Arrivé chez Evaneos en 2014 pour mettre en place la fonction financière, Benoît Guigou a participé à la structuration d’une entreprise en hypercroissance. Le directeur financier dépeint l’état d’une start-up touchée de plein fouet par la pandémie.

Décideurs. Le confinement a fortement limité les voyages. Comment, en tant que CFO, avez-vous réagi ? 

Benoit Guigou. Du fait de notre métier de plateforme de mise en relation entre voyageurs et agences de voyages locales, nous avons eu assez tôt des indicateurs de l’impact de la pandémie. En particulier en Chine et en Asie du Sud-Est, qui sont des destinations prisées, ainsi que sur les marchés émetteurs comme l’Italie. Nous avons ainsi pu prendre les devants en termes de coûts et de financement. Au-delà de la réduction des dépenses marketing et de la mise en place du chômage partiel pour adapter la masse salariale à l’activité, nous avons revu l’ensemble de nos coûts dans le détail. Et pour encore plus d’efficacité dans l’allocation de nos dépenses, les choix faits dans le passé ont pu être remis en question. C’est notamment le cas de nos outils informatiques et d’hébergement qui ont été rationalisés. 

Evaneos a levé 70 millions d’euros en 2018 auprès de Partech, Level Equity et Quadrille Capital, suivis par vos investisseurs historiques Bpifrance, Serena Capital et XAnge. Avez-vous fait appel à vos actionnaires ou à un prêt garanti par l’État ? Disposiez-vous de suffisamment de liquidités ? 

Nos finances étaient saines et avons obtenu assez tôt, auprès de nos partenaires bancaires, un prêt garanti par l’État pour compenser la baisse de l’activité en 2020. Nous disposons également d’une enveloppe de financement de la part de nos actionnaires. L’objectif est de dégager une visibilité à 24 mois, d’être capable de financer sereinement le rebond de l’activité et d’investir très fort en sortie de crise. 

En ce qui concerne la gestion de trésorerie, nous bénéficions du système d’acomptes. Le cadre juridique français nous a aussi beaucoup aidé, notamment l’ordonnance parue fin mars qui permet aux agences de voyages d’imposer des reports. La majorité de nos clients a choisi de reporter leur voyage, mais nous avons procédé à certains remboursements. Pour ce faire, nous avons utilisé la trésorerie dont nous disposions et celles de nos partenaires, dans la limite de leurs capacités, car malgré des structures de coûts plutôt légères, ils ont, eux-aussi, vécu une période chahutée.

"Dans certains pays, en Asie notamment, le tourisme pèse près de 30 % du PIB"

Comment maintenir une activité pour une entreprise d’un secteur sinistré par le confinement et la crise ? 

Nous avons essayé d’être le plus fin possible et adaptons nos outils marketing en fonction des ouvertures de frontières. En parallèle, en étant très présents auprès de nos voyageurs, nous les avons encouragés à reporter leurs séjours en 2021. Nous sommes également très actifs auprès de nos partenaires locaux, pour qui des webinars réguliers ont été organisés afin qu’ils communiquent entre eux et se partagent les bonnes pratiques. Il était important pour nous que les 2 000 agences locales puissent se reposer sur la force de notre réseau. Avec elles, nous avons mis en place les conditions d’annulation les plus flexibles possible pour les voyageurs, pour qu’ils puissent, si nécessaire, repousser leur voyage. Cependant, chaque réouverture de frontière est une bonne nouvelle. Rappelons que dans certains pays, en Asie notamment, le tourisme pèse près de 30 % du PIB. Tous les acteurs sont donc mobilisés pour que l’activité reparte. 

Dans quelles mesures votre business plan et votre ambition de leadership européen ont-ils été remis en cause ? 

Notre business plan a été actualisé avec une première échéance, dans un an, de remboursement du PGE, étirable sur cinq ans. Nos projections financières s’appuient sur un scénario central en 2021, car nous pensons retrouver des volumes importants à partir de l’été 2021. Selon notre scénario de reprise, il faudra deux ans pour retrouver un niveau équivalent à celui d’avant la crise. 

Alors que nous sommes rentables en France et à l’équilibre sur les marchés espagnols et italiens, nous sommes encore en phase d’investissement en Allemagne et aux Pays-Bas. Nous offrons donc une couverture assez complète en termes de destinations en Europe, où les compagnies aériennes desservent le monde entier. Ce qui facilite l’organisation des voyageurs au moment de réserver leurs vols. Grands voyageurs, les Européens ont la culture du voyage lointain et individuel. Notre priorité reste donc le marché européen avec l’ambition de répliquer notre succès français dans d’autres pays de la zone, où nous sommes déjà leader sur notre modèle de mise en relation du voyageur avec les agences locales. 

Quelles sont les particularités du poste de directeur financier d’une entreprise du tourisme ?  

L’exposition permanente à l’économie mondiale nous oblige à suivre ce qui se passe au niveau géopolitique dans tous les pays qui sont des destinations de voyage, car nous sommes directement touchés par tout ce qui est relatif aux devises. Une des particularités du directeur financier en la matière, c’est de gérer les taux de change, particulièrement sensibles dans ce secteur. Le tourisme, c’est aussi une somme de nombreux intermédiaires. Il faut donc savoir administrer les flux avec l’ensemble des prestataires. Avant la crise sanitaire, le secteur affichait une croissance soutenue de 5 à 10 % par an au niveau mondial et, jusqu’en 2019, connaissait un vrai boum. Espérons que 2020 ne soit qu’une parenthèse.

"Il faudra deux ans pour retrouver un niveau équivalent à celui d’avant la crise"

Comment se déroule la reprise de l’activité ? Comment vous préparez-vous pour la suite ? 

Depuis mars, chaque mois montre des signes d’amélioration. L’été 2020 s’est concentré sur des séjours européens, mais certaines des destinations les plus demandées comme la Tanzanie ou le Costa Rica rouvrent peu à peu leurs frontières et nous enregistrons des demandes pour Noël et début 2021, quatre à cinq mois à l’avance. Nous avons déjà vécu des crises locales, qu’il s’agisse d’éruption volcanique, de crise politique ou d’attentat. À chaque fois, la demande revient, un à deux ans après l’événement. 

Aujourd’hui, nous fonctionnons avec plusieurs scénarios et multiplions les exercices de prévisions, en isolant certaines zones du monde en fonction de leurs réouvertures. Si l’année 2020 se terminera dans un climat morose pour le secteur du tourisme, nous sommes plutôt optimistes pour 2021 et 2022. Evaneos présente des arguments de taille pour se positionner au moment de la réouverture des frontières, notamment parce que le voyage individuel devrait repartir avant celui des groupes. Les voyageurs recherchent des expériences, moins fréquentes mais plus longues, qui ont du sens pour eux et pour la destination. Ils seront également plus sensibles aux enjeux environnementaux. 

Evaneos s’est engagé pour un tourisme plus durable. Comment combiner voyages au bout du monde et protection de l’environnement ? 

Le transport est forcément un sujet important, même si on peut essayer d’orienter les voyageurs vers des vols plus responsables et moins polluants, ce qui est en train de devenir possible. Sur place, nous les encourageons à privilégier des hébergements à taille humaine, avec une politique de sensibilisation à l’environnement, de traitement des déchets, et nous nous appuyons sur nos agences locales pour optimiser les flux. À savoir ne pas emmener tous les touristes dans les mêmes endroits, pour leur faire découvrir des lieux peut-être moins fréquentés. 

Observez-vous des changements dans les comportements de vos clients ? 

Les voyageurs sont plus vigilants sur les conditions d’annulation et les produits d’assurance. L’hébergement reste important, mais ils veulent surtout vivre des expériences, encore plus qu’avant, passer davantage de temps dans le pays et rencontrer la population locale. La sécurité et les conditions sanitaires sont effectivement des points importants, notamment depuis la pandémie. Ils privilégient donc les voyages individuels ou en petits groupes, qui limitent la circulation du virus. Evaneos a toujours mis l’accent sur le voyage individuel, c’est notre cœur de métier, mais nous proposons aussi des séjours pour des groupes à taille humaine, entre huit et douze personnes. Depuis sa création, notre groupe a fait voyager plus de 500 000 personnes. 

Propos recueillis par Anne-Gabrielle Mangeret 

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