Alors que le rythme des restructurations d’entreprises vit un ralentissement historique, Cédric Garcin, secrétaire général du Comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri) dresse le bilan de la période et donne des clés pour anticiper la suite.

Décideurs. Quel regard portez-vous sur les deux années qui viennent de s’écouler et sur l’effet des réponses apportées par le CIRI aux entreprises en difficulté pendant cette période ?

Cédric Garcin. Le Ciri a été l’un des premiers services de l’État mobilisés en urgence dès le premier confinement en mars 2020 pour soutenir les entreprises touchées par la crise, avant même la mise en place des PGE, de l’activité partielle et du fonds de solidarité. Dès le début de la crise, la stratégie du gouvernement a consisté à apporter massivement des liquidités : il fallait atténuer les ralentissements d’activité, compenser la disparition des chiffres d’affaires et au global prévenir l’appauvrissement de l’économie et les vagues de licenciements. Les mesures de soutien aux trésoreries d’entreprises ont été massives : 35 milliards d’euros pour l’activité partielle, 145 milliards d’euros de prêts garantis par l’État et le fond de solidarité a déployé 25 milliards d’euros pour 2 millions d’entreprises bénéficiaires, en plus des exonérations de charges. L’administration a fait preuve de réactivité et de souplesse pour prévenir les défaillances et accompagner les entreprises.

malgré une explosion du nombre de saisines, les volumes de défaillances et les ouvertures de procédures collectives ont été divisés par deux.

Comment avez-vous vu évoluer la typologie des entreprises au Ciri?

Notre activité a doublé pendant la crise : avant nous avions 35 nouvelles saisines par an, en 2020 nous en avons eu 70 et 2021 a été l’année du retour à la normale avec des chiffres d’avant la pandémie.  Plusieurs périodes sont à distinguer. La première entre mars et juin 2020 où nous avons vu arriver des entreprises qui étaient déjà en difficulté avant la crise et que les mesures de confinement ont achevées : les grandes chaînes de restauration, d’importantes enseignes de textile, les magasins d’ameublement… les grèves, la digitalisation des modèles économiques, et la crise des Gilets jaunes avaient commencé à les fragiliser et la crise sanitaire a aggravé leur situation. Pendant cette période, le Ciri a eu un rôle de « super-médiateur du crédit », en accompagnant les entreprises auprès de leurs banques quand elles avaient des difficultés à obtenir leurs PGE. Progressivement, les dispositifs d’aides se sont mis en place, les liquidités se sont diffusées dans l’économie et ont anesthésié l’impact de la crise. En conséquence, malgré une explosion du nombre de saisines, les volumes de défaillances et les ouvertures de procédures collectives ont été divisés par deux. Dans un second temps, nous avons vu des dossiers de voyagistes, de compagnies aériennes, d’entreprises de l’événementiel ou des salles de sports et plus largement des ETI touchées par les fermetures administratives liées au Covid. Depuis septembre 2021, nous voyons moins ces situations sur les nouveaux dossiers car les restrictions ont été globalement levées. L’État sort par ailleurs progressivement du « quoi qu’il en coûte » avec la reprise de l’activité. Les outils de soutien évoluent vers du « sur-mesure ».

En quoi l’entreprise en difficulté en ce début d’année 2022 est-elle différente de celle d’avant la crise ?

Même si certains secteurs comme l’événementiel ou l’aérien sont encore concernés par les mesures sanitaires, les nouvelles saisines du Ciri concernent davantage les entreprises industrielles des secteurs du bâtiment ou encore l’automobile. Ces dernières sont touchées par l’augmentation du prix de l’énergie, des problèmes d’approvisionnement des composants électroniques et l’explosion du cours des matières premières. Pour l’instant, les sociétés que nous accueillons n’ont pas encore commencé à rembourser leurs PGE. Le remboursement des PGE n’est donc pas encore un motif de saisine du Ciri pour celles-ci. Nous anticipons toutefois qu’avec les premiers remboursements au printemps, après deux années de différé, nous allons être saisis à partir du deuxième semestre 2022 et au cours de l’année 2023 par des entreprises qui devront restructurer leur dette contractée pendant la crise.

"L’écosystème direct de l’entreprise, doit être sollicité au plus tôt pour réaliser un diagnostic de solvabilité et éviter l’illusion de l’afflux de trésoreries des PGE"

Quels conseils donnez-vous aux entreprises pour anticiper les restructurations liées à la sortie de crise ?

L’enjeu va être de restructurer la « dette Covid ». Les aides mises en place pour faire face à la crise ont permis de régler les problèmes de liquidité mais les seuils de solvabilité se sont dégradés : les bilans sont déséquilibrés, les fonds propres ont été affectés et pour les structures les plus fragiles, les modèles économiques ne permettront pas de rembourser les dettes contractées pendant la crise. Pour ces sociétés, la solution sera de discuter avec l’ensemble de leurs créanciers afin de restructurer leur passif. L’État a mis en place un plan de sortie de crise dont le mot clé est l’anticipation. L’écosystème direct de l’entreprise, de l’expert-comptable au banquier, doit être sollicité au plus tôt pour réaliser un diagnostic de solvabilité et éviter l’illusion de l’afflux de trésoreries provoqué par les PGE ou les moratoires sur le passif public. Il est nécessaire de réagir vite et ne pas craindre de se faire aider. Aujourd’hui, l’État crée la possibilité de simplifier l’étalement du remboursement des PGE pour les toutes petites entreprises en passant gratuitement par la médiation du crédit. Pour les autres, anticiper leur permettra d’avoir recours à des procédures amiables comme les mandats ad hoc ou les conciliations. Pour tous, la clé sera de mettre en place assez tôt, un plan de bataille avec les bons interlocuteurs.

Propos recueillis par Céline Toni

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