Adeptes des politiques monétaires non conventionnelles depuis la crise, les deux banques centrales ont eu des résultats mitigés. Laquelle des deux a su le mieux remplir son rôle de « prêteur en dernier ressort » ?

1 – Missions : Fed

Créé en 1913, le Federal Reserve System (abrégé en Fed) a une triple fonction : maintenir la stabilité des prix, favoriser le plein emploi et garantir des taux d’intérêt à long terme modérés. De son côté, la banque centrale européenne, née en 1998, n’a que la stabilité des prix pour objectif principal. Émettrice de la monnaie commune, elle doit lutter contre l’inflation mais n’a aucune mission relative à l’emploi. Aux États-Unis, la Fed est composée de douze banques régionales alors que la BCE doit prendre en compte dix-neuf pays qui ont chacun des enjeux et des règles économiques différents. Avec ses Federal Open Market Commities réunis huit fois par an, la Fed ajuste ses taux plus fréquemment que son homologue européen. Maintenir l’inflation autour de 2 % n’est pour la Fed qu’une mission secondaire. Un peu comme si la zone euro semblait encore hantée par l’hyperinflation allemande des années 1920.

 

2 – Réactivité : Fed

En 2008, Jean-Claude Trichet, président de la BCE, et Ben Bernanke, son homologue américain, sont mis à l’épreuve. La faillite de Lehman Brothers provoque mécaniquement un gel sur le marché interbancaire. Outre-Atlantique, la réaction est immédiate : dès septembre 2007, la Fed baisse ses taux. Entre septembre 2007 et décembre 2008, son taux directeur passe de 5,25 % à une fourchette comprise entre 0 % et 0,25 %. Côté européen, une première hausse malheureuse à 4,75 % en juillet 2008 plombe l’économie. Il faut attendre octobre 2008 pour que Jean-Claude Trichet corrige le tir. Une réduction de 225 points de base ramène les taux à 2 % jusqu’à atteindre 0,75 % en juillet 2012.

Une fois épuisées les possibilités de baisse des taux, les deux banques passent à des mesures plus hétérodoxes. Début 2009, la Fed lance son premier quantitative easing (QE) en rachetant trois cents milliards de dollars de titres du Trésor, 1 250 milliards de titres immobiliers et deux cents milliards de titres d’agences. Côté européen, ce n’est en mai 2010 que l’organe de gouvernance de la BCE approuve le Security Markets Programme (SMP) permettant à la BCE de racheter des obligations d’État sur le marché secondaire (opération interdite par le traité de Maastricht de 1992 car génératrice d’inflation) sous contrainte de stérilisation, donc de destruction de monnaie équivalente à celle créée. Les premiers rachats de titres grecs représentent 1,4 % des actifs de la BCE, soit près de dix milliards d’euros. Avec les inquiétudes sur l’Italie et l’Espagne, la banque centrale multiplie les actions de SMP. À cela s’ajoutent les LTRO (long term refinancing operations) sur un à trois ans, qui de décembre 2011 à mars 2012 permettent d’injecter 700 milliards d’euros dans l’économie. Début 2015, la BCE en arrive enfin à l’assouplissement quantitatif et prêtera 1 100 milliards d’euros aux États et aux entreprises jusqu’à septembre 2016.

 

3 - Montants injectés : Fed

Au niveau mondial, les banques centrales ont fourni environ 8 000 milliards de dollars. Les institutions américaine et européenne rassemblent une bonne partie de cette somme. Début août 2007, le bilan de la BCE affichait 1 000 milliards d’euros, fin 2014, son bilan avait grimpé à 2 208 milliards d’euros. De son côté, la Fed affichait 870 milliards de dollars en août 2007 et 4 500 milliards de dollars fin 2014. Avec un programme de rachats d’obligations de 4 500 milliards de dollars sur sept ans terminé en octobre 2014, la banque centrale américaine est loin devant la BCE qui n’a lancé un assouplissement substantiel que cette année. Avec 60 milliards d’euros, soit 69 milliards de dollars prêtés par mois, la BCE a encore du chemin à faire.

 

4 – Résultats macroéconomiques : match nul

Face à une inflation négative en décembre 2014, la banque basée à Francfort décide de sortir l’arme lourde en lançant son assouplissement quantitatif. Résultat : en avril, l’inflation était nulle, puis de + 0,3 % en mai avant de rechuter en septembre à - 0,1 %. Aux États-Unis, l’inflation était atone de septembre 2014 à septembre 2015. Mais l’économie américaine se porte mieux : elle affiche une croissance de 1,5 % au troisième trimestre 2015, malgré une baisse par rapport aux 3,9 % du second trimestre. La zone euro peine, quant à elle, à dégager une croissance de 0,3 % ce même trimestre. Les plans de relance ne semblent donc avoir qu’un impact limité sur l’inflation et la croissance. Si elle n’est pas couplée à une politique budgétaire ambitieuse, la politique monétaire expansionniste n’a de fait que peu d’effets sur l’économie réelle. Le Japon, qui s’est lancé dans un vaste programme de QE depuis 2013 en injectant 13 000 milliards de yens, soit 27 % de son PIB dans l’économie, en est le parfait exemple. Au pays du Soleil levant, l’inflation était de 0,5 % en 2015 et le yen s’est déprécié face au dollar passant de 80 yens à 120 yens pour un dollar.

Seul effet positif au niveau macroéconomique : le QE a permis de baisser les taux des emprunts. Le taux français à dix ans est à 0,8 % contre plus de 2 % il y a deux ans. Le Portugal emprunte à moins de 2,4 % quand il devait tabler sur 6 % pour lever des fonds en 2013. La Grèce peut maintenant vendre ses obligations à 7,89 % contre 10 % en février.

 

5 – Parité euro/dollar : BCE

L’euro profite de toutes ces politiques monétaires. Pour empêcher la déflation, la BCE renforce l’assouplissement quantitatif au moment où la Fed l’a arrêté. Dans le même temps, cette dernière semble vouloir relever ses taux directeurs sous peu. Résultat, les investisseurs vendent des euros et achètent des dollars. Avant la crise, la parité était à un euro pour 1,60 dollar. En 2014, la monnaie européenne perdait 12 % de sa valeur, passant de 1,375 dollar à 1,2 dollar. Conséquence directe de janvier à août 2015, les exportations de biens et services de la zone euro vers le reste du monde ont atteint 1 346 milliards d’euros, en hausse de 6 % sur un an. Celle-ci affichait alors un excédent commercial de 156,9 milliards d’euros contre 104,5 milliards d’euros un an plus tôt. Côté entreprises, certaines sont aussi gagnantes : LVMH a connu un rebond de ses ventes sur neuf mois de 18 % à 25,3 milliards d’euros. À taux constant, cette croissance ne serait que de 6 %. Pour autant, le déficit commercial de la France, notamment, s’établissait à 3,3 milliards d’euros en juillet, connaissant en un mois un recul des exportations à 38,9 milliards d’euros.

 

Conclusion : Fed : 4 – BCE : 2

Dans son dernier communiqué, la Fed n’exclut pas de remonter ses taux directeurs en décembre prochain. Sa méthode de forward guidance, imitée par la BCE, lui permet d’influencer directement les marchés financiers. Plus réactive et plus expérimentée que sa consœur, la Fed de Janet Yellen mène la danse. Mario Draghi, le banquier central européen, est limité par les politiques économiques nationales des dix-neuf pays qui forment la zone euro. Sans politique budgétaire et donc fiscale européenne commune, la BCE n’aura toujours qu’un champ d’action réduit.

 

Sophia Sanni Soulé

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