En juin, Le Monde a publié une enquête sur l’enfance et l’adolescence de Jordan Bardella en banlieue parisienne. Le jeune ambitieux aurait pu, en théorie, basculer à gauche…

Il est 19 heures, le lycée privé Jean-Baptiste-de-La-Salle situé à Saint-Denis a fermé ses portes. Pourtant, une salle de classe est éclairée. À l’intérieur, deux lycéens de terminale donnent des cours d’alphabétisation à des femmes migrantes dans le cadre de l’association Alfaccueil. Les deux amis maîtrisent leur sujet, ils enseignent chaque semaine depuis un an et demi. Leur nom ? Larbi B et Jordan B. B comme Bardella.

De l’aide aux migrants à LFI

Pour ce dernier, cette activité donne un nouvel élan à sa vie. Jusqu’à présent, il était ballotté entre deux mondes. La semaine, il habite la cité Gabriel Péri à Saint-Denis avec sa mère qui exerce le métier d’Atsem. Malgré sa scolarisation dans le privé, il est confronté à une France "créolisée" et populaire. Le week-end, Jordan vit avec son père, entrepreneur aisé basé dans la commune huppée de Montmorency. Entre les deux univers, il choisira le premier, défendra les opprimés, les victimes, les gens de peu.

Non admis à Sciences Po Paris, il étudie la géographie à la Sorbonne. Très vite, il s’engage à l’Unef puis chez les Jeunes Insoumis. Il y fait sa formation politique et apprend le b.a.-ba de la gauche moderne : communautarisme, intersectionnalité des luttes, pensée décoloniale, lutte contre le racisme et l’islamophobie. Le jeune homme apprend vite, ne rechigne pas à la tâche. Repéré par l’appareil LFI, il arrête ses études et devient en 2017 assistant parlementaire d’Éric Coquerel, élu à Saint-Denis justement.

Repéré par l'appareil LFI, il arrête ses études et devient en 2017 assistant parlementaire d'Éric Coquerel, élu à Saint-Denis

Roi des médias et des réseaux sociaux

En parallèle, il travaille sa marque. "BG", portant fièrement une barbe bien taillée, cheveux gominés, il devient orateur national des Jeunes Insoumis. De 2017 à 2022, il arpente les chaînes d’info en continu. Intraitable sur le fond, "punchlineur" de génie, il gagne ses lettres de noblesse malgré quelques polémiques. Les dealeurs ? "Des entrepreneurs avant tout", les fillettes voilées ? "Des petites femmes". Addict aux jeux vidéo et aux réseaux sociaux, il crée une communauté importante autour de sa chaîne YouTube Jordan 9320, devient influent sur Twitch, Twitter, Insta, TikTok…

Sur le terrain

C’est incontestable, Jordan Bardella fait partie de la relève que Jean-Luc Mélenchon veut modeler et faire monter. Lors des législatives de 2022, bon nombre de trentenaires et vingtenaires sont parachutés avec succès dans des circonscriptions de banlieue : Louis Boyard dans le Val-de-Marne, Antoine Léaument dans l’Essonne, Sébastien Delogu à Marseille, Thomas Portes dans le 93…

Impossible de placer Jordan Bardella dans sa ville natale. La place est déjà occupée par son mentor Éric Coquerel et par l’allié communiste Stéphane Peu. La commission d’investiture lui trouve pourtant un lieu d’atterrissage favorable : Roubaix.

 "Ben Bardallah"

À l’hiver 2022, la ville est l’objet d’un reportage d’Envoyé spécial montrant la croissance de l’islamisme dans la ville. Jordan Bardella se rend sur place pour dénoncer "l’islamophobie" et la "stigmatisation". Élu député quelques mois plus tard, il devient le symbole de la nouvelle ligne de LFI : complaisant avec l’islamisme radical, en première ligne pour défendre Gaza, il se fait épingler pour ses saillies antisémites. Il assimile les Israéliens à des "porcs", les Juifs à des "dragons célestes", relaie la propagande du Hamas… Est-ce par électoralisme? Par conviction? Par conversion à une forme radicale de l’Islam? Impossible de répondre. Lors des législatives anticipées de 2024, celui que ses opposants nomment "Ben Bardallah" est réélu au premier tour à Roubaix…

Lucas Jakubowicz

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