Le 27 septembre, l'Assemblée nationale a voté en première lecture l'article premier du projet de loi sur la bioéthique qui prévoit d'étendre à toutes les femmes l'accès aux techniques de procréation médicalement assistée (PMA). Jean-Louis Touraine, médecin, député LREM du Rhône et rapporteur de la loi de bioéthique, répond à Décideurs.

Décideurs. En quoi ce vote du 27 septembre constitue-t-il une première victoire pour les femmes ?

Jean-Louis Touraine. C'est un vote historique pour les femmes puisque nous réaffirmons le droit des femmes à maîtriser leur corps, leur maternité et par là, leur vie. La PMA accessible à toutes, quelle que soit leur situation conjugale ou leur orientation sexuelle, comme la levée de l'interdit de l'autoconservation des ovocytes n'ont rien d'anodin. Il s'agit d'un geste fort et d'une étape supplémentaire dans l'émancipation des femmes.

Avant cette avancée significative pour les femmes, quels nœuds avaient été identifiés lors des auditions de la commission spéciale bioéthique ?

Les auditions de la commission spéciale ont constitué un moment important de travail sur le projet de loi, avec de nombreux experts de tous horizons, des associations, des professionnels de santé. Mais ce travail a été précédé d’une vaste séquence de concertation. D'abord avec les États généraux de la bioéthique dès janvier 2018, puis la remise de différents rapports dont celui du Conseil d’État, ceux du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), celui de l’OPECST (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques) et enfin celui de la mission d’information de l’Assemblée nationale que j’ai eu le plaisir de présenter en janvier dernier.

Cette concertation, très large et dense, a donné des outils au gouvernement et à l’ensemble des parlementaires pour aborder le débat actuel. C’est une phase importante, en particulier pour les sujets relatifs à la bioéthique, qu’il conviendra de renforcer à l’avenir. D’ailleurs, les Français sont en attente de davantage de dialogue, d’écoute et de débats.

Les auditions ont permis de poursuivre ces réflexions autour des grandes problématiques portées par le texte : sur la procréation bien entendu, mais également sur la génétique et l’intelligence artificielle.

Pensez-vous qu’il puisse y avoir un débat serein autour de la PMA pour toutes en France ?

Oui, j’en suis persuadé. Les Français y sont majoritairement favorables. De plus, nous avons pu constater au cours des débats (ceux de la mission d’information comme ceux de la commission spéciale) que les désaccords n’empêchent pas un débat respectueux, une écoute des opinions adverses et des échanges constructifs.

"Les désaccords n'empêchent pas un débat respectueux"

Vous êtes également favorable à la levée de l’anonymat pour que chaque enfant puisse accéder à ses origines...

Le projet de loi ne propose pas une levée de l’anonymat au moment du don. Ce que nous proposons, c’est que chaque personne conçue par don puisse accéder, si elle le souhaite, à des données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur, et ce à sa majorité. C’est un changement important auquel je souscris depuis longtemps : nous nous devons d’entendre ces personnes, pour qui le poids du secret peut être destructeur. C’est d’autant plus important de faire évoluer ce principe que l’explosion des tests génétiques, interdits en France mais disponibles à l’étranger, à très bas coût, risquait d’entraîner une levée de l’anonymat brutale et non organisée.

Le projet de loi prévoit de rembourser la PMA pour toutes. Combien cela pourrait-il coûter ?

Il est difficile d’estimer le nombre supplémentaire de femmes et de couples qui vont recourir à l'assistance médicale à la procréation en France car nous ne disposons pas de données suffisantes. Le CCNE a estimé qu’entre 2 000 et 3 000 femmes françaises se rendaient chaque année à l’étranger pour pratiquer une PMA.

Toutefois, l’étude d’impact réalisée par le gouvernement estime que cette prise en charge représenterait un enjeu relativement modeste pour les finances publiques : une hausse de 5% du coût total de l’AMP aujourd’hui, soit entre 10 et 15 millions d’euros. Ce coût est d’autant plus faible que les femmes qui traversent les frontières pour effectuer une PMA voient une partie de leurs examens et traitements préalables prescrits ou réalisés et pris en charge en France.

Il ne faut d’ailleurs pas oublier que la solidarité est un des piliers du modèle bioéthique français. Cette prise en charge par l’assurance maladie est donc une mesure essentielle pour que ce droit nouveau ne soit pas purement formel.

"Entre 2 000 et 3 000 femmes françaises se rendent chaque année à l’étranger pour pratiquer une PMA"

Le 10 septembre dernier, Nicole Belloubet, la garde des Sceaux, avait finalement fait marche arrière en annonçant qu’il n’y aurait pas de mention de filiation spécifique sur l’acte de naissance des enfants nés d’une PMA. Pourquoi ce revirement ?

La solution qui avait été initialement proposée en matière de filiation était problématique parce qu’elle créait une modalité d’établissement spécifique aux couples de femmes, tandis que les couples hétérosexuels conservaient la modalité classique − présomption et reconnaissance. Cette solution amenait les couples de lesbiennes à signer devant notaire, au moment où elles consentaient à l’AMP, une déclaration anticipée de volonté. Celle-ci aurait ensuite été mentionnée en marge de l’acte intégral d’état civil, au même titre que tous les éléments relatifs à la filiation d’une personne  − par exemple, le jugement d’adoption est mentionné en marge de l’acte d’état civil. IIl faut ­d’ailleurs rappeler que cet acte intégral n’est accessible que par la personne concernée, à sa majorité, et utilisé dans de très rares cas.

Les associations ont toutes pointé un risque de discrimination parce que les modalités d’établissement de la filiation étaient différentes, selon l’orientation sexuelle des parents. Je partageais cette critique. Pour ma part, je souhaitais étendre la déclaration anticipée de volonté à tous ceux qui recouraient à une AMP avec tiers donneur, ce qui permettait en outre d’imaginer des outils efficaces pour assurer l’accès aux origines personnelles de toutes les personnes conçues par don.

Le débat parlementaire a fait évoluer les choses. Les couples de femmes devront désormais signer une reconnaissance conjointe anticipée chez le notaire, avant de la transmettre à l’officier d’état civil lors de la déclaration de la naissance. C’est un système efficace, qui permet de sécuriser pleinement la filiation de l’enfant à l’égard de ses deux mères. En outre, elle permet de ne pas hiérarchiser les deux mères, qui se sont engagées dans un projet parental commun. C’est une belle façon de valoriser celui-ci !

La révision de la loi bioéthique devrait bouleverser le fonctionnement des centres d'études et de conservation du sperme (CECOS). Le risque de pénurie est-il réel ?

Il faut savoir qu’il n’y a pas de pénurie de sperme : si nous avions plus de donneurs, ce serait idéal, mais pour le moment la pénurie n’existe pas. Là où nous rencontrons des difficultés, c’est en matière d’ovocytes, essentiellement parce que le don n’est pas tout à fait du même ordre. Le changement des règles en matière d’accès aux origines personnelles devrait toutefois entraîner une chute des dons pendant quelques mois, comme on a pu le constater à l’étranger, avant une remontée. Le gouvernement a d’ailleurs prévu une période de transition, ce qui me semble juste.

Maintenant, je crois qu’il existe des solutions pour garantir l’accès à l’AMP à l’avenir et éviter toute pénurie. Il faudra faire des campagnes plus efficaces, plus visibles. Il faudra aussi évaluer et mieux contrôler l’organisation des activités de recueil et de prélèvement des gamètes.

Propos reccueillis par Anne-Sophie David

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