La décentralisation et la dématérialisation des essais cliniques constituent une évolution majeure dans le secteur de la recherche clinique. Cette avancée, boostée par les restrictions sanitaires liées à la Covid-19, a pour objectif de positionner le patient au centre de l’étude et ainsi répondre aux difficultés rencontrées par les promoteurs dans la conduite de leurs essais cliniques.

À titre liminaire, il existe, à l’heure actuelle, trois grands types de modèles d’essais cliniques. Les essais cliniques totalement centralisés ou traditionnels, au cours desquels toutes les activités sont conduites sur le site de recherche et qui nécessitent le déplacement physique systématique du participant. Les essais totalement décentralisés, au cours desquels toutes les activités sont conduites à distance, grâce à l’utilisation de solutions digitales (objets connectés, télémédecine etc.) ainsi que l’organisation de soins à domicile. Les essais dits "hybrides", qui sont des essais partiellement décentralisés et dématérialisés, au cours desquels les actes les plus complexes (par exemple, les scanners) sont conduits sur le site de recherche, tandis que les actes moins complexes sont conduits à distance (par exemple, délivrance des médicaments à domicile, surveillance à distance, etc.).

"Malgré des constats très positifs, la recherche à distance est encore freinée par un cadre réglementaire trop souvent inadapté"

Cette dernière catégorie d’essais cliniques dits "hybrides" a connu un développement fulgurant pendant la récente pandémie (leur taux de croissance annuel aurait été de 5-15 % avant la pandémie et de 30-50 % après). Ils sont désormais prédominants dans le domaine de la recherche clinique et cette tendance ne peut que se confirmer. 

Les essais cliniques dits "hybrides" sont nés de la pratique et il n’existe pas, en France, de définition légale ou de régime juridique spécifique qui leur soit applicable. En revanche, leur objectif est clair : positionner le participant au centre de l’étude. Les moyens d’action déployés à cette fin sont principalement : le déplacement du site de recherche vers le participant en s’appuyant, par exemple, sur un personnel de recherche mobile ou encore sur la délivrance de médicaments à son domicile (décentralisation) et l’utilisation de dispositifs connectés permettant notamment le recours à la télémédecine (dématérialisation).

Malgré les constats d’une croissance exponentielle et de retombées positives pour l’ensemble des parties prenantes (promoteurs, investigateurs et participants), des freins au développement des essais cliniques décentralisés et dématérialisés subsistent.

L’absence de positionnement concret des autorité

En l’absence d’un corps de règles spécifiquement applicables aux essais cliniques décentralisés et dématérialisés, les règles classiques encadrant les essais cliniques s’appliquent. Or, celles-ci n’ayant pas été rédigées ou amendées pour prendre en compte les spécificités de cette nouvelle génération d’essais, elles se révèlent trop souvent inadaptées en pratique. Depuis la Covid-19, des recommandations des autorités françaises ou européennes ont été adoptées pour tenir compte des impératifs de la crise sanitaire et pour permettre la continuité des essais cliniques à distance. Néanmoins, ces recommandations étaient, pour la plupart, limitées à la crise sanitaire, et leur prolongation dans le cadre d’un régime pérenne est parfois encore incertaine.

Ce défaut de positionnement des autorités est un véritable frein au développement des essais décentralisés et dématérialisés. Des évolutions prochaines sont très attendues. La nécessité de garantir une protection efficace du participant à l’étude La protection efficace du participant à un essai clinique doit être assurée à tous les stades de l’étude. Cette protection requiert une attention toute particulière lorsque l’essai est (en partie) décentralisé et dématérialisé.

"Le recours à la télémédecine est une solution virtuelle très exploitée dans le cadre d’essais cliniques décentralisés et dématérialisés"

En premier lieu, se pose la question du recrutement dématérialisé des participants. Celui-ci se fait classiquement sur le site de recherche ou par l’intermédiaire des professionnels de santé qui suivent les patients ciblés. Néanmoins, les textes n’interdisent pas de recourir au recrutement dématérialisé, par exemple par le biais d’Internet et des réseaux sociaux. Dans ce cas, les promoteurs qui soumettent les modalités de recrutement aux autorités doivent notamment être en mesure de justifier que les patients ciblés reçoivent les informations adéquates et nécessaires sur l’étude et que la protection de la confidentialité de leurs données est garantie.

Au stade de l’information du participant et du recueil de son consentement, si la délivrance d’une note d’information dématérialisée semble globalement acceptée par les autorités, celles-ci paraissent plus hésitantes à l’égard du consentement dématérialisé ou "e-consent". Or, dès lors qu’une information préalable, complète, loyale, objective et compréhensible est délivrée au participant lors d’un entretien individuel (qu’il soit en présentiel ou à distance) afin de lui permettre de consentir de façon libre et éclairée à participer à l’étude, une telle position peut sembler trop conservatrice.

Le recours à la télémédecine est une solution virtuelle très exploitée dans le cadre d’essais cliniques décentralisés et dématérialisés. Elle peut prendre plusieurs formes et notamment celle de la télésurveillance médicale (à l’aide de dispositifs médicaux permettant une surveillance à distance des participants et la collecte de données de vie réelle en continu) ou encore celle de la téléconsultation (permettant de limiter les déplacements des participants vers le site de recherche). De la même façon que dans le cadre d’une activité de télémédecine classique, le recours à la télémédecine dans le cadre d’un essai clinique nécessite d’anticiper de nombreux aspects. En particulier, les actes de télémédecine doivent être clairement prévus dans la documentation fournie au participant puisque ce dernier doit avoir donné son consentement libre et éclairé à leur réalisation. Par ailleurs, la traçabilité et la sécurité des données échangées dans le cadre des actes de télémédecine doivent être garanties.

Enfin, le recours à des visites (par exemple pour des soins infirmiers) ou à la livraison de médicaments expérimentaux au domicile du participant présente également un défi majeur : la préservation du secret des informations médicales du participant à l’essai. Celle-ci requiert souvent la mise en place d’une organisation complexe afin que les intervenants externes à la recherche (par exemple : les logisticiens ou personnes en charge de la prise de rendez-vous) n’aient pas accès à des informations couvertes par le secret médical.

SUR LES AUTEURS

Julie Yeni est associée chez Baker McKenzie à Paris et dirige l’équipe Life Sciences. Elle conseille au quotidien les industriels du secteur de la santé sur la réglementation applicable à leurs activités et leurs produits, tout au long de leur cycle de vie.

Caroline Arrighi-Savoie est collaboratrice senior au sein de l’équipe Life Sciences dirigée par Julie Yeni. Elle est également membre d’un CPP.

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