Entretien avec Bill George
« La crise permet de faire émerger les leaders »
Décideurs : Pour vous, quelle est la chose la plus importante dans le leadership ?
Bill George : Les valeurs et les missions de l’entreprise sont des éléments clés. Un leader doit être capable de fédérer ces éléments autour d’un objectif clair. Pour cela, il faut toujours être à l’écoute de ses clients pour comprendre le marché. Il ne doit pas hésiter à se mettre en première ligne et d’entrer en action.
S’il réussit à concilier tous ses aspects, on peut dire qu’il est un bon leader. Pour arriver à cela, la qualité la plus importante est d’être sincère. A l’inverse, le pire défaut est de mettre son intérêt personnel avant celui de l’organisation.
Décideurs : Dans votre livre, vous avancez la thèse suivante : la crise aide à développer le leadership. Pouvez-vous nous expliquez pourquoi ?
B. G. : En termes de leadership, la crise peut être perçue comme un test. Seuls les dirigeants qui sauront rester concentrés sur leurs valeurs tout en repérant les évolutions du marché pourront être considérés comme de vrais leaders.
Face aux difficultés économiques, de nombreux leaders seront tentés de remettre en cause leur objectif et leur savoir-faire. En période de crise, la sélection est plus marquée. Mon livre tente de donner des conseils aux leaders afin d’éviter ces pièges.
« La plus grande qualité d’un leader ? Etre sincère »
Décideurs : Comment avez-vous décidé de devenir PDG de Medtronic ? Dans votre livre, vous parlez de « defining moment ». Que voulez-vous dire par là ?
B. G. : Mon arrivée à Medtronic ne s’est pas faite par hasard. Avant cela, je travaillais pour Honeywell en tant que président du pôle aéronautique. Les valeurs et les missions de Medtronic m’ont tout de suite plu. En tant que leader, je voulais développer cette compagnie.
Un « defining moment » correspond à une période de la vie durant laquelle on est obligé de faire des choix qui s’avèrent cruciaux pour votre avenir et votre carrière. Très souvent, on ressort grandi de ces moments car ils permettent de découvrir qui on est réellement.
Lorsque j’ai décidé de prendre la direction de Medtronic, il s’agissait clairement d’un « defining moment ». Je voulais m’engager personnellement. C’est d’ailleurs le message que j’ai fait passer au conseil d’administration. Je voulais rester 10 ans au sein de la société. C’est le temps qu’il me paraissait nécessaire pour réussir la mission que je m’étais fixée. Faire de Medtronic un leader mondial sur le marché des technologies médicales.
Décideurs : Durant cette période, quelle aura été votre plus grande erreur et succès en tant que PDG ? Pourquoi ?
B. G. : Avant tout, je tiens à préciser qu’un leader est en droit de se tromper. L’erreur est humaine. En revanche, il doit apprendre de ces erreurs afin de faire avancer son organisation. Les salariés qui composent le groupe doivent comprendre ses orientations.
Mon plus grand échec a été de promouvoir quelqu’un président du groupe en Europe sans avoir vérifier ses valeurs. Il avait beau être un excellent manager, il n’avait pas toutes les qualités requises pour devenir un leader. Plus tard, il s’est avéré qu’il a été impliqué dans une affaire de corruption.
Mon plus grand succès aura été de faire passer Medtronic d’une société de pacemaker à un leader mondial des technologies médicales. Désormais, la compagnie sauve chaque année 8 millions de personnes grâce à ses produits. Je suis très fier de cela.
Décideurs : Dans le futur, seriez-vous tenté de revenir à cette activité ?
B. G. : Non. Désormais, je me concentre pleinement à mon nouveau travail : aider les leaders de demain. Que ce soit dans le cadre des MBAs d’Harvard ou dans des conseils d’administration.
Décideurs : De nombreux économistes et entrepreneurs estiment que la récession est finie. Êtes-vous d’accord ?
B. G. : Bien que la croissance soit de nouveau au rendez-vous, je pense que la récession n’est pas encore finie. La question du chômage est loin d’être résolue. Ce problème risque de pénaliser les pays développés pendant encore longtemps. En particulier les Etats-Unis. Aujourd’hui, 26 millions d’Américains sont sans emploi. Selon moi, la récession réelle aux Etats-Unis ne prendra fin que lorsque le marché du travail reprendra. Cela pourrait prendre encore une année.
Décideurs : Cette crise marque-t-elle la fin des Etats-Unis comme puissance économique dominante ?
B. G. : Oui et non. Oui, car désormais les Etats-Unis ne peuvent plus être considérés comme l’unique puissance économique. Et non, car, malgré la crise, l’économie américaine reste déterminante sur l’échiquier international.
Nous nous dirigeons vers une économie mondiale multipolaire. Il n’y aura plus qu’une seule puissance. Chaque pays aura un rôle à jouer. La Chine, l’Inde, le Japon, l’Europe… Tous joueront un rôle dans le monde économique de demain.
Je ne pense pas que cette nouvelle donne soit dangereuse. Il est important de reconnaitre que c’est une bonne chose. Aussi bien pour les Américains que pour le reste du monde. Cette nouvelle organisation offre plus d’opportunités. Et ce sera aux leaders de savoir en profiter.