Parfois plusieurs dizaines d’années après leurs prescriptions, des médecins gynécologues, dermatologues, endocrinologues ou généralistes doivent répondre de la prescription d’une molécule dont les risques ont été longtemps ignorés puis connus des seuls hypers spécialistes sans aucune information institutionnelle avant l’automne 2018. Aucune condamnation définitive n’est encore intervenue mais les laboratoires et autorités de santé ne pourront échapper à leur part de responsabilité.
Androcur et tumeurs intracrâniennes : des prescriptions à risque
L’Androcur ou acétate de cyprotérone est un progestatif de synthèse initialement commercialisé en 1980 par le laboratoire Schering puis racheté par Bayer en 2006 et "génériqué" par de nombreux laboratoires à compter de 2004.
Si l’autorisation de mise sur le marché (AMM) a été délivrée pour l’hirsutisme (hyperpilosité) féminin majeur et le cancer de la prostate, 80 % des prescriptions ont eu lieu "hors AMM" pour traiter des signes d’hyperandrogénie chez la femme (acné, alopécie, hyperpilosité, troubles du cycle, endométriose) ou le transsexualisme, grâce à ses effets anti-masculinisants et à sa bonne tolérance.
Ce médicament, le plus souvent prescrit par des gynécologues, des dermatologues, des endocrinologues ou des médecins généralistes sur de très longues périodes se comptant parfois en dizaines d’années, était plébiscité par les patients compte tenu de l’impact des troubles combattus.
Si l’autorisation de mise sur le marché (AMM) a été délivrée pour l’hirsutisme (hyperpilosité) féminin majeur et le cancer de la prostate, 80 % des prescriptions ont eu lieu "hors AMM" pour traiter des signes d’hyperandrogénie chez la femme ou le transsexualisme
Si, dès 2007, le Professeur Froelich, neurochirurgien à Strasbourg, a envisagé un possible lien entre la prise d’acétate de cyprotérone et la croissance de méningiomes, l’information a longtemps circulé exclusivement au sein de la très petite communauté des neurochirurgiens. Les modifications de la notice médicament (RCP) du Vidal et de la notice jointe au médicament, intervenues en 2011 et 2013, sont respectivement passées inaperçues, les prescripteurs ne vérifiant pas la notice à chaque prescription de médicament et les patients ne lisant pas davantage la notice de médicaments pris au long cours.
À l’origine, un traitement efficace et des risques relativement faibles
Ajoutons à cela que l’alerte alors contenue dans la notice n’était pas de nature à faire renoncer facilement à un traitement efficace puisque la notice indiquait seulement que "des cas de méningiomes (tumeur généralement bénigne du tissu situé entre le cerveau et le crâne) ont été rapportés en cas d’utilisation prolongée (plusieurs années) d’Androcur…".
Les autorités de santé n’ont de leur côté fait aucune communication auprès des médecins prescripteurs, qui ont donc continué à prescrire l’Androcur, très majoritairement hors AMM, sans tenir compte d’un possible risque dont ils ignoraient tout.
Ce n’est qu’en juin 2018, alors qu’une étude d’envergure menée par l’assurance maladie et l’hôpital Lariboisière où exerçait alors le Professeur Froelich avait relevé une majoration du risque de méningiome sous Androcur avec une forte relation dose/effet, qu’une séance d’un comité scientifique de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a été consacrée au risque de méningiome sous acétate de cyprotérone et a préconisé qu’une communication soit faite lors des congrès de gynécologues, de dermatologues et d’endocrinologues.
Ce n’est qu’en juin 2018, qu’une étude d’envergure relève une majoration du risque de méningiome sous Androcur avec une forte relation dose/effet
Ce n’est d’ailleurs qu’en septembre 2018 que l’ANSM a demandé aux professionnels de santé d’informer les patients du risque de méningiome, de réévaluer le rapport bénéfice/risque pour chaque patient, de vérifier l’absence de méningiome au début du traitement et de prescrire strictement dans le cadre de l’AMM, et ce n’est qu’à partir de 2019 que les prescriptions ont été formellement encadrées avec l’introduction d’un formulaire d’accord de soins cosigné par le patient et le prescripteur.
La multiplication des publications scientifiques et la diffusion de l’information relative au risque de méningiome sous Androcur dans la presse à l’automne 2018 ont sonné le lancement des procédures initiées par les patients, souvent regroupés au sein d’associations, contre les laboratoires (Bayer mais aussi les nombreux laboratoires génériqueurs : Arrow, Biogaran, EG, Mylan, Sandoz, Teva, Zentiva), les autorités de santé et donc également les médecins prescripteurs.
Ces derniers, parfois âgés, souvent retraités, se voient contraints de répondre de prescriptions initiales ou de simples renouvellements de prescriptions, presque toujours hors AMM mais, pourtant, conformes aux recommandations de leurs sociétés savantes, des années après les faits.
Les procédures sont introduites devant les Commissions d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) ou devant les tribunaux judiciaires, et les collèges d’experts qui sont désignés comprennent des neurologues, des pharmacologues et des neurochirurgiens mais aucun médecin prescripteur.
La multiplication des publications scientifiques et la diffusion de l’information relative au risque de méningiome sous Androcur dans la presse à l’automne 2018 ont sonné le lancement des procédures initiées par les patients
La soixantaine de médecins prescripteurs défendue par le cabinet Tamburini-Bonnefoy, tous gynécologues, dermatologues, endocrinologues ou médecins généralistes, libéraux, voit donc ses prescriptions, parfois très anciennes, passées au crible par un aréopage d’experts n’ayant jamais eu à prescrire d’acétate de cyprotérone ou à répondre à la détresse de patients souffrant d’acné, d’alopécie, d’hyperpilosité, de troubles du cycle, d’endométriose ou encore de trouble de l’identité sexuelle et pour lesquels Androcur et ses génériques ont, pendant des années, apporté une solution qui n’était alors pas contrebalancée par un risque connu de méningiome.
La charge de la preuve aux médecins prescripteurs
Cette absence d’expert "prescripteur" conduit inévitablement à un renversement de la charge de la preuve, la légitimité des prescriptions n’étant plus présumée. Au contraire et contre toute logique juridique, c’est au médecin mis en cause pour ses prescriptions, pour chacune de ses ordonnances, de démontrer sa conformité aux recommandations des sociétés savantes et de communiquer la littérature médicale préconisant la prescription d’acétate de cyprotérone en dehors de l’AMM.
Si la gravité des conséquences des méningiomes, qui ne sont pas induits par l’Androcur mais dont la croissance est majorée par le traitement, nécessite bien évidemment une prise en charge y compris indemnitaire des patients concernés, il est permis de s’interroger, à l’heure où notre pays manque de médecins et singulièrement de gynécologues et de dermatologues, sur les conséquences de cette sanction des prescripteurs d’Androcur.
Les éventuelles condamnations des médecins prescripteurs, pour des prescriptions conformes aux recommandations et donc au seul motif qu’elles étaient hors AMM, ne seront acceptables qu’à la condition que les laboratoires et les autorités de santé, qui ne pouvaient ignorer que la molécule était presque toujours prescrite hors AMM, et qui pour les premiers en tiraient un bénéfice économique certain, prennent leur juste part de responsabilité.
L’histoire judiciaire des méningiomes sous Androcur reste à écrire ; elle ne devra pas bafouer les règles de la responsabilité civile au seul motif de vouloir indemniser les victimes en préservant les laboratoires et les autorités de santé.
LES POINTS CLÉS
- L’acétate de cyprotérone dispose d’une AMM pour l’hirsutisme majeur et le cancer de la prostate ;
- Il était à 80 % prescrit hors AMM pour l’acné, l’alopécie, l’hyperpilosité, les troubles du cycle, l’endométriose,
le transsexualisme ; - La découverte en 2007 d’un possible lien entre le traitement et des méningiomes, tumeurs intracrâniennes le plus
souvent bénignes, n’a fait l’objet d’une diffusion large qu’à partir de 2018 ; - Tamburini-Bonnefoy défend les médecins prescripteurs à qui sont reprochées ces prescriptions pourtant habituelles.
SUR L’AUTEUR
Catherine Tamburini-Bonnefoy, avocat, a créé en 2021 le cabinet Tamburini-Bonnefoy qui offre à ses clients une expertise exclusivement dédiée à la responsabilité médicale. Entourée de 8 collaborateurs à Paris et à Montpellier, elle défend les établissements de santé publics et privés, les praticiens libéraux et leurs assureurs devant les juridictions civiles, administratives, pénales et disciplinaires.