L’Autorité de la concurrence a tranché : la création du contreseing d’avocat n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence entre avocats et experts-comptables.

L’Autorité de la concurrence a tranché : la création du contreseing d’avocat n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence entre avocats et experts-comptables. À l’heure où le projet de loi de modernisation des professions juridiques est sur le point d’être adopté par l’Assemblée nationale, cet avis semble entériner l’établissement futur d’une grande profession du droit.

En juin?2008, le président de la République Nicolas Sarkozy confiait à l’avocat d’affaires Jean-Michel Darrois les rênes d’une commission de réflexion autour de la modernisation des professions du droit. L’objectif : relever le défi de la concurrence internationale. Car les professionnels français, notamment les avocats, accusent un certain retard vis-à-vis de leurs confrères anglo-saxons en termes d’organisation et de développement de leurs activités. Le constat tiré des travaux de la commission est plutôt alarmant : l’avocature française est une profession hétérogène, avec de fortes inégalités de revenus entre ses membres.

La réforme était donc urgente, et la ministre de la Justice Michèle Alliot-Marie n’a pas tardé à lancer la machine législative.


Et Darrois créa le contreseing d’avocat

Remis en avril?2009, le rapport Darrois a largement inspiré le projet de loi de modernisation des professions judiciaires et juridiques présenté en première lecture devant l’Assemblée nationale le 23 juin dernier.

Parmi les mesures phares, la création d’un nouvel acte juridique : le contreseing d’avocat. Dans un contexte de contractualisation de la société, calqué sur le modèle anglo-saxon, le législateur a voulu sécuriser la vie des particuliers et des entreprises, et diminuer par la même occasion le risque de contentieux en faisant

intervenir un professionnel du droit dans la négociation et la rédaction des contrats les plus courants comme un bail commercial, une donation de biens, etc.
Car près de 90?% des actes juridiques se font sous seing privé, et le plus souvent les parties ont recours à des formulaires pré-imprimés ou trouvés sur le Net. Avec le projet de réforme, l’avocat peut donc, par son contreseing, attester avoir pleinement éclairé la personne qu’il conseille des conséquences juridiques de l’acte et accorder ainsi plus de sécurité juridique aux parties.

Les experts-comptables exclus

Si la mesure doit permettre aux avocats d’élargir leurs compétences en matière de conseil, elle n’a pas accueilli l’adhésion d’une profession que l’on a trop tendance à exclure du domaine juridique, celle des experts-comptables.
Ces professionnels du chiffre s’imposent pourtant comme les conseillers permanents des chefs d’entreprise. Avec plus de 24 000 représentants en France, les experts-comptables ont gagné une place de choix auprès des très petites, petites et moyennes entreprises − notamment en Province − qui avouent recourir à eux également pour des questions de droit.

  Spécialiste de la comptabilité et de la gestion, l’expert-comptable participe en effet à la clarification de certains aspects juridiques liés à la vie quotidienne de l’entreprise. L’article 22  de l’ordonnance du 19?septembre 1945 réglementant la profession précise toutefois que, si ces compétences juridiques ont été attribuées aux experts-comptables, elles ne sauraient «?faire l’objet principal de leur activité?». Ce pouvoir ne peut s’exercer qu’au profit d’entreprises pour lesquelles ils assurent «?des missions d’ordre comptable de caractère permanent ou habituel ou dans la mesure où lesdites consultations, études, travaux ou avis sont directement liés aux travaux comptables dont ils sont chargés?». De quoi cloisonner les domaines d’intervention entre avocats et experts-comptables. Et pourtant. Avec l’introduction du contreseing d’avocat, les experts-comptables y ont vu une perte de leurs prérogatives.


L’intervention de l’Autorité de la concurrence

Le Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables (CSOES), appuyé par deux syndicats professionnels − l’Institut français des experts-comptables et des commissaires aux comptes et Experts-comptables et commissaires aux comptes de France – a saisi pour avis l’Autorité de la concurrence au début de l’année 2010, quelques semaines avant la présentation du projet de loi en conseil des ministres. Pour Joseph Zorgniotti, président du CSOEC, cette mesure exclut la profession de tout un marché : celui de la rédaction d’actes juridiques au profit des PME, ses clients de prédilection qui, bien souvent, ne s’en remettent à un avocat qu’en cas de contentieux.
Le 27?mai 2010, l’Autorité de la concurrence a rendu son avis et selon elle, «?la création du contreseing d’avocat n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché des prestations de consultation et de rédaction des actes juridiques rendus aux entreprises?».

Pour le gendarme de la concurrence, les avocats ne disposent pas, avec cette mesure, d’une «?position dominante collective, compte tenu notamment du caractère fortement atomisé de la profession, de l’absence de numerus clausus et du caractère fortement disputé du marché de conseil et de rédaction d’actes?».
L’instance rappelle enfin qu’il n’existe aucune certitude quant au succès que rencontrera le recours du contreseing d’avocat auprès des entreprises. Le nouvel acte coexistera en effet avec l’acte authentique du notaire et l’acte sous seing privé traditionnel. Et vu l’ancrage des experts-comptables auprès des entreprises en province, on peut s’interroger sur l’opportunité, pour ces chefs d’entreprise, de recourir à un avocat lorsque leur expert-comptable peut les «?éclairer juridiquement?».

Si l’un des objectifs premiers de la réforme était de mettre fin à l’éparpillement des compétences entre les professions du droit, la naissance du contreseing d’avocat permettra-t-il plus de lisibilité et de clarté pour le justiciable ?


Vers plus d’interprofessionnalité

Dès la publication de l’avis, le Conseil national des barreaux et le Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables ont décidé de publier un communiqué de presse commun avec un seul mot d’ordre : s’engager vers une «?collaboration sereine et efficace?», notamment celle de l’interprofessionnalité capitalistique, également préconisée par le rapport Darrois et reprise par le projet de loi de modernisation des professions du droit.

Par sa décision, l’Autorité de la concurrence semble entériner un projet de loi qui, depuis, est passé en première lecture devant l’Assemblée nationale sans aucun amendement. Les verrous vont sauter. La loi de modernisation devrait voir naître de nouvelles structures où avocats, notaires, experts-comptables et huissiers de justices peuvent travailler ensemble.

Juillet 2010

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