Créé en 2005, l’incubateur technologique du consortium Paris-Saclay, Incuballiance, accompagne des projets issus de l’essaimage des laboratoires, mais également portés par des entrepreneurs désireux de se rapprocher de l’écosystème réputé de ce plateau technologique qui gagne en maturité. Entretien avec Philippe Moreau, son directeur général

Décideurs. Comment avez-vous traversé cette crise et quelle incidence sur l’activité d’Incuballiance ?

Philippe Moreau. L’ensemble de l’activité a été basculée en télétravail. Notre métier s’approche en fait de celui de conseil et nous passons beaucoup de temps à échanger avec les entreprises et les équipes. Ce que nous parvenons à faire à distance même si la dimension humaine, indispensable, nous manque, notamment pour continuer à fédérer les synergies. Jusqu’au début de l’été, nous avons connu une période très calme avec très peu de projets candidats émanant de personnes souhaitant se lancer dans l’aventure de l’entrepreneuriat technologique, car beaucoup ont décidé de les reporter en raison de la crise économique. Nous avons donc dû annuler une promotion d’entrepreneurs sur 2020.

Quelle est la vocation d’incuballiance ?

Avec 45 projets actuellement dans notre programme, le flux entrant est en moyenne de 25 à 30 chaque année. Environ la moitié des porteurs abandonne ou n’est pas sélectionnée. Ainsi entre dix et quinze start-up voient le jour avec un produit et une cible client bien identifiée.  

Situés au cœur de l’écosystème du plateau de Paris-Saclay, véritable ville en train d’émerger, notre vocation est d’accompagner toutes les initiatives qui sortent ou qui sont issues ou adossées à la recherche publique du pôle.  Celle-ci s’étend du CEA aux laboratoires en passant par les écoles d’ingénieurs. Nous menons actuellement un vaste programme avec la BPI baptisé « DeepTech Alliance » pour monter en puissance sur ces sujets et faire en sorte que ces projets restent sur le plateau. Adossés à la recherche publique, ils représentent environ un tiers des missions suivies. Il s’agit souvent d’opérations de DeepTech, solides en matière de propriété intellectuelle, car reposant sur une technologie différenciante et protégeable, ceci afin d’ériger une vraie barrière à l’entrée vis-à-vis des futurs concurrents.

"En France, la recherche est excellente mais nous pêchons au niveau de son transfert vers le monde de l’économie et des entreprises"

En France, la recherche est excellente mais nous pêchons au niveau de son transfert vers le monde de l’économie et des entreprises. Si des efforts ont été menés pour créer des ponts entre ces deux univers et faire émerger de belles sociétés, nous avons du mal dans l’Hexagone à passer à la vitesse supérieure. Notre programme "DeepTech Alliance" va donc consister à monter en puissance pour être en mesure d'obtenir un flux de 30 start-up Deep Tech opérationnelles, disposant d’un marché effectif.

Quels ponts sont désormais possibles sur le plateau de Paris-Saclay ?

Les choses s’améliorent car un véritable écosystème est en train d’émerger. De plus en plus de jurys croisés, d’événements ou encore de meetings inversés qui consistent à donner la parole à plusieurs grands donneurs d’ordres, souvent partenaires d’Incuballiance, s’organisent afin qu’ils présentent leur politique en matière d’innovation et leurs besoins, devant un parterre de start-uppeurs. En temps normal, c’est souvent l’inverse que l’on observe. Ces événements se multiplient sur le plateau et aux alentours. Actuellement, nous devons encore mieux articuler nos programmes avec l’École Polytechnique ou CentraleSupélec pour les rendre plus lisibles aux yeux des candidats attirés par le plateau de Saclay. Désormais, quand on fait de la Tech, Paris-Saclay est devenu incontournable et nous n’en sommes qu’au début.

L’université Paris-Saclay, créée en novembre 2019, succède à L’université Paris-Sud, supprimée le 1er janvier 2020. Elle intègre ainsi l’École normale supérieure Paris-Saclay, CentraleSupélec, l’Institut d’Optique et AgroParisTech ainsi que l’IHES, l’Institut des hautes études scientifiques. Cette création juridique a conduit à l’insertion cette année de l’Université Paris-Saclay en 14e position sur 1000 dans le classement de Shanghaï [classement international annuel des universités par discipline, Ndlr]. Un niveau jamais atteint par aucune université française depuis la création de ce palmarès en 2003.

Comment qualifieriez-vous la maturité des start-up en matière de protection aussi bien des brevets que des marques ?

Les dossiers que nous recevons sont parfois extrêmement candides, d’où la nécessité de se faire accompagner par une structure comme la nôtre ou une autre mais d’essayer de s’entourer très rapidement.  Une autre problématique se présente ensuite très rapidement : jusqu’où dévoiler votre invention sans prendre le risque de se la faire voler ? Les entrepreneurs en devenir ont tendance à trop en dire pour séduire un fonds d’amorçage ou monter le partenariat tant attendu avec le grand groupe et donc prennent des risques.

"En France nous ne sommes pas suffisamment vigilants en matière de protection de la propriété intellectuelle"

Nous travaillons avec des CPI présents sur le plateau pour les accompagner et les conseiller au niveau des protections possibles, en matière de brevets et marques. Mais je reste convaincu qu’il faut d’abord faire décoller la start-up au lieu de la plonger trop tôt dans des débats souvent longs et complexes avec les différents partenaires – SATT, instituts de recherche, avocats… – autour de la PI. En revanche, c’est une vérité, je pense que nous ne sommes globalement pas suffisamment vigilants en France en matière de protection de la propriété intellectuelle.

Il y a 2 ans, dans une interview accordée à Décideurs, vous aviez déclaré que "l'effet cluster commençait à fonctionner" sur le plateau. Où en est-on aujourd’hui ?

Si la crise sanitaire a bien évidemment ralenti cette dynamique, cet effet est toujours bien présent car le mouvement est en marche et les actions se multiplient. Il n’en demeure pas moins que l’accessibilité à ce plateau betteravier à l’origine n’est pas optimale et Paris reste plus attractif pour les jeunes talents issus des meilleures écoles d’ingénieurs. Nous ne sommes pas encore dans un lieu à dimension mondiale et cela prend du temps.

Propos recueillis par Anne-Sophie David

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