. soc., 23/1/2013, n° 11-12.323).
Bref, fragilisé par une part croissante d’incertitude, le dispositif des forfaits-jours est désormais exposé au risque de contestation que les entreprises doivent prendre en considération.