Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis
« Le traité de Maastricht est inefficace, et le pacte de stabilité stupide »
Décideurs. Du fait de la crise et des mesures de soutien conjoncturel à l’économie, les États voient leurs déficits se creuser. Ces déséquilibres ne doivent-ils pas être corrigés ? Patrick Artus. Assurer la crédibilité budgétaire est nécessaire. Les déficits publics d’aujourd’hui ne sont pas un problème. Il est au contraire dangereux de demander la baisse de l’endettement public tant que l’investissement privé ne prend pas le relais. Dire le contraire est de l’acharnement dogmatique. |
Le traité de Maastricht est inefficace, et le pacte de stabilité stupide ! Aujourd’hui, le fait d’être attaché à des ratios uniquement quantitatifs ne nous permet pas de faire un traitement au cas par cas des sujets. Or celui-ci est nécessaire au regard du timing très serré dont disposent les États pour mettre en œuvre une stratégies de sortie de crise.
Cela étant dit, il faudra que le public se désendette quand le privé aura besoin de financement.
Décideurs. À terme, le public devra laisser la place au privé, mais ses besoins de financements resteront abondants. N’y aurait-il pas un risque d’éviction des entreprises des marchés obligataires ?
P. A. De manière générale, il est important de surveiller la capacité des épargnants à financer les besoins de financements public et privé.
Par exemple, en Grèce, l’insuffisance de l’épargne domestique n’est pas compensée par de l’investissement privé. Ainsi, il y a éviction des acteurs privés avec des taux qui augmentent à 6 %.
La question du risque d’éviction des entreprises des marchés obligataires et du crédit pose celle du niveau de l’épargne privée. Si cette dernière se tarit, il y a risque d’éviction. Or, elle est abondante, donc la question ne se pose pas.
Depuis dix ans, les taux d’épargne mondiaux n’arrêtent pas de monter, ce qui pose au contraire le problème d’un excès d’épargne privée.
En parallèle, les pays de l’OCDE ne consomment pas assez, tandis que leurs capacités de production sont trop importantes.
Décideurs. La crise grecque a mis en évidence les problèmes de coordination au sein de la zone euro. Quels enseignements en tirer ?
P. A. Tout d’abord, l’action de la Banque centrale européenne préserve les pays de la zone du risque d’inflation, ce qui est bon pour nos économies. Aussi, il apparaît que l’euro est un choix négatif. Tout sortant éventuel sait qu’il meurt. Donc il reste !
D’autre part, et par définition, l’union monétaire favorise la spécialisation sectorielle. Des mécanismes de transfert, qui n’existent pas en Europe, devraient donc être mis en place.
Deux leviers sont possibles. Le premier est celui d’une mobilité plus importante du travail qui permettrait des déplacements de population. Mais, compte tenu du poids de l’histoire, des cultures et de la diversité des systèmes d’éducation, cette solution ne paraît pas envisageable à moyen terme.
L’autre réponse serait la mise en place d’une Europe fédérale, à même de lever de l’impôt qui rendrait possible ces transferts. À l’heure actuelle, la fiscalité européenne représente environ 1% du PIB, contre 70% de taxes fédérales aux États-Unis… Force est de constater que nous sommes encore loin du compte.
Il est pourtant nécessaire de faire émerger de tels mécanismes. L’Allemagne doit le comprendre. L’Europe ne peut prendre le risque de laisser s’installer des gouvernements populistes qui laisseront filer les déficits publics.
Décideurs. Que pensez-vous des réglementations de Bâle III et Solvabilité II ?
P. A. Avec ces réglementations, le régulateur nous enseigne qu’il cherche à limiter les défauts des institutions financières à tout prix. Il confirme aussi le fait qu’il ne fait pas de macroéconomie ! La logique est la suivante. D’un côté ces institutions doivent augmenter significativement leurs fonds propres, et de l’autre éviter toute prise de risque.
Avec de telles contraintes, le régulateur organise une énorme aversion au risque, ce qui pose la question du financement de l’économie à long terme. Si rien est fait, le risque est grand de voir des fonds souverains ou investisseurs asiatiques, qui n’appliqueraient pas ces règles, devenir propriétaires de nos entreprises en besoin de financements. Au final, l'autre risque est de mettre à bas un système, qui depuis la Renaissance en Italie, permet de collecter à court terme pour financer le long terme. Par exemple, les assureurs vont massivement quitter l’industrie du private equity, qui a pourtant joué un vrai rôle positif dans l’économie.
D’autre part, en demandant aux assureurs de détenir uniquement des obligations, Solvabilité II leur fait prendre un risque de taux important.