En axant leur campagne sur Gaza, les Insoumis ont réussi leur mission : rafler les voix dans les banlieues populaires. Mais le reste du territoire n’a pas suivi le mouvement. LFI semble de plus en plus se positionner comme le représentant d’une catégorie restreinte de la population. La nature ayant horreur du vide, le RN se frotte les mains.

On peut reprocher bien des choses à LFI. Reconnaissons-leur une qualité : les stratèges du parti de Jean-Luc Mélenchon possèdent un flair hors pair pour trouver des voix. Depuis le 7 octobre, les Insoumis ont placé la situation à Gaza au cœur de leur campagne européenne, notamment en propulsant sur la scène médiatique la militante Rima Hassan. Certains députés, tels Aymeric Caron, Thomas Portes, David Guiraud ou Ersilia Soudais n’ont pris la parole que sur ce sujet ou presque. La campagne Insoumise a été marquée par des manifestations pro-Palestine, un flirt plus ou moins assumé avec l’antisémitisme, et des happenings tels que l’exhibition de drapeaux palestiniens dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale.

L’objectif de cet activisme est simple : il s’agit de faire le plein de suffrages dans les "banlieues populaires" où la population est plus jeune et plus musulmane que sur le reste du territoire. Ce marketing électoral cynique pour les uns, réaliste pour les autres, a porté ses fruits. Il suffit d’examiner les résultats de la liste de Manon Aubry pour se faire une idée.

Seine-Saint-Denis Style

Le cas de la Seine-Saint-Denis est particulièrement symbolique. Le 9 juin, le département a plébiscité LFI qui obtient 37% des suffrages contre 9,9 % à l’échelle nationale. Par rapport à 2019, la hausse est exceptionnelle puisque le parti avait obtenu 12,3 %. Entre 2019 et 2014, LFI a plus que triplé son score dans le 93 !

En Seine-Saint Denis, la liste LFI atteint 53% à Bobigny (contre 15% en 2019), 53% à Stains (contre 13%), 50,7 à Saint-Denis (contre 13%)

Si l’on zoome sur certaines villes du département, les résultats sont éloquents. LFI recueille 53 % à Bobigny (contre 15 % en 2019), 53 % à Stains (contre 13 % en 2019), 50,7 % à Saint-Denis (contre 15 % en 2019), 48,4 % à Aubervilliers (contre 15,7 % en 2019).

La "Mélenchonisation" des banlieues populaires

Loin d’être isolé, le 93 met en exergue un fait politique majeur : désormais LFI règne en maître dans toutes les banlieues populaires du territoire. Prenons pour exemple deux autres villes "sensibles" de la banlieue parisienne. À Trappes, la liste de Manon Aubry atteint 54,4 % (contre 9,3 % en 2019) tandis que sur la commune des Mureaux, elle culmine à 46,6 % (contre 11 % en 2019).

En province, la situation est similaire. Le député de Roubaix, David Guiraud s’est positionné comme le "défenseur de la cause palestinienne" en accumulant les poncifs antisémites (traiter un député juif de "porc", assimiler les fidèles de cette religion aux "dragons célestes" terme en vogue dans les milieux complotistes…). Ses électeurs lui sont reconnaissants puisque LFI effectue un bond fantastique d’une élection européenne à l’autre : 15 % en 2019, 43 % en 2024 !

Le député LFI de Marseille Sébastien Delogu a agité le drapeau palestinien dans l'hémicycle ? Dans son 15e arrondissement, son parti obtient 49,4% contre 14% en 2019 !

Situation similaire pour Sébastien Delogu, le député de Marseille a agité un drapeau palestinien dans l’hémicycle avant de l’embrasser devant les caméras. Les quartiers nord de Marseille où il est implanté ont plébiscité le geste. LFI atteint 49,4 % dans le 15e, 44,8 % dans le 14e contre 14 % et 16 % lors du dernier scrutin européen. Si LFI réalise un bon score, c’est en premier lieu grâce aux quartiers populaires. Car dans la France périphérique, le succès n’est pas le même.

Effritement ailleurs…

Lors de la présidentielle de 2017, deux départements du Sud-Ouest à forte tradition de gauche avaient placé Jean-Luc Mélenchon en tête : l’Ariège et le Gers. Aux européennes de 2019, Manon Aubry y surperformait par rapport à sa moyenne nationale avec 11,3 % en Ariège et 8,6 % en Dordogne. Cinq ans plus tard, elle recule et n’obtient que 9,6 % et 6,3 %, soit moins que sa moyenne nationale. Pas d’effet Rima Hassan dans le « Midi rouge » donc. La même situation s’observe dans de nombreuses communes de province. La petite ville industrielle d’Ugine en Savoie avait donné 6 % à LFI en 2019, le score passe à 5,2 %. De même à Carmaux, ville natale de Jean Jaurès, où LFI est en repli et passe de 11 % en 2019 à 9,3 %. Thomas Portes, natif de la ville, a eu raison de s’expatrier dans le 93…

Au premier tour de 2017, Jean-Luc Mélechon a fini en tête dans le Gers et l'Ariège. Mais son parti recule peu à peu dans ces départements

Quel futur pour LFI ?

À l’aune de ces résultats, LFI peut avoir une bonne raison de se réjouir pour la suite : le mouvement dispose désormais de bastions inexpugnables dans les banlieues des grandes villes, ce qui devrait lui assurer en permanence une cinquantaine de circonscriptions. En revanche, il risque de devenir un "pure player" des banlieues populaires et ne dépendre que d’un seul type d’électorat. Pour le moment, 40% de ses députés sont implantés en Île-de-France. La dissolution pourrait accélérer la tendance. Dans la fameuse France périphérique, les choses peuvent s’avérer plus difficiles et, en cas de second tour, les candidats LFI prennent le risque de se retrouver victimes d’un front républicain naguère appliqué au FN de Jean-Marie Le Pen. Le phénomène avait commencé à se manifester en janvier 2023 lors d’une législative partielle en Ariège. La députée LFI sortante Bénédicte Taurine s’était inclinée face à une candidate divers gauche. Raison de sa victoire ? Le "tout sauf LFI".

Lucas Jakubowicz

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