Accélération digitale, 5G, effets de la crise sanitaire ou encore place de la data dans l’industrie, la présidente de Schneider Electric pour la France, Christel Heydemann, revient sur les grands enjeux du groupe industriel, spécialiste mondial en gestion de l’énergie et en automatisation.

Décideurs. Quelles ont été les conséquences de la crise sanitaire sur votre activité ?

Christel Heydemann. La santé et la sécurité de nos collaborateurs sont notre  priorité. La crise sanitaire s’est donc traduit dans un premier temps par la mise en œuvre de mesures et de protocoles pour gérer la situation dans le strict respect des recommandations émises par les autorités sanitaires. Nous avons repensé l’organisation de nos sites de production, en dédensifiant par exemple le nombre de collaborateurs sur les lignes, et en adaptant en conséquence le nombre d’équipes. La pratique du télétravail a bien sûr été déployée rapidement pour un maximum de fonctions. Nous y étions déjà habitués avec l’utilisation des solutions collaboratives digitales, comme MS Teams, mais nous avons accéléré l’adoption de ces outils dès l’annonce du confinement et démontré que certaines fonctions pouvaient également fonctionner à distance, notamment, le centre d’appel pour support client.

Nous nous sommes fortement mobilisés pour accompagner nos clients, en particulier ceux qui opèrent sur des infrastructures critiques, comme les hôpitaux, ou les infrastructures numériques, en particulier les centres de données et les réseaux de communication, qui devaient supporter un trafic accru, ainsi que sur les services essentiels à notre vie quotidienne que sont la distribution électrique, et les usines de traitement des eaux. Nous avons également accéléré le déploiement de solutions de gestion à distance, notamment l’assistance sécurisée pour les pannes, les réparations, la formation et les tests.

"Nous avons beaucoup appris de cette crise qui confirme qu’il nous faut inventer un monde plus résilient, plus efficace, plus durable"

Aujourd’hui, il s’agit de vivre avec ce virus, au moins pour un certain temps. Nous nous sommes donc organisés pour accompagner l’ensemble de nos parties prenantes dans ce nouvel environnement. Nous avons beaucoup appris de cette crise qui confirme qu’il nous faut inventer un monde plus résilient, plus efficace, plus durable. Et qui démontre aussi que les technologies numériques constituent une formidable réponse à ces défis.

Cette crise a-t-elle accéléré votre mue digitale en interne ?

Notre transformation digitale était déjà engagée depuis de nombreuses  années. Cependant, l’agilité nécessaire induite par cette crise nous a amenés à renforcer notre système d’animation et de communication au quotidien pour gérer les performances industrielles. L’utilisation des outils digitaux, comme les tablettes, est devenue plus importante pour assurer le lien entre les personnes sur site, et celles en télétravail, comme des techniciens en intervention ou des fournisseurs de machines.

"Alors que, auparavant, un client vérifiait la conformité de sa commande sur notre site de production, le même service à distance avec le même niveau de détails et d’exigence a été mis en œuvre, grâce aux technologies digitales"

Nous avons réalisé que ce qui n’était pas encore digitalisé pouvait devenir une faiblesse, et certaines tâches quotidiennes ont dû être réinventées. Par exemple, les tests de réception à distance en usine ont été multipliés. Alors que, auparavant, un client vérifiait la conformité de sa commande sur notre site de production, le même service à distance avec le même niveau de détails et d’exigence a été mis en œuvre, grâce aux technologies digitales. Enfin, cette crise nous a incité à mettre encore plus l’accent sur la formation de nos collaborateurs aux outils et aux enjeux numériques, notamment en matière de cybersécurité. Un enjeu clef pour toute organisation aujourd’hui.

Comment aidez-vous les industriels à gagner la « guerre » digitale ?

La digitalisation n’est pas une guerre qui se gagne, mais une opportunité offerte aux entreprises de construire leur croissance sur le long terme. Assurer une traçabilité sans faille et de bout en bout dans le secteur agroalimentaire est un service qui génère de la valeur et de la confiance auprès du consommateur. L’accès à l’information est devenu cruciale, c’est tout l’intérêt de la plateforme numérique EcoStruxure proposée à nos clients.

"Nous profitons de notre propre transformation digitale pour accompagner celle des autres industriels, grâce aux briques digitales dont nous disposons"

Pour le démontrer au quotidien, nos offres EcoStruxure sont présentées sur nos propres sites industriels. Ils deviennent ainsi pour nos clients de véritables « showrooms » de notre savoir-faire : l’objectif est de les accompagner ensuite dans la mise en œuvre de ces solutions dans leurs activités.  Une structure adaptée a également été mise en place dans notre équipe de transformation digitale avec un renforcement des compétences en matière de cybersécurité et en Lean Management. Nous profitons donc de notre propre transformation digitale pour accompagner celle des autres industriels, grâce aux briques digitales dont nous disposons, et qui permettent de répondre aux problématiques des différents segments.

Quel rôle stratégique prend la data aujourd’hui dans l’industrie ?

Traçabilité, maintenance prédictive, réalité augmentée, jumeau numérique… Les industriels ont compris que la transformation digitale passe par la collecte et l’analyse des données. L’accès à l’information est clé pour décider plus vite, et mieux. Les données permettent une sécurité améliorée, l’efficience des moyens et des bâtiments, et une industrie 4.0 plus fiable pour répondre aux défis de notre temps.

L’ensemble de nos clients suivent cette démarche, depuis le déploiement de softwares pour corréler les datas entre elles et les analyser, à la mise en place d’algorithmes pour prédire la donnée. Les fabricants de machines ont compris le changement de business model : passer de la simple vente d’une machine à un modèle de vente rattaché à la performance et à la disponibilité machine. Il existe également des modèles de vente qui émergent sous forme de package location, « la machine, la maintenance, les services ». Sans une machine connectée qui remonte des données pertinentes, rien de tout cela n’est possible.

Quelle est votre plus belle réussite en matière de transformation digitale ? 

Notre plus belle réussite est l’adhésion et l’engagement de nos collaborateurs dans cette transformation numérique pour offrir des solutions toujours plus complètes à nos clients. En quelques années, nous les avons embarqués, en les impliquant directement et en tenant compte de leurs problématiques. Notre priorité était de connecter davantage les machines afin qu’un maximum de données remontent (IoT) ;  le Machine Learning a été développé, ainsi que la réalité augmentée, ou encore le MES [Manufacturing Execution System, Ndlr].  Un management des performances et de l’efficacité énergétique par les collaborateurs a également été instauré.

Puis, nous en avons fait bénéficier nos clients. Danone a été accompagné de la sorte dans les étapes en amont pour expliquer comment engager leurs équipes dans une démarche de transformation digitale. De même, auprès de SOLVAY à qui différents systèmes ont été proposés pour les aider à lancer leur transformation digitale. Celle-ci a pris forme avec la réalisation d’une « vitrine » sur l’un de leurs sites, puis mise à disposition de leurs clients et collaborateurs pour leur montrer l’intérêt de la démarche.

Projets digitaux : quelle est votre recette pour dépasser les POC et mettre à l’échelle l’innovation pour un réel impact sur la création de valeur ?

Si une recette existait, l’ingrédient principal serait la proximité et la complémentarité entre les équipes d’innovation et les équipes usine. Le partage d’informations et la réalisation de bilans constituent des clés de succès précieuses. Les décisions communes aident au déploiement de solutions fiables, qui sont abouties d’un point de vue technologique, et qui garantissent une meilleure appropriation par la suite. La culture industrielle évolue et ne peut passer que par l’Humain, garant de l’appropriation intelligente de la technologie. Nous devons parvenir à reproduire des projets : le passage à l’échelle est essentiel. Nous nous attachons à partager les réussites, et provoquer ainsi l’intérêt de nos clients avec « la preuve par l’exemple ».

"La culture industrielle évolue et ne peut passer que par l’Humain, garant de l’appropriation intelligente de la technologie"

Quel est le métier d’avenir chez Schneider Electric ? Comment attirez-vous les talents digitaux ?

Difficile de ne citer qu’un profil… Les profils d’avenir incluront la gestion des données, la maîtrise de l’informatique mais également toujours des automatismes industriels. De nouveaux métiers apparaissent, comme ceux liés à l’efficacité énergétique, mais il s’agit surtout d’évolutions : un informaticien améliorera par exemple ses compétences en cybersécurité, un collaborateur en charge de la livraison des composants sur les lignes de production se formera avec les AGV (véhicules à guidage automatique). Pour la partie commerciale, une compétence sur les logiciels deviendra importante afin de porter les enjeux de la transformation digitale auprès des clients.

Quels sont les enjeux de la 5G pour votre groupe ?

Nous avons mené avec Orange ces derniers mois une expérimentation de la technologie 5G sur notre site vitrine du Vaudreuil. Cette technologie est un accélérateur de l’Industrie 4.0 par ce qu’elle apporte en termes de vitesse, de réduction de latence et de traitement de la data en masse. Les nouvelles solutions de connectivité comme la 5G nous permettront aussi de concevoir des produits qui nécessiteront de moins en moins de câblage, comme notre nouvelle solution numérique de départ moteurs TeSys island.

Économiser de l’énergie permet d’améliorer sa compétitivité. Quels sont vos engagements et où en êtes-vous ?

L’équation est en effet relativement simple pour les industriels puisque la réduction de la facture énergétique permet une augmentation de la compétitivité. Nous nous sommes engagés à atteindre la neutralité carbone dès 2025 sur notre scope 1 et 2, et dans un programme de réduction de notre empreinte carbone. La décarbonation est un challenge qui se mène site par site, usine par usine. Et nous avons bien sûr à cœur d’accompagner nos clients dans le déploiement de leur propre démarche de décarbonation et de performance énergétique, et ceci dans des secteurs aussi divers que l’agroalimentaire avec Agrial, l’équipement automobile avec Faurecia, ou encore l’enseignement avec l’Université Grenoble Alpes.

Propos recueillis par Anne-Sophie David

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