Spécialistes de l’accompagnement des entreprises familiales et plus largement de la clientèle privée, Amandine Allix-Cieutat et Lara Despicht parlent de la stratégie de la double enveloppe société civile avec souscription de contrat de capitalisation comme véhicule de réinvestissement. Souple, évolutif et sur mesure, ce schéma offre beaucoup d’atouts. Les associées en détaillent les principaux avantages mais aussi les principaux écueils et points de vigilance.

Décideurs. Pourquoi préconiser la société civile avec contrat de capitalisation dans le cadre d’une transmission ?

Amandine Allix-Cieutat. C’est une stratégie qui s’inscrit parfaitement dans un schéma de transmission familiale d’actifs financiers.  A la suite d’un évènement de liquidité (cession d’entreprise, liquidation d’un trust familial, perception d’une indemnité de licenciement, cession d’un actif « core » du patrimoine familial etc.), cette solution permet de conserver l’unicité du capital et donc sa performance, tout en organisant sa transmission aux générations suivantes.

La société civile permet de définir une gouvernance familiale sur mesure pour offrir aux transmettants l’accès à un complément de revenus selon leurs besoins tout en verrouillant ce même accès à ses enfants.

Enfin, le contrat de capitalisation permet de palier la transparence fiscale de la société civile et de maîtriser sa fiscalité.

Lara Despicht. Cette solution présente en effet beaucoup d’avantages sur le papier. Outre une certaine technicité et une parfaite retranscription du cahier des charges du bénéficiaire dans la documentation juridique, l’écueil se trouve principalement dans la mise en œuvre car elle nécessite la collaboration de plusieurs acteurs qui doivent se coordonner parfaitement. Notre accompagnement consiste non seulement à « designer » la solution pour le client mais également à en assurer la mise en œuvre afin que la stratégie soit exécutée comme souhaité. Cet accompagnement à 360°, de la solution à la mise en œuvre, constitue l’un des traits caractéristique de notre ADN.

Concrètement, à quoi tient la réussite de la mise en œuvre ?

A. A.-C. Le succès dépend bien sûr de nous mais aussi de tout l’écosystème qui entoure le client et qui doit parfaitement cerner le mécanisme: banquiers privés, compagnies d’assurance, notaires, experts-comptables, etc. C’est un vrai travail d’équipe. Par exemple, pour que les parents aient accès au capital et aux revenus, la rédaction des statuts est primordiale bien sûr mais vis-à-vis des tiers et de la compagnie d’assurance notamment, ils ne doivent pas entraver le pouvoir de faire des retraits pour le client. En cas de besoin urgent de liquidité, si la compagnie d’assurance exige une assemblée générale alors qu’il s’agit de la compétence de la gérance, la solution que nous avions structurée perd sa souplesse et devient encombrante.

"La société civile avec souscription de contrat de capitalisation a beaucoup d’atouts au-delà de sa souplesse" 

Pouvez-vous revenir sur un exemple particulier ?

L. D. Récemment, nous avons mis en place une société civile avec souscription de contrat de capitalisation dans deux cas de figure assez différents. Le premier cas concernait des membres d’une famille bénéficiaires d’un trust. Étant tous devenus résidents français, l’intermédiation du trust n’était plus souhaitée, ce que n’avaient pas prévu à l’époque les constituants étrangers pour qui l’utilisation d’un trust était chose commune. La Famille souhaitait pouvoir s’affranchir de cette structure, aujourd’hui encore mal appréhendée par l’administration fiscale et qui laisse subsister des incertitudes sur son traitement fiscal. Bien que la jurisprudence récente soit favorable aux contribuables bénéficiaires de trust étrangers s’agissant de l’application des dispositions de l’article 123 bis du CGI, ces derniers auront tout intérêt à sortir d’une telle structure, en raison notamment des obligations déclaratives lourdes qu’impose la loi.

Les trustees (administrateurs du trust) avaient été investis d’un pouvoir fiduciaire par les constituants originels, et devaient à ce titre autoriser expressément la liquidation. Nous leur avons proposé cette solution qui permet de conserver la gouvernance du trust et la gestion globale des actifs, en étant mieux adaptée à nouvel environnement fiscal des bénéficiaires. Les trustees ont été rassurés par la cogérance avec un tiers à la famille et les systèmes de verrous sur les sorties de fonds pour maintenir la protection des jeunes bénéficiaires. Il s’agissait donc d’une solution gagnante pour toutes les parties prenantes : trustee, bénéficiaires et gérants.

Vous êtes également intervenu sur un cas un peu plus classique …

A. A.-C. Tout à fait. Il s’agissait cette fois-ci d’une société familiale dans laquelle les parents avaient transféré la nue-propriété de certains titres à leurs enfants tout en gardant la pleine propriété du reste des titres. Lors de leur sortie de la société, une partie du prix de cession était donc démembrée. L’ensemble fut réinvesti dans le contrat de capitalisation : la partie démembrée en apport en capital, avec souscription de parts d’une société civile démembrées par subrogation réelle, tandis que le prix de cession conservé en pleine propriété a été apporté en compte courant. L’appréhension des liquidités par l’usufruitier se fait alors en priorité par remboursement de son compte courant afin de simplifier la procédure en cas de besoin de liquidité urgent. Lorsque le compte courant est totalement remboursé, une distribution de dividendes est nécessaire. A cet égard, il faut définir statutairement le bénéfice comptable. On peut par exemple décider que l’accroissement de la valeur du contrat chaque année appréhendé lors d’un rachat partiel sera considéré comme du bénéfice courant. A défaut, la société civile pourra consentir une avance à l’associé. En tout état de cause, en fonction des besoins de la famille, il faut être particulièrement attentif sur la définition du bénéfice comptable, celle du droit au dividende des usufruitiers et des nus propriétaires et sur la façon d’appréhender la trésorerie de la société civile. Les parents désireux de transmettre mais inquiets de ne pas devenir dépendants de leurs enfants, peuvent être rassurés par cette stratégie.

 

L. D. La problématique du réinvestissement peut se poser à un âge où il est opportun de transmettre mais aussi lorsque l’on encore jeune et actif, avec de nouveaux projets professionnels. Pour nos clients désireux de transmettre, nous nous efforçons de trouver le meilleur équilibre : anticiper la transmission mais conserver le contrôle de l’investissement des actifs car les évènements de la vie peuvent faire survenir des besoins urgents de liquidités. De même avec l’allongement de l’espérance de vie, les besoins en financement du train de vie s’accroissent. Cet équilibre est assuré grâce à la gouvernance « sur-mesure » de la société civile mais il faut garder en tête que celle-ci doit pouvoir évoluer dans le temps pour les mêmes raisons. Les clients sont très sensibles à cela.

"Réinvestir en démembrement sur un portefeuille-titre en direct présente des problématiques fiscales et civiles"

Quels sont les avantages de ce montage comparé, par exemple, à un réinvestissement en démembrement sur un portefeuille titre ?

A. A.-C. La société civile avec souscription de contrat de capitalisation a beaucoup d’atouts au-delà de sa souplesse. Réinvestir en démembrement sur un portefeuille-titre en direct présente des problématiques fiscales et civiles. Fiscales car il peut y avoir une décorrélation entre le redevable de l’impôt et le détenteur des droits financiers. Par exemple et à défaut de convention contraire, les nus propriétaires devront supporter la fiscalité sur les plus-values alors même qu’ils pourraient ne pas avoir accès aux fonds. Civiles car il sera difficile de tracer et de conserver le démembrement. Par exemple, les dividendes générés sur le portefeuille reviennent à l’usufruitier qui en est plein propriétaire. Il n’est pas possible de les réinvestir en nue-propriété. Enfin, au regard de la présomption posée par l’article 751 du code général des impôts lors de l’ouverture de la succession de l’usufruitier, il sera quasiment impossible de prouver l’origine du démembrement des positions du portefeuille auprès de l’administration fiscale. En effet, pour en apporter la preuve, il faudrait partir du compte à l’instant du décès puis parvenir à remontrer, arbitrage après arbitrage, jusqu’au démembrement initial. L’administration pourrait donc considérer que les avoirs appartenaient en pleine propriété à l’usufruitier.

Dans la société civile, cette démonstration est très simple puisque le démembrement porte sur les parts et la comptabilité de la société, s’il elle est tenue – ce que nous recommandons fortement – ne laissera pas de doute. Techniquement, la banque dépositaire des fonds, crédite le produit des cessions d’abord sur un compte démembré ouvert spécifiquement pour l’opération puis à nouveau le vire à nouveau sur le compte de la société civile.

Sybille Vié et Aurélien Florin

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