Depuis juillet 2023 et les soupçons de corruption contre Armando Pereira, son numéro deux, Altice subit une tempête qui n’en finit plus. Par l’intermédiaire de son fondateur Patrick Drahi, le groupe, endetté à hauteur de 60 milliards d’euros dont 24 milliards pour la seule branche française, a tenté en mars 2024 un coup de poker en tentant de renégocier ses créances. Retour sur un scénario hollywoodien.

Juillet 2023. Prémices d’une catastrophe. Armando Pereira, bras droit de Patrick Drahi, est soupçonné de corruption au Portugal. Parmi les principaux architectes de l’empire Altice, il précipite le groupe dans la tourmente. À l’aide de complices, il est suspecté d'avoir attribué plus de 600 millions d'euros de contrats de la filiale portugaise Meo Telecom à des sociétés dont ils étaient, lui ou ses proches, actionnaires aux dépens d'Altice.

Août 2023. Patrick Drahi contre-attaque. L’homme d’affaires prend la parole pour la première fois depuis 2017. Il annonce faire du désendettement "sa seule priorité" promettant de "résoudre la situation" et suspend plusieurs proches d’Armando Pereira. L’entité Altice France, propriétaire entre autres de SFR et de la filiale Altice Média avec BFM TV et RMC, est endettée à hauteur de 24 milliards d’euros, quand le groupe est enlisé dans près de 60 milliards d’euros d’emprunts.

Septembre 2023. La justice française ouvre à son tour une enquête contre Altice. Selon des informations de Bloomberg, le Parquet national financier (PNF) a également ouvert, dans la foulée de l’arrestation d’Armando Pereira, une enquête contre Altice pour "corruption de personnes n'exerçant pas de fonction publique, blanchiment et recel de ces délits". L’étau se resserre.

Octobre 2023. L’échéance imminente d’une première ligne de prêt est décalée de deux ans. Victoire financière ou politique de l’autruche ? En acceptant un taux d’intérêt de sa ligne de dette à 10% contre 2,25% auparavant, Patrick Drahi repousse la date de remboursement de ses premiers prêts de 2025 à 2027. Pour sa première confrontation avec les marchés, depuis ses déboires estivaux, il réussit à lever 800 millions d’euros de financements contre les 500 millions préalablement espérés.

Novembre 2023. Premières ventes d’actifs, le groupe se disloque. Altice entre en négociation exclusive avec Morgan Stanley Infrastructure Partners pour céder 70% de l’activité de ses 257 centres de données dans l’Hexagone. La transaction s’élève à environ 500 millions d’euros et permet à un Patrick Drahi, étouffé par ses dettes et la hausse des taux d’intérêt, de souffler légèrement.  

Fin novembre 2023. SFR annonce de nouveaux résultats difficiles. Au 3e trimestre 2023, l’opérateur français de télécommunications révèle un chiffre d’affaires en baisse de 2,8% par rapport à la même période en 2022. L’Ebitda chute de son côté de 5,9% pour atteindre 997 millions d’euros. Des chiffres qui n’annoncent rien de bon en vue d’améliorer le ratio entre les revenus et la dette.

15 mars 2024. Rodolphe Saadé et Patrick Drahi entrent en négociation exclusive pour la vente de BFM TV et RMC. Alors que le magnat des télécoms annonçait encore au mois d’août 2023 que BFM n’était pas à vendre, le groupe CMA CGM, propriété de Rodolphe Saadé, annonce avoir signé un accord pour racheter Altice Media. L’entreprise de transport maritime s’emparerait de 80 % de la structure, les 20% restants devant être acquis par la holding de Saadé, Merit France pour une valeur totale de 1,55 milliard d’euros. Une bouée de sauvetage pour le fondateur d’Altice et une place à la table des grands pour l’acheteur qui étend son empire dans les médias.

22 mars 2024. Patrick Drahi tente un coup de poker avec ses créanciers. Le milliardaire lâche une bombe, il demande à ses prêteurs de prendre leur part dans le redressement d’Altice France avec deux exigences. Les investisseurs doivent accepter de ramener la dette de la structure à moins de quatre fois son Ebitda (3,9 milliards en 2023) mais aussi consentir à racheter leur emprunt à des prix inférieurs ou de les échanger contre des obligations plus avantageuses pour le groupe. S’ils refusent, Patrick Drahi promet de ne pas utiliser le produit de ses récentes ventes pour désendetter Altice. La réaction du marché est immédiate. En cinq jours, la valeur des titres de dettes "sécurisés" du groupe a perdu 15% quand les titres "non sécurisés" ont chuté de 40%.

Si le chantage de Patrick Drahi est légal, il joue avec le feu. Ses créanciers font bloc et leurs ripostes s’organisent. Le tycoon a bien compris que toutes les parties prenantes sont embarquées dans le même bateau pour sauver son groupe, mais jusqu’à quand ?

Tom Laufenburger

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