Acheter du gaz américain, se tourner vers l’Iran et le Venezuela pour le pétrole, anticiper les éventuels arbitrages… La Paris Arbitration Week a été l'occasion d'analyser les conséquences pratiques et juridiques de la guerre en Ukraine, laquelle a mis en lumière la dépendance européenne au gaz russe.

Dans le cadre de la Paris Arbitration Week, un panel pluridisciplinaire d’intervenants a évoqué les conséquences pratiques, économiques et juridiques de la sécurité énergétique et de l’indépendance énergétique dans le contexte de la guerre en Ukraine. Le panel était composé de Tim Gould, économiste en chef à l’Agence internationale de l’énergie (AIE), Bob Broxson, expert en énergie chez Secretariat, Alexander Nesterov, ancien vice-président de TNK-BP, et Meike von Levetzow, associée chez Noerr. La discussion était animée par Maria Kostytska, associée chez Winston & Strawn.

Alternatives

Tim Gould a présenté le rapport de l’AIE intitulé "Plan en 10 points pour réduire la dépendance de l'Union européenne au gaz naturel russe" (A 10-Point Plan to Reduce the European Union’s Reliance on Russian Natural Gas), publié le 3 mars 2022. Le plan envisageait, entre autres, de ne pas conclure de nouveaux contrats de fourniture de gaz avec la Russie ; de remplacer les fournitures de gaz russe par d’autres sources ; d’imposer des obligations minimums en matière de stockage de gaz ; d’accélérer le déploiement de nouveaux projets éoliens et solaires ; de produire de l’énergie à partir de sources bioénergétiques et nucléaires ; etc. Tim Gould a indiqué que "réduire notre dépendance au gaz russe ne se fera pas sans difficulté, mais une politique concertée et soutenue à travers de nombreux secteurs et une collaboration internationale forte pourraient permettre de réduire les importations d’un tiers en un an".

"Réduire notre dépendance au gaz russe ne se fera pas sans difficulté, mais une politique concertée et une collaboration internationale forte pourraient permettre de réduire les importations d’un tiers en un an"

Bob Broxson a abordé le rôle des exportations de gaz naturel liquéfié (GNL) mondiales et en particulier américaines pour remplacer ou compléter les exportations de gaz naturel russe vers l’Europe. Il a indiqué que même si les États-Unis disposaient d’une grande capacité en termes de gaz naturel, un remplacement total du gaz national russe en Europe pourrait être entravé par des facteurs économiques, réglementaires, juridiques et liés aux infrastructures. Il a indiqué que les États-Unis n’avaient pas de société nationale de gaz, que des sociétés privées vendaient du gaz au marché et que, pour que des sociétés privées américaines vendent du GNL à l’Europe, l’Europe devait être le plus offrant sur le marché. Il a également fait référence à des retards dans la mise en place de l’infrastructure nécessaire en termes de gazoduc dans certaines régions des États-Unis. Du côté de l’Europe, Bob Broxson a souligné que même si elle disposait de la capacité nécessaire en termes de regazéification, elle n’avait pas un réseau de gaz suffisamment intégré pour permettre le transfert du gaz à travers le continent.

Futurs litiges

Alexander Nesterov s’est appuyé sur son expérience en distribution de gaz pour discuter de l’étendue de la dépendance actuelle de l’Europe au pétrole russe et de la possibilité de le remplacer par d’autres sources. Selon lui, une option, la solution la plus facile et la "moins mauvaise" consisterait à acheter du pétrole et des produits pétroliers à l’Iran ou au Venezuela, sous réserve que les sanctions applicables soient levées. Une autre solution consisterait pour les pays de l’OPEP à augmenter leurs quotas pour la fourniture de pétrole et de produits pétroliers. Si l’Europe se tournait vers d’autres sources pour la fourniture de pétrole, la Russie devrait vendre son pétrole à d’autres acheteurs, comme la Chine et l’Inde. Étant donné que les Chinois sont de "grands négociateurs" qui insisteraient sur des réductions de prix, ce changement exercerait en fait une pression à la baisse sur les prix du pétrole.

"La solution la plus facile et la 'moins mauvaise' consisterait à acheter du pétrole et des produits pétroliers à l’Iran ou au Venezuela, sous réserve que les sanctions applicables soient levées"

Meike von Levetzow a évoqué les litiges pouvant découler de la suspension et de la non-certification du projet Nord Stream 2, en particulier des demandes liées à des traités et des contrats, et des demandes en vertu du droit allemand devant les tribunaux allemands. Selon elle, Nord Stream 2 AG, constituée en Suisse, pourrait introduire des demandes en vertu du Traité sur la charte de l’énergie à l’encontre de l’Allemagne ou de l’Union européenne pour le préjudice causé par les décisions administratives de suspension du projet. Des sociétés financières ayant investi dans le projet peuvent également être considérées comme des demandeurs potentiels puisqu’elles sont protégées de la même manière en vertu du Traité sur la charte de l’énergie. Des demandes concernant la validité de ces décisions en vertu du droit allemand ou européen devront être introduites devant les tribunaux allemands ou un organe judiciaire européen. Des arbitrages commerciaux basés sur des contrats, en particulier des contrats de construction et de distribution du gaz, ne peuvent pas être exclus. Des problématiques complexes peuvent apparaître en raison de l’insolvabilité de la principale société opérationnelle de Nord Stream 2 et en ce qui concerne l’application de toutes futures sentences. Toutefois, la conclusion de Meike von Levetzow est que "planifier la sécurité énergétique est bien plus important à l’heure actuelle qu’envisager les litiges potentiels. Il y a non seulement une nécessité mais également une possibilité certaine d’accroître l’indépendance énergétique de l’Europe, mais cela exige une volonté politique et réglementaire, en Europe, aux tats-Unis et à travers le monde."

Une séance de questions-réponses animée par Maria Kostytska a suivi la discussion. Il a été demandé si le décret présidentiel nouvellement adopté en Russie, imposant le paiement du gaz en roubles, pouvait être interprété comme un changement non seulement de monnaie mais également de prix, qui pourrait déclencher l’application des clauses de "remise en négociation des prix" ou la renégociation d’autres modalités contractuelles, comme la durée ou les volumes. Certains participants ont indiqué que, d’un point de vue juridique, le prix contractuel ne changerait probablement pas puisque le décret prévoyait la conversion de la monnaie étrangère en roubles à la fin de la chaîne de paiement. Alexander Nesterov a noté que cette mesure ne constituerait pas un grand changement pour les parties européennes ou les consommateurs puisque le paiement du gaz russe serait effectué en monnaie étrangère puis converti en roubles par Gazprombank et qu’un tel système existait déjà avant le décret mais uniquement pour 80 % des revenus provenant des ventes de gaz.

Maria Kostytska, associée du cabinet Winston & Strawn

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