Le réseau social d’Elon Musk comporte de nombreux défauts. Il est pourtant devenu indispensable aux partis politiques et aux médias qui y trouvent tous leur compte à court terme. Les populistes s’en frottent les mains.

Imaginez la situation. Vous êtes invité sur une chaîne d’info en continu ou une radio. Votre mission ? Commenter l’actualité à chaud devant des dizaines voire des centaines de milliers de téléspectateurs. La programmation vous informe des thématiques traitées une heure avant le début de l’émission mais vous avez besoin de vous préparer, de chercher de l’inspiration, des citations, des chiffres. La solution la plus simple est d’aller sur X (ex Twitter) et de jeter un œil aux posts d’élus et de responsables politiques. Bien entendu, vous pouvez aussi lire la presse en ligne, mais celle-ci, contrainte de réagir à chaud dans un premier temps, va, elle aussi, "chercher du biscuit" sur X.

Influencer les influenceurs

Malgré les critiques, les médias disposent toujours d’une influence sur l’opinion publique qui s’y informe, y détermine son choix et son vote. Les journalistes trouvent de l'inspiration sur X. Donc X est stratégique pour un parti politique. CQFD.

Martin Paugam, responsable de la communication du groupe PS à l’Assemblée nationale et chargé de la riposte au sein du parti à la rose, l’admet bien volontiers : "X est indispensable. Si le réseau s’adresse à un microcosme, il permet d’influencer les influenceurs et, par ricochet, l’opinion publique." Un avis partagé par son collègue Axel Assouline, ancien maître des réseaux sociaux lors de la campagne d’Alain Juppé en 2016 et en charge jusqu’à il y a quelques mois de la communication digitale du ministre des Armées Sébastien Lecornu : "Les journalistes y trouvent rapidement de l’info croustillante, des polémiques, des éléments à exploiter. Il est donc nécessaire d’y être présent en force pour imposer de façon indirecte son récit et sa vision des choses."

"X s'adresse à un microcosme. Il permet d'influencer les influenceurs et, par ricochet, l'opinion publique"

Faire émerger les idées

En étant rusé et bien coordonné, X permet de faire émerger des idées et des concepts qui, par la suite, s’imposent dans le débat public. À la droite de la droite, les notions de "francocide" ou de "grand remplacement" ont d’abord été popularisées par les innombrables comptes au service d’Éric Zemmour. Qu’il s’agisse de s’en réjouir ou de polémiquer, les médias et les commentateurs ont mentionné ces termes à des heures de grande écoute. Ils font désormais partie du langage courant et se notabilisent. Ainsi, lors de son discours au Zénith, la candidate LR Valérie Pécresse a évoqué le grand remplacement.

À gauche, Sandrine Rousseau est habituée à utiliser son compte X pour susciter des polémiques. Certains prennent la députée écologiste de Paris pour une folle en quête de buzz. En réalité, la stratégie est rationnelle. L’outrance digitale fait l’objet de débats d’émissions, d’articles à tel point qu’aujourd’hui des expressions comme "homme déconstruit" ou "masculinité toxique" sont connues du grand public. Plus récemment, l’Insoumise Rima Hassan multiplie sciemment les propos polémiques au sujet du conflit à Gaza. Ici encore, son outrance lui sert de caisse de résonance.

Attention au ridicule !

Pour imposer leurs éléments de langages (les fameux EDL dans le jargon), les cellules numériques des partis politiques brillent rarement par leur subtilité. Souvent, elles font dans le gros rouge qui tache. "Le Graal, c’est d’être en trending topic", estime Axel Assouline. Pour y parvenir, le concept est simple : un hashtag est mis sur pied, repris en masse par des cadres du mouvement, des militants ou des faux comptes, ce qui donne un effet de masse parfois ridicule car coupé de la réalité. Durant la dernière présidentielle, les équipes de campagne de Reconquête! s’amusaient à placer régulièrement en "TT" des hashtags faisant croire à un engouement populaire #Lesprofsaveczemmour, #Lesetudiantsaveczemmour ou autres #lesmotardsaveczemmour.  À la clé, un score de 7 %. Les Insoumis ne sont pas en reste et aiment faire monter les leurs tels que #melenchonavaitraison. Ce qui n’empêche pas Jean-Luc Mélenchon d’être la personnalité politique la plus clivante.

Un autre procédé frisant le ridicule a lieu lors des débats. Chaque camp prépare visuels, formules et hashtags pour soutenir son champion et célébrer sa victoire. Conséquence, chaque parti revendique d’avoir mis KO l’autre et s’enfonce dans une sorte de bulle cognitive. Cela a été particulièrement le cas lors du débat entre Marion Maréchal et Mathilde Panot sur BFMTV en décembre 2023.

MarechalPanot

Parler aux militants

Vu de l’extérieur, la situation est peu reluisante. L’internaute lambda constate que chaque camp est enfermé dans une bulle médiatique, réalise que des députés relaient quasiment les mêmes messages au mot près comme des perroquets. Il peut avoir l’impression que la politique sur X est surtout destinée à plaire aux militants les plus acharnés.

"C’est aussi l’un des buts", glisse Martin Paugam. "La force de frappe numérique permet d’instaurer un rapport de force au même titre que le nombre de personnes présentes à une réunion publique." Cela permet aussi d’occuper les militants qui peuvent désormais tweeter et relayer la bonne parole. Tout en continuant à tracter, boîter ou faire la claque dans les meetings.

Mais il y a un revers de la médaille : les militants s’enferment dans une entre-soi, peuvent se radicaliser et donner une mauvaise image de la chose publique. Voir des personnes s’invectiver, répéter à la chaîne des éléments de langage concoctés en haut lieu, harceler en meute les opposants ne donne pas une bonne image de la politique qui, au sens noble du terme, est l’art de l’argumentation et de la nuance. Chose impossible sur le réseau d’Elon Musk.

"La force de frappe numérique permet d'instaurer un rapport de force au même titre que le nombre de personnes présentes à une réunion publique"

L’impossible nuance

"X est devenu le reflet de l’époque. Le réseau fait la part belle à la conflictualité, l’hystérisation. Plus on est outrancier, plus on fait de l’audience", se désole Martin Paugam. "Automatiquement, cela donne une prime aux partis populistes", constate le socialiste. De fait, sur X les partis les plus performants sont LFI et Reconquête!. Les forces plus modérées ne luttent pas à armes égales et s’efforcent de tenir la dragée haute, ce qui est vain.

Que faire ? Peut-être adopter la solution la plus extrême, à savoir quitter X. "Ou a minima y aller peu, raréfier sa parole pour qu’elle ait de l’impact", nuance Axel Assouline. Mais adopter cette ligne de conduite suppose une immense notoriété.

Les cellules digitales ont donc de beaux jours devant elles. Le petit jeu désormais entré dans les mœurs risque de continuer : les partis tweetent, font le buzz, imposent des sujets, les journalistes les reprennent, les militants sont contents. Surtout ceux des partis populistes qui comptent sur une immense caisse de résonance pour s’imposer dans un espace virtuel dans un premier temps. Avant de percer dans le monde réel. La croissance de X est d’ailleurs concomitante avec leurs bons résultats. Quel hasard !

 Lucas Jakubowicz

 

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