Rarement deux candidats à la présidence de la République ont présenté des projets si différents. Défense, UE, sécurité, environnement, fiscalité… Voici un tour d’horizon des divergences.

Défense : deux conceptions différentes mais des hausses de budget

C’est mathématique : plus le budget de la défense augmente, plus les militaires sont contents. En théorie, l’armée peut donc se satisfaire du quinquennat Macron. L’effort financier amorcé dans la seconde moitié du mandat de François Hollande a connu une nouvelle accélération supervisée par la ministre des Armées Florence Parly. Les chiffres parlent pour eux : en cinq ans, le budget de la défense est passé de 32,7 à 41 milliards d’euros, soit une augmentation de 22 %. Pour les années à venir, la tendance devrait se maintenir, voire s’accélérer puisque la loi de programmation militaire sur la période 2021-2025 planifie de continuer la hausse du budget.

Si le programme d’Emmanuel Macron prévoit de rester dans l’Otan et son commandement intégré, il met l’accent sur une Europe de la défense, de toute manière budgétée dans la loi de programmation militaire qui mentionne le projet de drone Male (avec l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie) ou encore des projets franco-allemands tels que le MGCS qui devrait remplacer les chars Leclerc, les avions de patrouille maritime Patmar ou le Scaf, avion de combat du futur.

Marine Le Pen prône la fin de la coopération militaire franco-allemande pour cause de "divergences doctrinales"

Quid du côté de Marine Le Pen ? Sur le plan financier, elle prône une hausse du budget finalement pas si éloignée de ce qui est engagé par la majorité : une montée en charge progressive pour atteindre 55 milliards d’euros par an en 2027 (hors Opex et pensions). Concernant l’Otan, l’objectif est de quitter le commandement intégré. C’est sur la question de la défense européenne que les divergences sont les plus importantes. Le programme M La France indique noir sur blanc "l’arrêt des coopérations structurantes avec l’Allemagne (…). La relation avec l’Allemagne sera remaniée. Partant d’une traditionnelle et irrémédiable divergence de vues doctrinale, opérationnelle et industrielle avec Berlin, notamment dans le domaine de la dissuasion nucléaire et de l’exportation d’armement, Paris mettra fin aux coopérations structurantes engagées depuis 2017."

Europe : rien de commun !

En 2022, la "Marine dédiabolisée" cherche à montrer qu’elle a travaillé ses sujets, que son programme est étoffé. En témoignent les nombreux livrets thématiques présents sur le site officiel de sa campagne : numérique, handicap, protection de l’enfance… Mais sur l’Europe, rien. Quelque part, c’est logique. Le RN a longtemps défendu le Frexit et la sortie de l’euro, et cela n’a pas payé dans les urnes. Mieux vaut faire profil bas.

Mais entre les lignes, les propositions du RN conduisent de facto à la sortie de l’UE. La députée du Pas-de-Calais souhaite modifier par référendum le principe de subsidiarité : "J’y inscris la supériorité du droit constitutionnel sur le droit européen", a-t-elle exposé. Cette évolution fondamentale de notre droit trouvera à s’appliquer non seulement dans le domaine de l’immigration mais aussi dans toutes les matières, permettant à la France de concilier son engagement européen avec la préservation de sa souveraineté." Une UE à la carte qui est impossible en l’état, les statuts communautaires ne le permettant pas. Dommage pour la candidate populiste puisque de nombreux points de son programme nécessitent une sortie de l’UE pour s’appliquer pleinement. Citons pêle-mêle le fait de réserver l’emploi et les aides sociales aux seuls Français. Il en est de même pour le rétablissement des frontières nationales.

Le projet du RN ne consacre pas de livret programmatique à l'UE. Mais il y a des propositions éparses qui conduiraient de facto à une sortie de l'Union

Marine Le Pen reprend également une ficelle utilisée par les partisans du Brexit : financer les dépenses sociales par la baisse de la contribution française au budget de l’UE. Ce qui est impossible, le budget étant voté sur la période 2021-2027.

En matière de politique européenne, Emmanuel Macron est sûrement le président de la République qui a le plus affirmé son attachement à l’UE. Lors d’un déplacement en Alsace le 13 avril, il a attaqué point par point le projet de sa rivale. Selon lui, elle raconte des "carabistouilles" en expliquant qu’elle "ne paiera pas la facture du club, qu’elle en changera les règles toute seule (…). Cela veut dire qu’elle veut en sortir, mais qu’elle n’ose plus le dire." De même dans un discours prononcé à Châtenois, il a soutenu que "le projet de l’extrême droite est un projet où se cache la sortie de l’Europe (…). Sortir de cette Europe de paix, qui est une conquête des huit dernières décennies. Avec la plus grande force, vous me verrez m’opposer à ce projet parce que c’est le retour au nationalisme et le retour de la guerre."

Environnement, peut mieux vert

Emmanuel Macron comme Marine Le Pen affirment vouloir mettre l’écologie au cœur de leur projet. En pratique, le sujet a été oublié des débats du premier tour. Il a compté pour 1 % du temps de parole de Marine Le Pen lors de son passage dans l’émission Élysée 2022 sur France 2 le 31 mars. Les idées des deux candidats sont jugées peu compatibles avec les objectifs de l’Accord de Paris par plusieurs organisations, dont L’Affaire du siècle, I4CE, The Shifters et France Nature Environnement. L’actuel locataire de l’Élysée s’engage sur une neutralité carbone en 2050 - le Giec, lui, nous dit qu’il nous reste trois ans. Marine Le Pen préfère que la France aille à son rythme, sans fixer de date butoir. Néanmoins, Emmanuel Macron, mercredi 13 avril, a expliqué vouloir "enrichir" son programme avec les idées élaborées par Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot.

Sur l'environnement, Emmanuel Macron souhaite "enrichir" son programme avec des idées de LFI ou EELV. Marine Le Pen, elle, s'inscrit dans la ligne Zemmour : Haro sur les éoliennes !

Sur le nucléaire, les deux candidats veulent construire de nouveaux EPR. En revanche, concernant les énergies renouvelables, les conceptions divergent. Emmanuel Macron entend multiplier par dix la puissance solaire et implanter 50 parcs éoliens en mer d’ici à 2050. L’augmentation de la capacité de ces deux énergies était d’ailleurs une promesse de 2017, non tenue. Marine Le Pen, quant à elle, imposerait un moratoire sur le solaire et sur l’éolien, "des horreurs qui nous coûtent une fortune" et qu’elle compte démanteler. À la place, elle investirait dans l’hydroélectrique, la géothermie et l’hydrogène. Pourtant, avec la hausse des prix de l’électricité, l’éolien s’est imposé comme une source de recettes importante pour l’État : il devrait lui rapporter 3,7 milliards d’euros cette année, cinq si l’on intègre l’argent qui avait été prévu et ne sera pas dépensé, selon France Énergie éolienne.

Emmanuel Macron proposerait une taxe carbone aux frontières de l’Europe pour "éviter la concurrence déloyale", rénoverait 700 000 logements, réduirait les exportations de déchets en développant les filières françaises de recyclage. Il promet aussi de protéger "toujours mieux" les littoraux, montagnes, forêts et espaces naturels, sans pour autant préciser de quelle façon. Il ne dit rien sur les pesticides mais nourrit l’ambition d’une "grande stratégie maritime pour la France", notamment en matière de pêche. Marine Le Pen propose de compenser l’artificialisation des sols "dans la mesure du possible".

Et pour les entreprises ? Emmanuel Macron parle seulement d’indexer la rémunération des dirigeants de grandes entreprises sur le respect de leurs objectifs RSE et de proposer une information "claire sur l’impact environnemental" des produits courants dès leur achat. Marine Le Pen promet d’imposer aux vendeurs de donner des indications sur la durée de vie du produit, de réduire la fiscalité pour les objets de seconde main ou réparés et d’améliorer l’information du consommateur (mode de production, origine, circuit, conditions de recyclage…). Reste que, pour Marine Le Pen, l’écologie semble avant tout être une affaire de préférence nationale et de soutien aux entreprises françaises. L’urgence n’est pas vraiment climatique, d’après elle : l’urgence, c’est de "rompre avec une écologie dévoyée par un terrorisme climatique qui met en danger la planète, l’indépendance nationale et, plus encore, le niveau de vie des Français". Au Rassemblement national, entre pouvoir d’achat et écologie, il semble qu’il faille choisir.

Pour Marine Le Pen, l'écologie semble avant tout une affaire de préférence nationale

Entreprises : concours de baisse d’impôts

Les entreprises pourront, dans les deux cas, bénéficier de baisses d’impôts. Sous le quinquennat actuel, le taux d’impôt sur les sociétés est passé de 33,3 % à 25 % tandis que les impôts de production ont été rabotés de 10 milliards d’euros. Emmanuel Macron propose d’aller un peu plus loin avec une réduction supplémentaire de 7 milliards à travers une suppression de la part de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Marine Le Pen s’engage de son côté sur une trajectoire visant à faire fondre les impôts de production de 30 milliards sur trois quinquennats. Une baisse qui serait fléchée vers les TPE-PME.

Pouvoir d’achat

Pour ce qui est des particuliers, le président sortant entend supprimer la redevance audiovisuelle, ce qui ferait gagner 138 euros par an aux Français détenteurs d’une télévision. Afin de contribuer à un retour durable de la croissance, la candidate du RN souhaite redonner du pouvoir d’achat à ses compatriotes. L’objectif ? Que les ménages bénéficient de 150 à 200 euros supplémentaires par mois. Un effort sera notamment fait sur la TVA touchant les produits énergétiques, qu’elle considère comme de première nécessité, dont le taux passerait de 20 % à 5,5 %.

Triplement de la prime Macron, baisse des charges pour les indépendants, suppression de la taxe audiovisuelle, diminution des impôts de succession sont au menu du projet du président candidat

Gagner mieux sa vie passe également par le travail. C’est pourquoi les deux candidats qualifiés pour le second s’engagent sur le sujet. Emmanuel Macron propose aux électeurs, selon ses mots, "de mieux vivre de leur travail, de travailler plus longtemps, de travailler mieux et de renforcer les droits et les devoirs". Ce qui passe notamment par le triplement de la prime dite Macron, une baisse des charges pour les indépendants, un RSA conditionné à une activité effective ou encore une diminution des impôts de succession afin de transmettre le fruit de son labeur. Dernière proposition qui, si elle est calibrée autrement, se retrouve également dans le programme de Marine Le Pen. La candidate RN propose aussi de revaloriser les salaires et d’exonérer de cotisations patronales supplémentaires les entreprises qui augmentent tous leurs salariés de 10 %. Quoi qu’il en soit, entre les deux programmes, le Medef a tranché. Il juge le programme d’Emmanuel Macron le "plus favorable" à l’économie.

Justice : deux visions

Dura lex, sed lex ? Marine Le Pen vous dira que le "dura" est galvaudé car, "loin d’endiguer la délinquance et la criminalité, la loi française favorise son essor". La candidate RN rêve d’une société dans laquelle "les délinquants doivent avoir peur des policiers et des gendarmes, doivent craindre la Justice, parce qu’elle les sanctionnera rapidement et sévèrement". En pratique ? Elle souhaite limiter les possibilités d’aménagement et de réduction de peine, allonger les périodes de sûreté, établir une perpétuité réelle, introduire une notion adaptée aux actes commis en bande, encourager les courtes peines d’emprisonnement, sanctionner financièrement les parents de mineurs délinquants. La candidate n’est pas adepte du rappel à la loi, qu’elle voit comme un "encouragement à la violer". Pas adepte non plus de l’avertissement pénal probatoire. Pour elle, seuls deux types de peines "peuvent être compris par les délinquants et criminels" : les amendes et la prison ferme. En pleine course à la dédiabolisation, la candidate RN continue toutefois à tracer un sillon dans la lignée du FN. Mais la peine de mort a disparu du projet.

Dans le programme d’Emmanuel Macron, pas de propositions pour des peines plus sévères. Il préconise des amendes forfaitaires plutôt que de longues procédures pour les délits du quotidien. Tous deux, toutefois, se rejoignent sur l’idée de faciliter le dépôt de plainte. Selon les délits, Marine Le Pen propose que certaines puissent être déposées au domicile des victimes ou sur le lieu de l’infraction. Emmanuel Macron suggère la plainte en ligne.

Les deux candidats promettent d’augmenter considérablement le nombre de magistrats et personnels de justice. Marine Le Pen souhaite aussi qu’ils aient la garantie que le nombre de places de prison disponibles "n’influe pas sur les décisions qu’ils prennent". Solution : construire 25 000 places, pour atteindre 85 000 lits d’ici à 2028, et expulser les étrangers condamnés. Le président sortant, lui, avait promis la construction de 15 000 places de prison d’ici à la fin de son quinquennat. 7 000 sont en route ou ont été livrées, il lui faudra poursuivre sur cette lancée.

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Les deux candidats mettent l'accent sur la sécurité.

Sécurité : course à la fermeté

De manière classique, la sécurité serait la "première priorité du quinquennat" de Marine Le Pen. Les policiers et gendarmes, estime-t-elle, "doivent utiliser la force si nécessaire, sans jamais craindre de l’utiliser" : à eux la présomption de légitime défense si elle était élue. Les atteintes aux forces de l’ordre seraient punies par une sanction sévère et immédiate, sans que l’on sache bien quelles sanctions elle imagine. C’est plus clair du côté d’Emmanuel Macron : il envisage la privation des droits civiques pour ceux qui s’en prennent aux dépositaires de l’autorité publique.

Tous deux recruteraient davantage de policiers, gendarmes et administratifs. Le président-candidat créerait une "force d’action républicaine" constituée de forces de sécurité, de magistrats et d'équipes éducatives pour "rétablir l’ordre en urgence dans les quartiers en crise". Tous deux, également, veulent cibler l’islam radical. Emmanuel Macron poursuivrait la fermeture d’associations et de mosquées radicales, et d’écoles clandestines. Il renforcerait aussi le contrôle des financements étrangers. Marine Le Pen va encore plus loin : toute pratique, manifestation, publication et diffusion publique de "l’idéologie islamiste" serait interdite. La nationalité française serait retirée aux individus qui ne s’y plieraient pas. Enfin, elle recréerait une grande direction des renseignements généraux pour mieux détecter les projets terroristes.

Olivia Fuentes, Olivia Vignaud, Lucas Jakubowicz

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