Le Sommet du droit organisé par Leaders League le 8 juillet dernier a été l’occasion de réunir les professionnels du monde du droit : avocats, directeurs juridiques, acteurs de la legaltech, chasseurs de têtes… Plusieurs thèmes touchant à la gestion d’un cabinet d’avocats ont été abordés dans le cadre de trois conférences : comment tenir la barre en temps de crise sanitaire ? Comment reprendre l’activité ? Comment rendre son cabinet success full ? Autant d’interrogations que la sphère juridique se pose.

D’après l’étude menée par l’Observatoire du Conseil national des barreaux l'an passé, les avocats ont fait partie des professionnels du droit les plus touchés par la crise sanitaire, du fait de la fermeture forcée des tribunaux au printemps dernier, un tiers d’entre eux ayant subi des conséquences négatives sur leur activité.

Sauvegarder les rémunérations

Lors du Sommet du droit, la première conférence du panel consacré au management du droit a de ce fait inévitablement porté sur la gestion d’un cabinet d’avocats en temps de crise sanitaire. Xenia Legendre, managing partner de Hogan Lovells, a détaillé les premiers réflexes adoptés au sein de son cabinet durant cette période difficile : "Dès le mois de mars 2020, nos actions ont été d’engager la protection des revenus, ce qui a impliqué une coupe de nos dépenses. Les associés equity sont à juste titre les avocats qui ont dû assumer un impact plus important au niveau de la rémunération. Cette décision a été très bien accueillie et comprise par les avocats concernés." Chez White & Case, les décisions de survie ont été similaires : "Nous avons également décidé de couper l’intégralité des coûts (marketing, voyages, sponsorship) et avons choisi de ne pas toucher à la rémunération des collaborateurs et des associés non equity. Aucun de nos avocats n’a montré de signe de faiblesse", explique Saam Golshani, associé de la structure. Le cabinet d’origine américaine a par là même accéléré son activité et effectué sa meilleure année sur le plan européen et à Paris. Karl Hepp de Sevelinges, managing partner de Jeantet, se félicite également du maintien d’activité de son cabinet l’an passé : "Une réduction des versements accordés aux associés equity nous a permis de sauvegarder les rémunérations des collaborateurs et des associés non equity, et également d’éviter les restructurations ou les licenciements." Selon Marc Muzard, chasseur de têtes spécialisé dans le droit au sein de SSQ, les systèmes de rémunération choisis par les cabinets ont aussi permis cette sauvegarde. "Le lockstep est plutôt basé sur la séniorité que la performance, à l’inverse du eat what you kill justement axé sur la performance. Les cabinets du marché actuel se tournent de plus en plus vers un lockstep mixte ou eat what you kill modifié, ce qui fonctionne plutôt bien, comme nous avons pu le constater en temps de crise."

Miser sur les bonnes personnalités

Passée la tempête de la crise, les avocats ont dû rebondir. Raison pour laquelle la deuxième conférence du panel a porté sur la transformation de la crise en opportunité. Anne Bassi, l’associée fondatrice de l’agence en conseil en communication et en ressources humaines consacrée aux professions juridiques Sachinka, a ainsi remarqué la recherche active de profils d’avocats de certaines spécialités, en IP/IT notamment et en data, "en plus des avocats de profils corporate/restructuring, davantage recherchés que d’habitude", explique-t-elle. François Kopf, associé et co-gérant au sein du cabinet Darrois Villey Maillot-Brochier et responsable de la pratique restructuring confirme cette tendance, propre à cette activité qui n’a pas connu de baisse de régime. "Notre cabinet est historiquement spécialisé dans le droit des sociétés cotées puis a développé le conseil en opérations de fusions-acquisitions et contentieux. Notre ADN est donc fondamentalement M&A, notre positionnement nous a permis de surmonter la crise."

Hubert Segain, associé directeur du département corporate de Herbert Smith Freehills à Paris et membre du conseil de surveillance mondial du cabinet, confirme ces propos : "Alors que nous étions encore en pleine crise sanitaire, la reprise d’activité a été inouïe, notamment les opérations en Asie, comme les IPO. Les cabinets ont dû gérer un trop-plein d’activité en la matière, d’où la recherche de talents sur ces pratiques pour répondre à la demande des clients." Miser sur les bonnes personnalités en interne n’est cependant pas suffisant. Malgré la situation exceptionnelle, il était fondamental de rester soudé avec sa clientèle, comme l’explique David Gordon-Krief, associé gérant du cabinet UGGC Avocats : "En notre qualité d’avocats, il nous faut être capables d’accompagner nos clients dans les bons comme les mauvais moments, en croissance comme en crise. C’est ce qui nous a permis de renforcer nos relations avec eux l’an dernier."

Savoir désigner des leaders

Natasha Tardif, à la tête de Reed Smith à Paris, est revenue, dans le cadre du troisième thème portant sur les success stories du barreau d’affaires, sur l’importance de la relation entre le cabinet et ses clients d’une part mais aussi avec ses équipes. "Nous défendons des causes et essayons de le faire humainement. Pour que le cabinet fonctionne, l’excellence technique est bien sûr requise mais il faut aussi voir ses clients comme des partenaires et assurer un épanouissement de nos équipes. Le pro bono et le volontariat, y compris en période d’activité intense, restent des priorités et participent à la quête de sens dans notre métier." Pour Joël Grangé, associé fondateur du cabinet de niche spécialisé en droit social Flichy Grangé Avocats, le développement d’une structure ne doit pas seulement rester centré sur la profitabilité : "La croissance des équipes et la promotion d’associés en interne sont, selon moi, tout aussi importantes. Le succès d’un cabinet se mesure à sa réussite à consolider des équipes fortes", explique-t-il. Autre atout marquant d’un cabinet : sa capacité à savoir rebondir en cas de difficultés. Alexandre Marque est particulièrement bien placé pour témoigner de la success story de Franklin, crée en 2000 par cinq anciens associés de chez Salès Vincent Georges & Associés : "La capacité à rebondir malgré les difficultés est attractive pour les avocats entreprenants, c’est un vrai challenge."

Roland Dana, en sa qualité de consultant, ajoute pour sa part que l’on ne peut bien gérer un cabinet sans déterminer des objectifs de développement clairs : "Le cabinet est comme une entreprise : sa croissance et la première étape de sa vie. La deuxième étape consiste à définir son ADN afin de créer une marque forte. Enfin, vient ensuite l’étape de la gouvernance, soit de l’organisation du pouvoir au sein de la structure, laquelle est essentielle." Un dernier palier que Joël Grangé approuve : "Comme dans un avion, il faut un pilote aux commandes de la direction." Gare cependant aux abus de pouvoirs pouvant nuire à l’équilibre de la structure et à son bon fonctionnement. Mais il ne faut pas craindre de désigner quelqu’un pour tenir les rênes, comme l’explique Olivier Vermeulen, associé chez Paul Hastings : "Les cabinets success full d’aujourd’hui sont ceux qui ont misé sur un leader, avec une vision sur le long terme. Il ne peut selon moi y avoir d’abus de pouvoir si tout le monde avance dans la même direction." "Dans un cabinet, nous sommes tous leaders à notre manière", renchérit Natasha Tardif, qui confirme par sa propre expérience les bienfaits d’un management collégial.

Marine Calvo

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