Après le départ de Martin Sorell en 2018, patron emblématique et fondateur du numéro un mondial de la publicité, WPP, le groupe média est en pleine transformation. En France, Mathieu Morgensztern a pris les rênes de GroupM, filiale de WPP, le 5 mars 2018, devenant également country manager de WPP en France.

Décideurs. En 2018, le groupe WPP est passé d’un statut de holding financière à celui d’une compagnie. Pourquoi ce changement ?

Mathieu Morgensztern. Ce changement de statut avait pour objectif de donner une clé d’accès unique au groupe pour nos clients et leur permettre de travailler directement avec WPP et non plus exclusivement avec une entité en particulier. Les équipes WPP combinent en effet l’ensemble des compétences du marketing et de la communication issues du groupe. Ce changement était capital car nos clients, eux aussi, transforment leur modèle et mènent des réflexions pour « dé-siloter » les fonctions marketing et tendre vers un marketing beaucoup plus intégré. Pour Colgate, par exemple, nous avons une équipe WPP à Paris en charge à la fois du CRM, du digital, de la publicité et de la partie média.

Ce changement de statut avait également un objectif RH pour accroître et faciliter la mobilité de nos talents au sein du groupe. En 2021, nous irons encore plus loin en regroupant, au sein du même immeuble, toutes les entités du groupe WPP, soit environ 3 000 personnes. L’objectif est de faciliter la collaboration et de nous permettre d’adresser plus facilement les quatre dimensions de notre métier, à savoir la communication, l’expérience, le commerce et la technologie.

En France, face à Publicis et Havas, faites-vous toujours office de challenger ?

Au niveau monde, GroupM gère un tiers des investissements médias mondiaux, ce qui nous place loin devant nos principaux concurrents que sont Publicis, Omnicom ou encore Havas. En France, WPP est plus petit que Publicis mais comparable à ­Havas. Au niveau des investissements média (GroupM), nous sommes à égalité avec Publicis grâce à nos 17 % de croissance sur 2018 et au-dessus de Havas. Il n’y a donc plus cette notion de duopole « Havas-Publicis ».

"Au niveau monde, GroupM gère un tiers des investissements médias mondiaux, ce qui nous place loin devant Publicis, Omnicom ou encore Havas."

WPP s’affirme de plus en plus en France. Cette année vous aviez même votre propre plage lors du Cannes Lions festival. Quel regard portez-vous sur cet événement?

Depuis cinq ans, les plages de Cannes lors de ce festival étaient trustées par les géants de la tech (Google, Facebook, Twitter et Spotify). Cette année, nous avions en effet notre propre plage. Cela reflète à la fois l’importance que l’on a sur le marché mais aussi celle que l’on donne à ce festival. Cet événement s’est en effet renouvelé car il récompense désormais la transformation du marketing et ne constitue plus la grand-messe de la publicité. Nous sommes donc aujourd’hui beaucoup plus en adéquation avec Cannes.

Sur quel segment la bataille avec les Gafa est-elle la plus rude ?

Le marché des créatifs est un marché ultra-concurrentiel et le seul domaine de concurrence que nous avons avec les Gafa se situe au niveau des talents car il y a une véritable guerre.

Dans un monde où la tech domine, quelle place pour la création ?

La publicité doit reposer sur deux piliers : la création et la technologie. Elle doit aussi avoir un objectif simple : être pertinente et en phase avec son audience. Lorsque ce n’est pas le cas et que l’écriture créative d’une publicité n’est pas en phase avec son audience, celle-ci sera rejetée. Quand, au contraire, elle a du sens, qu’elle est bien ciblée, bien adressée et qu’elle est intéressante sur le plan créatif, elle sera immédiatement adoptée et fera rapidement partie du quotidien des consommateurs. L’enjeu créatif n’a donc jamais été aussi important que maintenant car le pouvoir est très fortement concentré entre leurs mains.

L’enjeu n’est-il pas aussi de tendre vers des publicités digitales moins invasives ?

Il faut, en effet, en finir avec la publicité invasive ! Fin septembre 2018, nous avons développé une place de marché privée, baptisée « Trusted Place », disponible sur tous les supports et dans tous les formats. Nous avons sélectionné les sites les plus respectueux de leur audience notamment en matière d’encombrement publicitaire ou de collecte des informations personnelles, soit 80 % des régies labellisées Digital Ad Trust. La finalité ? Moins de publicités tous azimuts, plus de qualité et un meilleur ciblage. La ­contrepartie ? Nous allons vers des publicités qui seront beaucoup plus coûteuses. Le grand changement à venir dans les prochaines années et dont nous souhaitons être le moteur est celui d’un monde où la publicité sera bien plus respectueuse, bien mieux acceptée et plus intéressante sur le plan créatif. Moins en quantité, plus de qualité, donc forcément plus chère ! Nos clients ­aujourd’hui semblent l’avoir compris car nous vendons du vCPM [acronyme utilisé pour désigner le CPM visible, mode de tarification au CPM (coût pour mille impressions) avec lequel seules les publicités visibles sont ­facturées, Ndlr].

"Nous allons vers des publicités qui seront beaucoup plus coûteuses."

Cette hausse des tarifs ne risque-t-elle pas de vous pénaliser lors des appels d’offres ?

C’est effectivement un point clé : les clients doivent être d’accord pour payer plus cher une publicité de meilleure qualité et, petit à petit, ils commencent à évoluer dans ce sens.

Fin 2018, vous avez réalisé deux importantes fusions entre la data et la publicité : des mariages de raison ?

Nous avons en effet fusionné une agence digitale et data (Wunderman) avec une agence de publicité (JWT) pour créer Wunderman Tompson et nous avons fait la même chose avec Young & Rubicam (publicité) que nous avons réunis avec VML, une agence digitale et data, peu présente en France mais très puissante mondialement, pour créer VMLY&R. La raison d’être de ces fusions partait d’un postulat simple : la publicité doit ­impérativement se transformer pour adopter de nouvelles écritures plus digitales, plus accessibles, plus modernes et se nourrir d’une nouvelle génération d’insights, de compréhension des consommateurs issus de la data. En fusionnant ces réseaux, nous sommes désormais en mesure de fournir un travail combiné qui a plus de valeur pour nos clients. Mais ce ne sont pas des mariages de raison car nous n’avons pas cherché à rationaliser et simplifier mais parce que cela avait du sens pour les produits que nous délivrons.

Les ESN peuvent-elles constituer des concurrents sérieux pour WPP ?

Nous les surveillons de près, en effet, même si nous ne les voyons jamais lors des grands appels d’offres. Par ailleurs, la taille de leurs offres est encore très réduite. L’agence Droga5, rachetée par Accenture Interactive en avril 2019, compte 300 personnes à New York, quand le groupe WPP en compte 130 000 ! Certes, il y a un effet loupe car tout le monde en parle. Cela veut dire aussi que notre marché les intéresse, ce qui est le signe et la preuve de son attractivité. Parce que les budgets se déplacent de plus en plus de l’IT vers les directions marketing, il est donc logique que cette tendance intéresse fortement les ESN qui sont des acteurs traditionnels de l’IT mais très loin, néanmoins, d’être des acteurs de référence pour les directions marketing. De notre côté, nous avons investi un milliard de dollars en technologie au cours des huit dernières années, ce qui nous donne une longueur d’avance.

Pensez-vous que la publicité digitale prendra le pas sur les autres formes de publicité ?

Il est fondamental qu’il y ait un financement de l’ensemble des médias et un maintien de la pluralité des médias en France. Or, les médias sont confrontés à un problème de taille : la part de marché des Gafa sur le digital, qui est colossale par rapport aux médias traditionnels. La question est de savoir quels contenus seront plébiscités demain. Grâce à notre place de marché « Trusted Place », nous voulons accompagner ces médias traditionnels afin qu’ils puissent améliorer leur offre publicitaire. L’audience TV se déplace, elle aussi, vers le digital. C’est cette transformation vers des revenus publicitaires digitaux pour les médias traditionnels qui assureront leur santé financière.

Propos recueillis par Anne-Sophie David

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