La loi de finances pour 2019 harmonise le régime français de taxation des redevances conformément aux autres régimes fiscaux européens. Au 1er janvier 2019, "l’IP box", la réforme du régime des revenus sur certains incorporels sur la base d’un taux préférentiel de 10 %, est mise en œuvre en France. Elle nous est expliquée par Laurence Clot, avocat associé chez Bird&Bird.

Décideurs. Quel est le principe de la réforme de l’IP box ? Comment cette nouvelle réglementation a-t-elle été mise en place ? Qui concerne-t-elle ?

Laurence Clot. Dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale et des pratiques dommageables, l’OCDE et la Commission européenne ont décidé de dicter de nouvelles règles et contraint certains États membres à cesser leur pratique fiscale dommageable en matière d’IP box [structure détenant des incorporels et bénéficiaire de l’intégralité des revenus sur ces actifs, Ndlr] et à adopter les nouvelles règles fiscales harmonisées en matière de taxation de ces revenus issus des "incorporels", notamment les brevets et logiciels. La France, quant à elle, prévoyait une taxation au taux de 15 %, ce qui ne présentait pas en soi une pratique dommageable. Elle a néanmoins adopté ce changement depuis le 1er janvier 2019.

Ce dispositif inédit concerne de nombreux secteurs. Il bénéficie comme avant au secteur pharmaceutique notamment, mais présente également un intérêt particulier pour d’autres bénéficiaires nouveaux entrants, tels que les sociétés d’high tech ou les éditeurs de logiciels. Peu ou mal informées de ce changement, les sociétés se sont réveillées assez tardivement. Ainsi, nous avons entamé de nombreuses missions d’accompagnement pendant la période de confinement, qui se poursuivent aujourd’hui.

Comment ce régime se met-il en place au sein d’une société ou d’un groupe ?

C’est un véritable travail d’équipe à la fois pour les conseils et les clients car cela fait appel de façon simultanée aux directions financière, fiscale, de la propriété intellectuelle et au département R&D. Pour bénéficier pleinement de cette mesure, il faut démontrer un lien – le nexus – entre la création de l’actif incorporel – la localisation de la recherche et du développement – et l’entité qui exploite et génère des redevances, laquelle pourra bénéficier en France, d’un taux d’imposition de 10 %. Nos missions impliquent une phase d’audit des actifs éligibles, de leur sécurisation en matière de droits de propriété intellectuelle, de la localisation de la R&D… Il est nécessaire d’être à même d’allouer les programmes et dépenses de recherches, et les revenus générés par ces actifs et d’adopter d’ores et déjà une méthodologie de ventilation et de traçabilité fine des frais de R&D pour ceux qui souhaiteront bénéficier du régime une fois les résultats déficitaires apurés.

Pour accompagner au mieux nos clients dans ces missions, nous avons créé une équipe en interne regroupant des spécialistes en droit fiscal mais également en droit de la propriété intellectuelle, afin d’être à même d’appréhender les différents aspects de cette réforme et de disposer des bons interlocuteurs pour les différentes personnes impliquées chez nos clients.

Quels sont les avantages de ce nouveau dispositif, l’IP box ?

Combiné au CIR – qui permet de financer une partie des dépenses éligibles au crédit d’impôt en phase de recherche–, la taxation à 10 % des revenus en phase d’exploitation permet à la France de se placer au premier rang des pays européens et devrait indiscutablement faire réfléchir les groupes à recentrer leurs recherches et leurs actifs incorporels sur notre territoire – notamment compte tenu du Brexit. Cette économie d’impôts sur tout ou partie du résultat n’est évidemment pas neutre dans un contexte de compétitivité accrue.

"Le régime adaptable permet aux groupes français de bénéficier d’un effet fiscal important"

De plus, ce régime "à la carte" permettra aussi de sélectionner les actifs concernés par ce dispositif. Ainsi, lorsqu’une entreprise dispose encore de frais de recherche importants sur certains actifs, le choix et le timing d’entrée dans le dispositif de certains actifs devra être analysé avec précaution. L’entreprise pourra opter soit par actifs, soit par famille d’actif, ou encore par produit ou services. Le régime adaptable permet aux groupes français de bénéficier d’un effet fiscal important.

Avez-vous remarqué certaines difficultés dans sa mise en place ?

Sur la première année d’option et pour ceux qui ont souhaité intégrer le régime dès 2019, la difficulté a été de retracer sur les trois dernières années, les frais de recherche affectés aux actifs sélectionnés et de valider la documentation juridique afin d’extraire les revenus "éligibles" et ceux "non éligibles". Le régime étant nouveau, les groupes n’avaient pas la traçabilité fine requise au dispositif. Il a fallu mettre en place des clefs de répartition dans le cadre de l’option et documenter la méthode adoptée. Fort heureusement la France a adopté un régime qui permet de limiter la traçabilité sur 3 années pour les premières options 2019 et 2020. En revanche, à compter de 2021, les groupes "entrants" devront, dans tous les cas, retracer leurs dépenses depuis 2019, même ceux qui opteront dans plusieurs années.

"Le problème majeur porte sur la méthodologie de ventilation des dépenses de R&D"

Comme pour le CIR, nous anticipons un contrôle accru de l’administration pour ce nouveau régime de faveur afin d’éviter les abus. C’est pourquoi le problème majeur porte sur la méthodologie de ventilation des dépenses de R&D, où le volume de dépenses est plus large que pour le CIR. Comme nous pouvons opter pour certains actifs et pas pour d’autres, nous devons donc vérifier l’intérêt de ces options, afin de défendre la méthode de ventilation adoptée. Dans les groupes, lorsque les redevances sont issues de relations intragroupes, il conviendra de justifier la politique de prix de transfert sur le taux de redevances perçues qui ne devront pas varier uniquement du fait du régime de faveur.

Enfin, le dispositif peut sembler complexe à comprendre et appréhender sur la première année mais il permet une économie substantielle à la clef. Il faut continuer d’expliquer le régime de "l’IP box" aux entreprises et notamment aux PME , qui ne connaissent pas forcément son existence et les rassurer sur la longévité d’un régime adopté par la plupart des États Européens.

Propos recueillis par Agathe Giraud

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