Le droit des affaires et l’écologie ne font a priori pas bon ménage. Certains avocats pensent au contraire que le conseil aux entreprises est un vecteur de transition écologique pour des lendemains plus verts. Porter la robe pour défendre la planète, c’est ce que font Arielle Guillaumot, Amandine Rossignol et Juliette Terrioux.

 “Les entreprises sont le bon échelon pour agir.” Pour Amandine Rossignol, avocate en droit des affaires, la transition écologique s’accomplira à travers les opérateurs économiques. Et par ceux qui les conseillent dans la gestion quotidienne de leur entreprise comme pour des opérations ponctuelles : leurs avocats. Arielle Guillaumot, collaboratrice chez Huglo Lepage Avocats, et Juliette Terrioux, cofondatrice d’Arca Avocats, sont elles aussi convaincues de l’importance du droit dans la lutte contre le réchauffement climatique. Arielle Guillaumot qui exerce depuis deux ans a choisi ce combat dès le début de ses études. Études pendant lesquelles elle a fait le constat de l’intérêt croissant de ses camarades de promotion pour ces problématiques, “même si les filières juridiques dédiées demeurent trop peu nombreuses”. Juliette Terrioux et Amandine Rossignol se sont respectivement formées en droit de la propriété intellectuelle et des données personnelles, et en droit des entreprises avant d’opérer le virage. Juliette Terrioux voulait aligner ses valeurs personnelles, son engagement pour le vivant, avec sa profession. Amandine Rossignol a pris conscience de l’urgence climatique quand elle a elle-même été confrontée au problème, une réaction psychologique propre à l’humain : “Tant que ça ne nous touche pas personnellement, directement, ça ne nous préoccupe pas.” Et au lieu “d’aller vivre dans la nature et cultiver [ses] propres légumes”, elle a décidé de mettre sa carrière au service de la pérennité des entreprises, de la recherche d’un impact positif sur la société, et de l’innovation entrepreneuriale.

Structure tournée vers la planète

Amandine Rossignol commence par imaginer des leviers d’action. L’un des premiers : donner à son cabinet le statut de société à mission créé par la loi Pacte du 22 mai 2019 et qui permet aux entreprises de se doter d'une raison d'être basée sur les impacts sociaux, sociétaux et environnementaux de leurs activités. L’avocate montpelliéraine ne s’arrête pas là. Puisque “l’union fait la force”, elle s’allie à d’autres pour fonder le premier réseau de cabinets d’avocats société à mission, l’Association des avocats entreprise à mission (LAEM) dont le site internet promeut la possibilité pour l’avocat “d’inscrire durablement au cœur même de son exercice une démarche d’entreprise poursuivant des objectifs à enjeux sociétaux et/ou environnementaux”. Et qui organise d’ailleurs son premier événement le 7 juin prochain à la Montpellier dans le but de faire connaître le statut de la société à mission et de donner envie aux participants de s’engager. Ce n’est pas tout, Amandine Rossignol appartient au collectif RSE Occitanie. Selon elle, “l’interprofessionnalité est hyper importante en matière de RSE”.

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Arielle Guillaumot a choisi un cabinet en phase avec ses valeurs. Un cabinet qui refuse certains dossiers pour coller à la charte éthique dont il s’est doté. Un cabinet cofondé par l’ancienne ministre de la Transition écologique, Corinne Lepage, et qui a représenté certaines communes, parties civiles, au procès Erika. “À l’éthique commune, il faut superposer l’éthique environnementale”, selon la jeune avocate. Juliette Terrioux a, comme Amandine Rossignol, aussi mis l’accent sur la forme. Avec son associée, Vanessa Godier, elle a fondé la deuxième coopérative d’avocats de l’Hexagone et la première coopérative d’avocats inter-barreaux (Paris et Marseille). Une “structure tournée vers la planète“, qui fonctionne selon les principes de l’économie sociale et solidaire, au sein de laquelle une personne égale une voix, au moins 50% du résultat est mis en réserve pour la coopérative et au sein de laquelle on ne distribue pas de dividendes.

“Si on s’engage, on devient attaquable”

Toutes font le même constat : les entreprises n’auront pas d’autre choix que celui de s’adapter. Elles ont un “regard pragmatique“ et “comprennent bien qu’il faudra s’adapter aux enjeux du siècle”. Les opérateurs économiques sollicitent les avocats en droit de l’environnement pour anticiper l’évolution de la réglementation liée au réchauffement climatique. Selon Arielle Guillaumot, ce travail de prospective permet à des entreprises de développer “des business cohérents avec l’objectif de réduction des émissions de carbone, qui développent des solutions techniques d’adaptation au changement climatique”. Pour autant, quand on interroge la compatibilité des impératifs de rentabilité avec les recommandations de sobriété portées par les défenseurs du climat, l’affaire se corse. “Les opérateurs économiques craignent trop souvent les coûts supplémentaires et se demandent ce qu’un tel engagement peut leur rapporter”, explique Amandine Rossignol qui conseille des entreprises diverses : Sasu, ETI, entités au rayonnement international. Elle détecte par ailleurs que certaines entreprises sont réticentes à communiquer sur leur politique RSE, dont la conséquence mécanique est, selon elles, l’augmentation de leur responsabilité. “Si on s’engage, on devient attaquable.” Si pour les entrepreneurs qui se lancent, s'emparer de ces sujets est facile, il en va autrement pour les acteurs économiques déjà en place. Juliette Terrioux cite le secteur de la mode, l’un des plus polluants, mais qui comporte “énormément d’acteurs qui essaient de penser la mode autrement”. Selon l’avocate, le droit constitue un puissant levier pour sensibiliser les entreprises sur ces sujets, pour “montrer que la préservation de l’environnement peut être synonyme d’une construction économique viable, pour repenser les modèles existants, et ce, secteur par secteur”.

Laisser du temps à la justice

La tâche est herculéenne et les avocats ne font que poser une pierre à l’édifice de la lutte contre le changement climatique. “Toute la chaîne judiciaire se met en mouvement”, se réjouit Juliette Terrioux qui indique qu’il existe aussi des associations de juges très impliquées sur ces questions. Eux aussi construisent le droit de l’environnement, par œuvre prétorienne, comme ce fut le cas dans l’affaire Erika en 2012 à l’occasion de laquelle le préjudice écologique a été érigé comme un principe jurisprudentiel nous rappelle Arielle Guillaumot.  Une décision de la Cour européenne des droits de l’homme est d’ailleurs attendue sur la question de savoir si l’inaction climatique des États porte préjudice aux droits humains dans le cadre d’une assignation de l’État français par l’ancien maire de la commune de Grande-Synthe, qui s'estime menacé par la montée du niveau de la mer. Ce genre d’action fleurit. Aux Pays-Bas, en 2019, et en France, en 2021, les juges ont condamné leur État respectif, pour leur passivité notamment, en les enjoignant de respecter leurs objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. L’État de Nouvelle-Zélande s’est également vu traîner en justice par une étudiante en droit néo-zélandaise, Sarah Thomson, qui accuse son gouvernement d’inaction face au réchauffement de la planète. Les décisions ne sont parfois pas à la hauteur des attentes, comme pour les ONG plaignantes qui espéraient du juge des référés qu’il mette un frein au projet Total en Ouganda, sans succès. Les experts du GIEC ont cependant noté dans le dernier volet du 6ᵉ rapport du GIEC, publié le 4 avril 2022, l'importance des contentieux dans la reconfiguration de la gouvernance climatique mondiale. Les trois avocates, elles, s’accordent sur le fait qu’il faut laisser du temps à la justice pour qu’elle s’empare pleinement du sujet.

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Problèmes de recrutement et d’approvisionnement en matières premières et énergie

Moins patiente, la jeune génération est tourmentée par la question environnementale. Un sondage Harris Interactive* réalisé en ligne en mars 2022 indique que l’échantillon des 2 078 personnes interrogées, et représentatives des Français âgés de 18 ans à 30 ans, déclarent majoritairement qu’il est important que leur entreprise actuelle ou future prenne en compte les enjeux sociaux (86%), éthiques (82%) mais également environnementaux (86%) auxquels le monde est confronté. Juliette Terrioux confirme la tendance. Elle reçoit un très grand nombre de candidatures de jeunes avocats inspirés par l’orientation d’Arca Avocats. Pour Amandine Rossignol, le recrutement de jeunes en recherche d’une structure en phase avec leurs convictions environnementales est un élément qui incitera les entreprises à s’engager dans la transition écologique. Et c’est sans compter sur les problématiques d’approvisionnement en matières premières et en énergie qui elles aussi feront pencher la balance en faveur d’une politique écologique digne de ce nom.

Travailler pour une entreprise engagée constitue un moyen de ne pas se laisser gagner par l’écoanxiété. Arielle Guillaumot affirme que son métier lui permet de ne pas rester passive, de “ne pas avoir l’impression d’être impuissante devant le film qui se déroule”. De son côté Juliette Terrioux fait figurer sur le site internet de son cabinet Arca Avocats des photographies de la nature dans toute sa splendeur, une façon pour elle d’impulser le changement d’une manière positive. Amandine Rossignol, elle, croit en l'affirmation d’Henri Ford : "L’entreprise doit faire des profits, sinon elle mourra. Mais si l’on tente de faire fonctionner une entreprise uniquement sur le profit, alors elle mourra aussi car elle n’aura plus de raison d’être.” 

Anne-Laure Blouin

* Sondage Harris Interactive de mars 2022

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