L’agence de notation Fitch ayant dégradé la note de la dette souveraine française de AA à AA, quelles peuvent être les répercussions dans la perception du marché français par les investisseurs étrangers ? Éclairage avec Bruno de Moura Fernandes, directeur de la recherche macroéconomique chez Coface.

Décideurs. Passer de AA à AA– est-ce une si mauvaise note ?  

Bruno de Moura Fernandes. Ce n’est pas forcément une bonne nouvelle, la dégradation de l’évaluation de la dette française montre que les tensions sociales peuvent avoir un impact non seulement sur l’économie du pays mais surtout via les marchés. On imagine souvent que les tensions sociales vont coûter des points de PIB, en raison des grèves et de la réduction du nombre de jours travaillés, or cet impact est assez faible, généralement il est de l’ordre d’environ 0,1 point de croissance du PIB, qui est récupéré quand l’activité reprend. Ici, en revanche, l’impact le plus important est la réaction des marchés et des agences de notation face aux conséquences potentielles de ces mouvements sociaux sur la dette française.

Si l’influence directe des mouvements sociaux sur la croissance est négligeable, pourquoi inquiètent-ils les marchés ?  

Les tensions sociales bloquent la capacité de réforme structurelle du pays et donc réduisent la confiance que les marchés portent à la zone concernée. Le fait que la note de la France ait été abaissée par Fitch n’est pas une bonne nouvelle même si, à court terme, il n’y a pas eu d’impact. Les taux d’emprunt ont même diminué à la suite de l’annonce du changement d’évaluation, les investisseurs se tournant vers les actifs sûrs, en raison de la faillite de la banque américaine First Republic et de chiffres de croissance décevants au premier trimestre en zone euro.

Qu’est-ce qui pourrait freiner durablement la confiance que les investisseurs étrangers portent à la France ?

Si le pays venait à perdre l’investment grade, sa dette deviendrait risquée et ce serait plus compliqué car les fonds d’investissement ont certaines limites en termes d’actifs risqués et AA- n’est pas une mauvaise note. En revanche, la note de Fitch montre que la vision des marchés est en train de changer. La question de la soutenabilité de la dette est relative, or une dette n’est plus soutenable dès lors que les marchés doutent de votre capacité à la rembourser.

"La dégradation de la note française est due à la perception d’une persistance dans le temps des conséquences des tensions sociales observées ces derniers mois"

La note de Fitch a-t-elle vocation à faire naître un doute chez les investisseurs ?

La dégradation de la note française est due à la perception d’une persistance dans le temps des conséquences des tensions sociales observées ces derniers mois. Fitch présume que le déficit public de la France ne peut pas diminuer assez vite. En raison du climat social et du manque de majorité à l’Assemblée, les réformes nécessaires pour réduire les dépenses, et donc la dette, vont être difficiles à mener. De plus, en cas de tensions trop importantes, comme lors de la crise des Gilets jaunes, les pouvoirs publics privilégient des mesures de politique économique expansionniste qui ont tendance à accroître la dette publique. Enfin, le contexte peut favoriser la croissance des partis extrêmes, et donc une instabilité politique qui accentuerait la remise en question de l’aptitude de la France à réduire son déficit public.

Qu’est-ce qui pourrait engendrer un retour à la stabilité et donc un regain de confiance de la part des marchés ?

En cas d’élections anticipées et que l' on arrive à une majorité stable, ce qui semble à l’heure actuelle peu probable, de même si les prochaines réformes visant à réduire les dépenses et le déficit public passent avec le soutien du parlement. Il peut aussi y avoir une bonne surprise du côté de la croissance. Comme l’a présenté le ministre de l’Économie et des Finances en annonçant que les réformes structurelles entreprises depuis quelques années vont accélérer la croissance du PIB dans les prochains temps et entraîner une baisse du ratio recettes-dépenses. Ce qui pourrait ramener les agences à augmenter la note de la France. Pour le moment, elles sont plus conservatrices, car il est délicat de prévoir une croissance potentielle.

Propos recueillis par Céline Toni

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