Par Loïc Touranchet, avocat associé, et Aline Clédat, avocat. Actance
Si le comité d’entreprise (CE) doit être consulté à toutes les étapes des procédures collectives, l’impératif de célérité inhérent à la situation particulière de l’entreprise en état de cessation des paiements donne lieu à certains aménagements des obligations légales, notamment en termes de délais. Ces aménagements, lorsqu’ils existent, laissent subsister des difficultés d’application. (1)

Le nombre d’ouvertures de procédures collectives a atteint en 2013 un niveau historique, en hausse d’environ 3?% par rapport à l'année précédente. Dans le cadre de la procédure devant le tribunal de commerce (TC), des représentants spécifiques des salariés sont désignés (représentants du CE, représentant des salariés). Pour autant, l’entreprise n’est pas dispensée de ses obligations consultatives à l’égard du CE, à toutes les étapes de la procédure collective, ce qui peut créer des difficultés de mise en œuvre, au regard notamment des délais applicables. On s’attachera à ces problématiques dans le cadre de la consultation du CE à trois temps des procédures collectives : avant la déclaration de cessation des paiements (DCP), en cas de licenciement collectif pour motif économique, et au moment du plan de cession ou de redressement.

La consultation du CE avant la DCP
L’obligation de consulter le CE intervient en amont du passage en procédure collective. En effet, le CE doit être informé et consulté sur la marche générale de l’entreprise (2) et, spécifiquement, avant le dépôt d’une demande d’ouverture d’une procédure de redressement (RJ) ou de liquidation judiciaire (LJ) (3). À ce stade, la crainte des potentiels effets néfastes de cette annonce (demande de règlement sans délai des fournisseurs, annulations de commandes, refus de livraison, absence de soutien des partenaires financiers…) peut toutefois conduire le dirigeant, pour protéger l’entreprise, à chercher à conserver le «?secret?» sur les difficultés rencontrées. Ce dilemme est renforcé depuis la loi du 14?juin 2013 qui a introduit le principe d’un encadrement des délais de consultation du CE par accord entre l’employeur et les membres du CE et, à défaut, par décret en Conseil d’État. À défaut d’un tel accord, le délai de consultation (hors expertise et intervention du CHSCT) est d’un mois.
En l’absence de dérogation prévue par la loi, ces nouvelles règles sont applicables dans le cadre de la consultation du CE pré-DCP, ce qui pose de sérieuses difficultés de mise en œuvre. En effet, la recherche d’un accord avec le CE sur un délai de consultation de 15 jours minimum paraît compliquée dans le contexte d’urgence du dépôt d’une DCP. Et, à défaut d’accord, le délai d’un mois pour considérer que le CE a rendu un avis négatif est porteur de risques importants pour l’entreprise. Si l’application littérale de ces nouvelles règles semble donc illusoire, les conséquences d’une irrégularité de procédure ne doivent pas être négligées. En effet, il ne peut être exclu que le TC rejette une demande d’ouverture de RJ ou de LJ pour irrégularité de la procédure de consultation du CE. Un aménagement législatif, sur ce sujet, serait nécessaire.

La consultation du CE en cas de licenciement collectif
À l’inverse, la loi a prévu une procédure «?allégée?» de consultation du CE en cas de licenciement collectif pour motif économique donnant lieu à l’élaboration d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) au sein d’une entreprise en RJ ou en LJ. Ainsi, ne sont pas applicables les nouvelles règles relatives à la tenue de deux réunions du CE espacées d’au moins 15 jours (4), et au délai maximal de remise des avis du CE fixé, en fonction du nombre de licenciements, à 2, 3 ou 4 mois à compter de sa première réunion.
L’application de ces dispositions soulève des interrogations pratiques. Si l’Administration semble considérer qu’une seule réunion de consultation du CE sur le projet de licenciement collectif serait suffisante, la désignation éventuelle d’un expert-comptable par le CE pourrait changer la donne. Certes, l’article L. 1233-58 du Code du travail ne renvoie pas à l’article L. 1233-34 du même Code sur l’assistance d’un expert-comptable. Toutefois, sous l’empire de l’ancienne loi, la Cour de cassation avait considéré que l’article L. 1233-58 n’excluait pas le droit du CE de se faire assister d’un expert-comptable (5). Dans la continuité de cette jurisprudence, le tribunal administratif (TA) de Montreuil a annulé, le 20 décembre 2013, l’homologation administrative du PSE d’une entreprise en LJ, au motif que l’irrégularité dans la désignation de l’expert-comptable avait empêché le CE d’émettre un «?avis éclairé?» (6). Il est probable que les juges continueront à permettre l’assistance d’un expert-comptable, même en cas de procédure collective, dès lors qu’elle apparaît nécessaire au CE pour pouvoir rendre un avis éclairé ; ce qui conduirait à prévoir, a minima, deux réunions du CE.

La consultation du CE lorsque le plan est arrêté
Le CE doit être informé et consulté sur les offres de cession ou le plan de redressement envisagé et leurs conséquences sociales. À ce stade, la loi du 14 juin 2013 a aménagé les délais applicables dans le cadre de la nouvelle procédure de validation ou d’homologation du PSE par l’Administration, afin de tenir compte des impératifs de célérité de la procédure collective. Il est ainsi prévu que l’homologation ou la validation intervienne après la décision du TC arrêtant le plan de cession ou de redressement, et que le délai de vérification de l’Administration, abrégé à 8 jours en cas de RJ et à 4 jours en cas de LJ, débute «?à compter de la dernière réunion du CE?» (7). Ce court délai, qui devrait englober à la fois l’examen du PSE par l’Administration et la procédure arrêtant le plan de cession ou de redressement par le TC, est susceptible de poser des difficultés d’application. En conséquence, l’Administration préconise de dissocier la consultation au titre du Livre 1 (PSE) et du Livre 2 (réorganisation) et de reporter la remise d’avis du CE sur le Livre 1 postérieurement au jugement du TC arrêtant le plan de cession ou de redressement (8). Cette position administrative paraît toutefois contradictoire avec les dispositions du Code de commerce qui prévoient que l’arrêt du plan par le TC ne peut intervenir qu’après mise en œuvre «?de la procédure prévue par l’article L. 1233-58 du Code du travail?» (9). Ainsi, la pratique, mais aussi l’interprétation par l’Administration des nouvelles dispositions du Code du travail, entraînent une dissonance avec certains articles du Code de commerce.


1 Analyse effectuée avant la publication de l’ordonnance n°2014-326 du 12 mars 2014
2 Art. L. 2323-6 CT
3 Art. L. 2323-44 CT visé par l’article L. 2323-3 CT
4 Art. L. 1233-58 CT et L. 1233-30 CT
5 Cass. soc., 7 juillet 1998, n°96-21205
6 TA Montreuil, 20 décembre 2013, n°1309825
7 Art. L. 1233-58 CT
8 Instruction DGEFP/DGT n°2013/13 du 19 juillet 2013, fiche n°4
9 Art. L. 631-19 et L. 642-5 C. Com


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