En quatrième position sur la liste menée par Raphaël Glucksmann, Aurore Lalucq brigue un second mandat au Parlement européen. Connue pour son combat en faveur de la taxation des ultrariches et des superprofits, l’économiste milite pour une Europe plus juste, plus industrialisée et davantage capable de protéger ses forces vives.

Décideurs. Quel bilan dressez-vous de votre mandat au Parlement européen ?

Aurore Lalucq. Je crois que nous avons fait preuve de clarté. Sur le plan politique et la défense du droit international, premièrement. Nous condamnons toute situation, sans exception, qui contrevient au droit international. Que ce soit en Ukraine, à Gaza, à Cuba, en Israël… C’est, à mon sens, la marque de fabrique de notre liste. Nous sommes également clairs en matière de fiscalité que nous souhaitons plus juste aussi bien à l’échelle de l’individu qu’à celle de l’entreprise. C’est dans cet objectif que j’ai été nommée rapporteur de la commission sur la taxation minimale des multinationales. J’ai également travaillé sur la première réglementation des critères ESG au niveau européen.

Avez-vous remarqué un changement au sein des instances européennes entre le début et la fin de votre mandat ?

Plusieurs tabous ont été brisés. Nous avons vécu, ces dernières années, des épisodes particulièrement marquants comme le Brexit, la crise du Covid, la guerre en Ukraine, le plan de relance mené par les Américains… Ces épisodes ont provoqué une prise de conscience et un renforcement du sentiment d’identité européenne. Les liens se sont resserrés. Les prises de position de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ou de la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, sont aujourd’hui largement écoutées. Il est désormais évident que les crises géopolitiques ont des conséquences concrètes sur l’économie.

L’Europe a montré ses failles, notamment lorsqu’elle n’a pas été en mesure, lors de la crise du Covid, de produire des masques, des respirateurs ou des médicaments. Le "doux commerce" n’existe pas. Lorsque c’est nécessaire, les États-Unis n’hésitent pas à mener des politiques protectionnistes. Nous devons faire de même. Il me semble, en somme, que l’Europe est sortie de sa naïveté.

"Le doux commerce n'existe pas. Lorsque c'est nécessaire, les États-Unis n'hésitent pas à mener des politiques protectionnistes, nous devons faire de même"

L’Europe est sortie de sa naïveté… et doit ainsi envisager une politique protectionniste ?

Nous devons défendre nos forces. On ose aujourd’hui parler de protectionnisme à l’échelle européenne. Ce n’était pas le cas il y a quelques années. Il est désormais indispensable d’aborder la question de la politique industrielle de notre continent. Nous devons protéger nos industries sans pour autant arrêter notre politique de commerce international. Nous avons renoncé à notre politique industrielle, contrairement aux États-Unis. La réindustrialisation du continent est essentielle. C’est d’ailleurs ce à quoi nous voulons nous atteler si nous sommes élus pour un second mandat, notamment en fléchant la commande publique vers les produits européens.

Nous avons pu voir, à travers les différentes crises que nous avons traversées ces dernières années, qu’il est essentiel de produire des masques, des médicaments… mais également des panneaux solaires. L’Europe doit être présente et active sur l’ensemble des marchés qui vont dans le sens du développement durable. Notre territoire est le berceau de la révolution industrielle. Il serait inconcevable que nous ne soyons pas capables de prendre part à cette nouvelle révolution industrielle "verte" qui est actuellement en cours.

Vous dites régulièrement qu’il faut "aller prendre l’argent pour le réinvestir". Une solution quelque peu brutale…

Ce qui est brutal, selon moi, c’est de constater que ceux qui ont très largement les moyens de payer leurs impôts ne le font pas. C’est inadmissible. Encore plus en temps de guerre et alors que nous vivons une période inflationniste. Cela me heurte. Que ce soit sur des considérations budgétaires, mais également au niveau démocratique. Quand on ne consent plus à l’impôt, on se place en parallèle de la société. Il faut savoir redonner au pot commun, surtout lorsqu’on bénéficie de services publics et d’une main-d’œuvre de qualité.

Contrairement à ce que certains veulent nous faire croire, l’évitement fiscal ne conduit jamais celui qui en est l’auteur à investir par la suite. Toutes nos études le prouvent. Or, au regard des enjeux actuels, il faut que nous investissions davantage. À l’échelle privée comme au niveau public. Mon discours n’est ni antitriche ni anti-entreprise. Il pointe du doigt une situation injuste et anormale. Nous avons besoin d’une fiscalité plus juste, plus lisible. Alors oui, de façon pragmatique, nous devons prendre l’argent où il est. C’est essentiel pour le bien de notre économie. Pour la plupart des PME et les ETI françaises, les mesures prises par l’Europe en matière de fiscalité semblent lointaines.

"Contrairement à ce que certains veulent nous faire croire, l'évidement fiscal ne conduit jamais celui qui en est l'auteur à investir par la suite"

Quand pourront-elles concrètement ressentir leur effet ? L’Europe pourrait-elle par ailleurs agir pour simplifier la fiscalité des entreprises ?

 Avant toute chose, il me semble que la question de la fiscalité serait secondaire pour les PME et les ETI, si leur activité était florissante sur le continent. Si elles se sentaient soutenues par la commande publique. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Au niveau européen, nous cherchons à reconstruire une fiscalité qui a été détruite, notamment celle qui s’applique aux multinationales et aux "ultra-riches". Nous essayons de remettre de l’ordre après des années de mondialisation. Mais les efforts réalisés dans ce sens sont souvent bloqués par les États membres. Nous travaillons régulièrement contre ces derniers, surtout sur les questions financières et bancaires.

Ces blocages sont réels, mais ils ne nous empêchent pas de mener la politique qui nous semble juste. Il ne faut pas croire que l’Europe soit déconnectée de la vie des Français. Elle les intéresse de plus en plus. Preuve en est : l’élection européenne est le seul scrutin qui voie son taux d’abstention baisser. La simplification fiscale est tentante. Mais l’expérience a montré que ces mesures ne profitent jamais aux citoyens les moins aisés ou aux petites entreprises locales. Elles permettent en réalité aux plus riches de payer moins d’impôts. C’est pour cela que notre sujet, avec Raphaël Glucksmann, n’est pas la simplification, mais la reconstruction de la fiscalité.

AuroreLalucq

Ne craignez-vous pas que, en taxant les entreprises les plus riches, celles-ci décident de quitter le territoire européen ?

On a longtemps eu cette crainte effectivement. Mais elle n’est pas fondée. La fiscalité n’est pas la seule raison qui conduise une entreprise à investir ou non sur un territoire. Les investissements étrangers ont d’ailleurs toujours été nombreux sur le territoire français. Le bon état des infrastructures, la main-d’œuvre qualifiée et les services publics de qualité sont des leviers tout aussi importants. Par ailleurs, je milite en faveur de la création d’accords mondiaux afin qu’aucune entreprise ne puisse échapper à l’impôt.

Quel est votre adversaire politique aujourd’hui ?

 Le Rassemblement national qui n’a rien fait au Parlement européen ces dernières années. Ils mentent lorsqu’ils déclarent avoir défendu certaines mesures. Leur lien avec la Russie est par ailleurs problématique. On ne peut pas, selon moi, être patriote et se positionner volontairement sous le joug de la Russie.

Propos recueillis par Capucine Coquand

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