Un fournisseur peut-il prévoir un prix différent selon que les produits qu’il vend seront acquis par des magasi traditionnels ou par des entreprises spécialisées da l’Internet ?

Un fournisseur peut-il prévoir un prix différent selon que les produits qu’il vend seront acquis par des magasins traditionnels ou par des entreprises spécialisées dans l’Internet ? Cette question sensible est d’actualité puisqu’elle est précisément abordée par la Commission européenne dans ses lignes directrices sur les accords verticaux publiées le 19 mai 2010.


Le règlement n°330/2010 de la Commission européenne du 20 avril 2010 n’évoque pas la problématique de la distribution sur Internet. Ce n’est qu’au travers des lignes directrices que la Commission précise sa position sur cette question. Elle confirme qu’elle considère la vente sur Internet comme un moyen de vente passive et que limiter celle-ci constitue donc une restriction caractérisée au sens de l’article 4.b) du règlement.


Le principe d’interdiction du «?dual pricing?»

Elle ajoute désormais des exemples de pratiques interdites en spécifiant au point 52 de ses nouvelles lignes directrices :
«?La commission considère par exemple les situations suivantes comme des restrictions de ventes passives caractérisées : […]
- Exiger d’un distributeur qu’il paye, pour des produits destinés à être revendus par Internet, un prix plus élevé que pour des produits destinés à être revendus autrement.

Elle ajoute que cela n’exclut pas que le fournisseur propose à l’acheteur une redevance fixe (c’est-à-dire une redevance qui ne varie pas en fonction du chiffre d’affaires réalisé sur les ventes hors ligne dans la mesure où cela mènerait indirectement à un double tarif) pour soutenir ses efforts de vente en ligne et hors ligne.


La possibilité de justifier d’une différenciation tarifaire

Alors qu’elle en était restée là dans son premier projet de lignes directrices du mois de juillet 2009, la Commission, dans la version publiée le 19 mai 2010, apporte d’intéressantes précisions complémentaires. Une restriction caractérisée de concurrence peut être «?rachetée?», c’est-à-dire exemptée à titre individuel, lorsqu’elle remplit les conditions de l’article 101, paragraphe 3 du Traité UE, c’est-à-dire que des gains d’efficience sont démontrés. Jusqu’alors, il était reproché aux autorités de concurrence de ne jamais faire application de cette exemption individuelle.
Au point 47, la Commission confirme désormais que les restrictions caractérisées de concurrence pourront êtres «?rachetées?» au terme d’un bilan concurrentiel. Elle consacre à cet égard une nouvelle partie de ses lignes directrices à donner des exemples d’exemption possibles en visant précisant au point 64 la question du «?dual pricing?». La Commission y mentionne qu’en général, le fait d’exiger d’un distributeur qu’il paie un prix plus élevé pour des produits destinés à être revendus par Internet que pour des produits destinés à être revendus «?hors ligne?», est une restriction caractérisée ainsi que cela est précisé au point 52 des lignes directrices.
Mais la Commission précise désormais :
«?Toutefois, dans certaines circonstances particulières, un tel accord peut remplir les conditions prévues à l'article 101, paragraphe 3. De telles circonstances peuvent exister lorsqu'un fabricant convient d'un tel système de double prix avec ses distributeurs parce que les ventes à réaliser en ligne entraînent pour lui des coûts sensiblement plus importants que les autres formes de vente. Par exemple lorsque les ventes hors ligne incluent une installation à domicile par le distributeur, contrairement aux ventes en ligne, ces dernières peuvent occasionner davantage de plaintes et de demandes d'intervention en garantie des clients auprès du fabricant. Dans ce contexte, la Commission examinera en outre si la restriction est susceptible de limiter les ventes par internet et d'empêcher le distributeur d'atteindre des clients différents et plus nombreux.?»

Et la Commission d’ajouter immédiatement à titre de «?warning?» qu’elle recherchera dans ces cas de figure jusqu’à quel point la pratique en cause est de nature à limiter les ventes sur Internet, auquel cas la double tarification resterait une restriction caractérisée de concurrence.
Le moins que l’on puisse dire est que de telles justifications sont envisagées de manière restrictive alors que la Commission aurait pu, plus largement, se référer à la notion de contrepartie, de qualité de service et autres éléments bénéficiant aux consommateurs pour justifier une différenciation tarifaire. Cela aurait été d’autant plus légitime que la différenciation tarifaire n’est pas prohibée lorsqu’elle s’applique à d’autres formes de distribution, commerce de gros et commerce de détail, par exemple.
La «?discrimination positive?» ainsi opérée au bénéfice des seuls acteurs du commerce en ligne paraît donc un peu dogmatique et, en tout cas, peu conforme à la réalité des négociations commerciales. Cependant, il est important de souligner que les lignes directrices de la Commission européenne, si elles sont l’expression de sa doctrine, n’ont aucune force contraignante.
La situation nous semble donc d’autant plus incertaine qu’il existe en France un texte législatif validant expressément les conditions catégorielles de vente.


Les conditions catégorielles françaises

L’article L.441-6 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la LME du 4?août 2008, prévoit que :
«?Les conditions générales de vente peuvent être différenciées selon les catégories d’acheteurs de produits ou de demandeurs de prestation de services. Dans ce cas, l’obligation de communication [des conditions générales de vente prescrites par la loi] ne porte que sur les conditions générales de vente applicables aux acheteurs de produits ou aux demandeurs de prestation de services d’une même catégorie?».
Selon la loi française, il est donc licite de distinguer deux catégories d’acheteurs selon qu’il s’agit de commerçants opérant sur Internet ou de points de vente physiques.
Il y a donc une confrontation évidente aujourd’hui entre la position de la Commission européenne dans ses lignes directrices, qui n’ont aucune valeur législative, et les dispositions du Code de commerce français, lesquelles découlent d’une loi. Il reste néanmoins certain que toute structure tarifaire qui n’aurait pour vocation que d’exclure ou de limiter le commerce sur Internet pourrait théoriquement être considérée comme une entente verticale illicite.

Juillet 2010

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