Youtube, Instagram, WhatsApp, Viber. L'appétit des géants des NTIC pour les nouveaux acteurs du Web et du mobile a-t-il des limites ?

 

« Personne dans l’histoire n’a atteint près d’un demi-milliard d’utilisateurs en aussi peu de temps ».

Voilà ce qu’a confié Mark Zuckerberg pour justifier les dix-neuf milliards de dollars investis dans l’application de messagerie mobile Whatsapp. La firme dirigée par le jeune milliardaire est valorisée à 172 milliards de dollars et dispose de 11,5 milliards de dollars de cash en réserve mais au regard des neuf cents millions de dollars déboursés par Rakuten pour Viber, start-up concurrente, l’opération conclue par le réseau social américain soulève quelques questions. Sera-t-elle à l’origine d’une bulle spéculative sur le potentiel du marché des applications de messagerie mobile ? Relance-t-elle Blackberry et surtout son trésor de guerre aux quatre-vingts millions d’utilisateurs dont il a enfin ouvert les portes ? Est-elle si essentielle au développement du groupe Facebook ? De fait, le marché des applications mobiles dans son ensemble est en tout cas en forte croissance selon une étude du cabinet Gartner, avec un chiffre d’affaires de vingt-six milliards de dollars en 2013 (contre dix-huit en 2012) pour cent deux milliards de téléchargements au total.

Viber : une valorisation dévalorisante

Les sceptiques ne se rangent pas du côté des chiffres. Steve Ballmer, ancien CEO de Microsoft, a notamment exprimé ses doutes sur le niveau de valorisation de Whatsapp, qualifiant de « fausse mesure de la valeur » celle qui repose sur le calcul du nombre d’utilisateurs, 450 millions pour cette application. Selon lui, la bonne jauge repose sur la faculté de tarifer les services auprès des utilisateurs. Mais quels sont alors les ingrédients de valorisation d’une e-société ?

Force de la marque, nombre d’utilisateurs, nature des fonctions et rentabilité financière des applications sont autant d’éléments qui pourraient expliquer ce grand écart. Mais peut-on même s’appuyer sur ces éléments afin d’expliquer la différence de prix ? À en croire Philippe Granger, directeur associé du fonds de capital-investissement Auriga Partners et spécialiste des secteurs de l’informatique et de l’Internet, si « le comparatif en termes d’usage et de croissance fait pencher la balance de la valeur du côté de Whatsapp », le prix relativement cher payé pour cette application résulte « soit d’une forte concurrence soit d’une acquisition dite stratégique ». Il faut bien comprendre que les prédateurs du Web que sont Google, Facebook ou encore Microsoft se livrent une bataille sans nom pour s’arroger les nouvelles tendances 2.0 et imposer encore un peu plus leur branding. À l’inverse, Rakuten a bénéficié de conditions optimales de négociation, à l’abri d’une concurrence féroce et de la nécessité absolue de mettre la main sur l’actif visé.

Une guerre à coups de milliards

La guerre a commencé bien avant la ruée vers les applications de messagerie mobile puisque dès 2006, Google rachetait Youtube pour 1,775 milliard de dollars. Ce montant avait déjà défrayé la chronique à l’époque, pourtant le site web d’hébergement de vidéos devrait valoir vingt milliards de dollars à l’horizon 2020 selon une étude menée par Morgan Stanley. Entre-temps, Facebook a racheté Instagram, application de partage de photos et de vidéos, pour un milliard de dollars, et Microsoft s’est offert Skype, services d’appels téléphoniques par Internet, pour 8,5 milliards de dollars. Concernant les applications de messagerie mobile, Snapchat aurait refusé quatre milliards de dollars en provenance de Google qui s’était également manifesté pour le rachat de Whatsapp, proposant vainement dix milliards de dollars. Enfin, Alibaba a récemment investi 215 millions de dollars dans Tango. C’est dire si la concurrence fait rage.

L’enjeu pour le leader des réseaux sociaux était certainement d’une plus grande importance que pour le leader des moteurs de recherche. Ce dernier est un vrai touche-à-tout des innovations alors que Facebook réalise l’essentiel de son chiffre d’affaires grâce à la plate-forme du même nom. Allant plus loin, Philippe Granger estime que le but final de Mark Zuckerberg est de faire de son réseau « l’outil de contact absolu ». Facebook pourrait alors être au réseau social ce que Google est aux moteurs de recherche. Évidemment, la place de numéro un se paie d’un lourd premium, d’autant plus lorsque la firme de Mountain View a les intérêts de son propre réseau social, Google+, à défendre.

Cette idée d’acquisition stratégique est aussi défendue par Virginie Lazès, responsable corporate finance chez Bryan Garnier et spécialiste des nouvelles technologies, selon qui « la valorisation de Whatsapp est irrationnelle au regard du WACC » (le coût moyen pondéré du capital) et donc de la valorisation normale d’une technologie. En ce sens, l’opération réalisée par Facebook correspond à sa volonté de « changer de business model en payant 10 % de sa capitalisation boursière » poursuit la banquière d’affaires. À rachat stratégique, valorisation stratégique.

L’aube d’une bulle spéculative

La folle ruée vers les applications mobiles fait tout de même craindre une capitalisation déconnectée des cash-flows futurs du marché. Les experts partagent pourtant un avis clair et univoque sur le sujet. Si Philippe Granger commence par rappeler la difficulté évidente de « prévoir à l’avance la formation d’une bulle », cette série d’opérations, même si elle continue, « n’est pas un danger global pour l’économie », poursuit-il. Premièrement, les têtes pensantes de la Silicon Valley sont des investisseurs avisés qui, sans être à l’abri d’un mauvais choix, mesurent mûrement leurs prises de risques. Ensuite, dans le cas où les applications ne seraient pas rentables, « les actionnaires des firmes seraient mis prioritairement à contribution et notamment les fonds de private equity ». Au vu de la capitalisation de ces mastodontes, il faudrait que celles-ci soient elles-mêmes considérées comme irrationnelles pour que le marché financier dans son ensemble soit en danger. Même son de cloche du côté de Virginie Lazès qui estime que « Whatsapp pourra bénéficier du business model de Facebook, bien identifié et rentable ». L’experte du secteur des nouvelles technologies arrive même à la conclusion que « Whatsapp est le coup d’après pensé par Mark Zuckerberg ». Vu le prix de la réflexion sur Whatsapp, souhaitons-lui qu’elle lui rapporte son lot de likes

@ Firmin Sylla  
 

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