Le résultat des élections législatives est clair mais flou. Emmanuel Macron va être amené à cohabiter. Mais, en même temps, il va probablement devoir bâtir une coalition et un contrat de gouvernement avec plusieurs partis, ce qui est inédit. Sur le volet cohabitation, que prévoit la Constitution ? Réponse de Mélody Mock-Gruet, docteure en droit, enseignante à Sciences Po Paris et auteure du Petit guide du contrôle parlementaire.

Les élections législatives de 2017 ont été un triomphe pour Emmanuel Macron qui a pu gérer la France avec les coudées franches. En 2022, ce fut un mariage de raison avec la majorité relative. Désormais, place à une situation inédite mélangeant cohabitation et probable coalition.

Si en période de majorité absolue, la résidence du pouvoir est à l’Élysée. Désormais, elle va se déplacer à Matignon. Selon l’article 20 de la Constitution, le gouvernement "détermine et conduit la politique de la nation." Il a donc le pouvoir d’agir. Pour autant, Emmanuel Macron va-t-il devoir s’effacer devant un premier ministre pouvant être issu du Nouveau front populaire ? Pas complétement puisque l’article 5 fait de lui "le garant des institutions", ce qui lui confère un certain pouvoir d’empêcher.

Nomination du premier ministre. Un droit de veto pour Emmanuel Macron ?

Premier exemple, celui de la nomination du gouvernement mentionné dans l’article 8. Prérogative du président de la République, elle est en réalité contraignante. Difficile pour un président de refuser un premier ministre désigné par un parti détenant la majorité absolue à l’Assemblée nationale. Jacques Chirac, Édouard Balladur ou Lionel Jospin détenaient une véritable légitimité électorale. En ce 8 juillet au matin, aucune figure ne se dégage. De quoi donner un droit de veto à Emmanuel Macron ? L’avenir le dira. En revanche, en 1986 comme en 1993, François Mitterrand avait posé son veto sur certains ministres proposés. Emmanuel Macron pourrait tout à fait respecter cette tradition…

Difficile pour un président de refuser un premier ministre désigné par un parti détenant la majorité absolue à l’Assemblée nationale. En ce 8 juillet au matin, aucune figure ne se dégage. De quoi donner un droit de veto à Emmanuel Macron ?

Le président aura un pouvoir d’empêcher

Même si le gouvernement a l’initiative des lois avec tout l’arsenal du parlementarisme rationnalisé (engagement de la responsabilité, vote bloqué…), le président détient la capacité de saisir le Conseil Constitutionnel à chaque fois qu’une loi a été votée (article 61). Le Conseil Constitutionnel deviendrait alors le médiateur du couple.

Le futur gouvernement pourra tout à fait agir par ordonnances. Mais rien n’obligera Emmanuel Macron à les signer. Après tout, durant la première cohabitation, François Mitterrand a refusé de signer des ordonnances portant sur des privatisations, le découpage des circonscriptions électorales ou l’aménagement du temps de travail. Mais ce pouvoir de nuisance a été limité, Jacques Chirac les faisant repasser par un projet de loi, ce que sa majorité absolue lui permettait aisément. Mais cette fois ci, aucun bord ne disposera de cet atout…

François Mitterrand a refusé de signer des ordonnances prises par Jacques Chirac. Mais ce dernier a pu les transformer en projet de loi et les faire voter par des députés acquis à sa cause. Ce ne sera plus possible vu la configuration de l’Assemblée nationale...

Que se passera-t-il si la France est ingouvernable ?

Si la France est ingouvernable du fait de trois blocs refusant tout accord, que peut-il se passer ? Le président peut choisir de dissoudre à nouveau l’Assemblée nationale mais il faudrait que la cohabitation ait tenu au moins un an. Une démission volontaire de la part d’Emmanuel Macron serait un moyen différent de faire du peuple l’arbitre du litige avec la tenue d’une élection présidentielle anticipée.

Le Parlement pourra agir avec l’enclenchement d’une procédure de destitution prévue dans l’article 68. Jamais allé jusqu’à son terme, ce mécanisme prévoit que le président de la République peut être destitué en cas "de manquement [...] manifestement incompatible" avec son mandat. Termes très imprécis. Le rapport remis par la commission du statut pénal du chef de l’État en 2002 présidé par le juriste Pierre Avril esquissait les raisons pouvant mener à la destitution du chef de l’État, citant "l’utilisation manifestement abusive de prérogatives constitutionnelles aboutissant au blocage des institutions comme les refus cumulés de promulguer les lois, de convoquer le Conseil des ministres, etc." Cette procédure étant très encadrée, le résultat dépendrait beaucoup de la bonne volonté du Sénat, l’Assemblée nationale pouvant reconnaître la proposition de résolution recevable, voire la voter.

Mélody Mock-Gruet

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