Par Valérie Ravit, avocat associé, et Delphine Hauguel, avocat. BOPS
Une proposition de loi vient d'être adoptée à l'unanimité par le Sénat afin d’introduire dans le Code civil un régime de responsabilité objective ouvrant droit à la réparation du préjudice écologique «?pur?». Si l'objectif de protection de l'environnement est louable, une telle réforme pose de nombreuses difficultés et une réflexion approfondie mérite d'être menée quant à son opportunité.

Le préjudice écologique «?pur?» consiste dans l'atteinte portée à l'environnement lui-même, indépendamment de ses répercussions sur les personnes ou les biens. Son caractère indemnisable ne va pas de soi au regard des règles de la responsabilité civile. En effet, ce dommage affecte la collectivité dans sa globalité, de sorte que le caractère personnel du dommage, condition nécessaire pour qu'un dommage constitue un préjudice réparable, est très discutable. Par ailleurs, l'environnement n'ayant pas de valeur marchande, une indemnisation par équivalent pose des difficultés tant sur le plan de l’évaluation que de l'effectivité de la réparation. En l'absence d'obligation de remploi des indemnités, rien ne permet en effet de garantir que le dommage qu’il s’agit réparer le sera effectivement.

Malgré ces obstacles, la cour d'appel de Paris (1) a consacré le droit à réparation du préjudice écologique pur dans l'affaire de l'Erika et la Cour de cassation (2) a rejeté le pourvoi formé contre cet arrêt, en dépit des conclusions en sens contraire de l'Avocat général.

Pourtant, l'analyse de la décision d'appel montre que la mise en œuvre du principe d'un droit à réparation est sujette à critique (3) : la cour a alloué des indemnités à plusieurs personnes au titre du préjudice écologique pur, ce qui interroge au regard du principe de réparation intégrale. Par ailleurs, l'évaluation du préjudice a été faite en fonction d'éléments déconnectés de la réalité du dommage, tels que la réputation et le nombre de membres que compte l’association de protection de l'environnement. Il en résulte un risque de dérive de l'indemnité-réparation vers l'indemnité-sanction (4), cette dernière n’étant pas admise en droit français.

Origine de la proposition de loi
Dans les suites de ces décisions, une partie de la doctrine soutient qu'il est indispensable que le droit à réparation du préjudice écologique pur soit consacré dans le Code civil (5) au motif principal qu'il n'existerait pas, dans le droit positif, de dispositif efficace de réparation des dommages environnementaux.

On peut regretter à cet égard que cette doctrine déconsidère la loi sur la responsabilité environnementale (dite LRE, insérée aux articles L.160-1 et s. du Code de l’environnement, issue de la transposition de la directive européenne éponyme du 21?avril 2004). Certes, elle n'a pas encore été appliquée en France, mais elle a été mise en œuvre avec succès dans d'autres États membres.

La LRE est précisément adaptée pour prendre en compte les spécificités du dommage à l'environnement. Elle permet d’éviter la multiplicité des demandeurs, puisqu’une seule personne – le préfet – décide en concertation avec les parties intéressées (collectivités territoriales, associations de protection de l’environnement) des mesures de réparation qui devront être mises en œuvre par l'exploitant. À ce titre, les services de l'État disposent d'ores et déjà des compétences techniques et juridiques pour assurer une mise en œuvre efficiente de ce dispositif. La réparation, exclusivement en nature, est complète, même dans sa dimension temporelle, puisqu'elle prévoit, outre un retour à l'état initial, l’indemnisation du dommage subi pendant le temps nécessaire au retour à l’état initial par le biais de mesures compensatoires.

Pourtant, une proposition de loi a vu le jour afin de consacrer le droit à réparation des dommages causés à l'environnement dans le Code civil et vient d’être adoptée à l'unanimité par le Sénat.

Contenu de la proposition de loi
Les dispositions ainsi adoptées consacrent un principe de responsabilité objective et laissent ouvertes de très nombreuses questions : la notion de «?dommage à l'environnement?» n'est pas définie, pas plus que les personnes susceptibles d'agir à l'égard du responsable.

S'agissant de la réparation, il est prévu qu'elle sera «?prioritairement en nature?», sans autres précisions. À ce titre, on peut douter que le juge judiciaire puisse les définir sans avoir recours à l'expertise judiciaire. Or, on peut se demander si le temps judiciaire est compatible avec la nécessité d'une certaine célérité pour trouver des solutions de réparation. Les services de l'État semblent bien plus à même de répondre à cet impératif.

Si une réparation en nature n'est pas possible, c'est alors un mécanisme de compensation financière au profit de l’État (ou d’un organisme désigné par lui) qui s'appliquera, ce qui ne permet qu’imparfaitement de garantir une réparation effective du dommage à l’environnement et d'éviter une dérive d'indemnisation-sanction.

Par ailleurs, une disposition prévoit l'allocation de dommages et intérêts pour les dépenses engagées pour prévenir la réalisation imminente d’un dommage, éviter son aggravation ou réduire ses conséquences lorsqu’elles ont été «?utilement?» engagées. En l’absence de critères définissant l’utilité de telles mesures et de concertation avec l'exploitant, on peut craindre que cette disposition suscite un important contentieux quant à son interprétation.

Ces dispositions sont enfin strictement silencieuses quant à leur articulation avec la LRE.

Avenir de la proposition de loi
Quelle suite sera donnée à cette proposition de loi ? Dans son discours aux sénateurs, le ministre de la Justice a souligné que celle-ci laissait des questions importantes en suspens et que des réflexions devaient être menées sur la définition des dommages environnementaux, la détermination des personnes ayant intérêt à agir, la définition précise des modalités et du suivi de la réparation en nature ainsi que sur la nécessité d’articuler ces nouvelles dispositions avec les régimes existants, en particulier avec la LRE. Ces réflexions seront alimentées par le groupe de travail mis en place à cet effet par le ministre sous la présidence du professeur Jégouzo, dont le rapport est prévu pour le 15?septembre 2013. Il faut souhaiter que ces travaux apportent une meilleure réponse à la problématique posée par la réparation du dommage à l'environnement.

1-CA Paris, 30 mars 2010, D. 2010, p. 2238, note L. Neyret
2- Cass. Crim., 25 septembre 2012, n°10-82.938, D. 2012.2711, note P. Delebecque
3- La cour d’appel de Paris consacre la notion de préjudice écologique pur, V. Ravit et D. Hauguel, Argus de l’assurance, 23 avril 2010, p. 42
4- Réflexions sur le destin du préjudice écologique « pur », V. Ravit et O. Sutterlin, D. 2012, p.2675
5- « Mieux réparer le dommage environnemental », Rapport d’activité du Club des juristes, éd. Mare & Martin, 2012

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