Entre partenariats et fusions, le paysage des cabinets d’avocats se transforme aussi vite que l’économie du continent.
La zone Afrique est l’une des principales places de croissance dans le monde. Les ressources naturelles y sont bien sûr pour quelque chose. Mais le business ne se limite pas à ce secteur. Les télécoms, la construction et les biens de consommation sont en plein boom.

L’heure de l’Afrique a sonné
L’heure de l’Afrique est venue. Bien sûr, la face sombre du continent existe. La prudence est donc de mise : tributaire de ressources naturelles qui ne peuvent durer éternellement, la croissance africaine n’est pas assurée dans la durée. Sans parler de la corruption et de la mauvaise gestion par les gouvernements des ressources naturelles, le constat du défaut d’internationalisation s’impose également : l’Afrique contribue encore pour moins de 2?% aux échanges mondiaux.
Mais les taux de croissance tournent autour de 6?% et le PIB cumulé atteindra 2 600?milliards de dollars (environ 2 000?milliards d’euros) en 2020. Les investisseurs étrangers affluent, portés par l’assurance des plus grandes institutions économiques internationales de l’absence de risque d’investissement, notamment dans des pays comme la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Kenya, le Nigeria, l’Afrique du Sud, la Tanzanie et Zanzibar qui, ensemble, représentent 65?% de l’économie africaine. Pour preuve, la multiplication des investissements chinois permet la création de coentreprises binationales. C’est l’une des principales raisons du développement de l’Afrique cette dernière décennie, qui coïncide parfaitement avec l’ascension des Brics.

La montée en puissance des avocats locaux
Le développement du marché du droit est la suite logique de la croissance des économies locales. Les avocats africains bénéficient de plusieurs atouts. Tout d’abord, nombreux sont ceux formés dans les meilleures universités européennes ou américaines, rentrés dans leur pays d’origine pour y développer leur business. Tout les y incite d’ailleurs : les promesses d’embauche des meilleurs cabinets, des perspectives de développement infinies et des formations dispensées par les partenaires. Autre arme des plus redoutables : la maîtrise du contentieux. Si les cabinets étrangers sont de plus en plus nombreux à s’installer sur le continent, rares sont les avocats à s’inscrire aux barreaux locaux. Les avocats africains demeurent les mieux positionnés pour cerner aussi bien les coutumes et modes de fonctionnement de leurs tribunaux que les règles procédurales. Exception faite de l’arbitrage, les cabinets internationaux ont tous développé un réseau de cabinets pour le traitement de leurs contentieux. Ces partenariats leur permettent également d’intervenir sur des dossiers transnationaux, seuls les avocats africains ayant la faculté de traverser les frontières facilement.

L’invasion des global law firms
L’opportunité pour les avocats étrangers est évidente. L’Afrique représente un challenge unique dans le monde : tout est à construire. Nombreux sont les cabinets d’avocats d’affaires internationaux à s’y être installés ces dernières années, au Maghreb et en Afrique du Sud notamment. Héritage des cabinets français présents historiquement sur les places francophones (Gide Loyrette Nouel, Francis Lefebvre, August & Debouzy, Lefèvre Pelletier & Associés, JeantetAssociés ou encore UGGC), les firmes du magic circle comme Clifford Chance et Allen & Overy ont récemment décidé d’ouvrir des bureaux locaux, mais aussi Bird & Bird, Norton Rose, etc.
Les cabinets canadiens sont également très présents en Afrique en raison de leur savoir-faire historique en matière d’exploitation des ressources naturelles. Au Mali par exemple, les nord-américains apportent leur expertise pour la refonte du code minier du pays. Les cabinets chinois, quant à eux, ne se sont pas encore installés directement en Afrique. Il est fort à parier cependant que le continent sera l’objet de leur prochain développement, après une phase (en cours actuellement) d’installation à Londres. Pour le moment, leurs investissements continuent de passer par les marques internationales ou les plus grands cabinets africains qui détiennent des bureaux à la fois en Asie et en Afrique.

La fusion, l’arme des cabinets locaux
La plupart des cabinets africains conservent une taille restreinte, et si les partenariats sont nombreux entre les cabinets de différents pays, peu nombreux sont ceux qui ont plusieurs bureaux. Cependant, les cabinets sud-africains, dont le marché est le plus développé du continent, sont les plus actifs en termes de croissance. La fusion est devenue depuis quelques années l’opération la plus recherchée pour les cabinets qui veulent coûte que coûte demeurer concurrentiels face aux cabinets étrangers. En 2008, Cliffe Dekker et Hofmeyr Herbsetein & Gihwala fusionnent pour constituer un cabinet de plus de 130 avocats, et séduit DLA qui l’intègre à son réseau la même année. De son côté, Routledge Modise devient, après sa fusion avec le cabinet international Eversheds, la 34e plus grande firme au monde, pour finalement reprendre son indépendance en 2012 suite à des conflits d’intérêts. En 2008 toujours, le géant Webber Wentzel étend ses implantations grâce au rapprochement avec Mallinicks, puis signe une alliance exclusive avec Linklaters en 2013. De leur côté, Edward Nathan et Sonnenberg Hoffmann & Galombik se rapprochent pour atteindre 470 professionnels en 2009.
Les longues traditions de collaboration avec les cabinets internationaux placent les plus grands acteurs africains dans des situations de pourparlers constants. Mais seule une faible part de ces négociations aboutit, mettant en exergue les différences structurelles des cabinets. Tandis que les plus solides, comme ENS, revendiquent haut et fort leur indépendance.


lire l'entretien avec Benoit Le Bars, managing partner et coresponsable du desk Afrique, Lazareff Le Bars

lire l'entretien avec Boris Martor, associé dirigeant le groupe Afrique, Eversheds


L’Afrique du Nord : plate-forme incontournable du continent

La région possède des liens commerciaux très étroits avec d’autres marchés importants, en particulier la France, le Moyen-Orient et l’Espagne. Le Maroc est le pays le plus prospère du Maghreb, et le quatrième pays arabe après les Émirats arabes unis, le Koweït et l’Arabie saoudite (selon The Legatum Institute). Le pays est l’une des destinations principales pour les investissements directs étrangers en Afrique et il a été un des rares pays à connaître une croissance de ces investissements en 2012.
Le Royaume chérifien offre de grandes opportunités, en particulier dans les secteurs de l’énergie, des infrastructures, de l’exploitation minière et du tourisme.
La cartographie des cabinets d’avocats d’affaire locaux est rarement constituée par des structures de grande taille : on y compte souvent moins de dix avocats, à l’exception de Kettani Law Firm et Naciri & Associés Allen & Overy. En raison d’une proximité culturelle et historique qui lie le Maroc à la France, les cabinets français sont les plus nombreux dans la région. Parmi eux, des institutions du droit français comme JeantetAssociés, Gide Loyrette Nouel, UGGC & Associés et Lefèvre Pelletier & Associés. Grâce à sa stabilité politique, le Maroc reste la première destination des cabinets internationaux qui envisagent de s’installer en Afrique du Nord. En 2011, trois prestigieux cabinets d’avocats d’affaires anglo-saxons s’implantent à Casablanca : Clifford Chance et Norton Rose (présent également en Afrique du Sud et en Tanzanie) et Allen & Overy, en association avec le cabinet local Naciri & Associés.

L’Afrique centrale : l’attraction des ressources naturelles

La dynamique économique en Afrique centrale est centrée sur les ressources naturelles. De manière générale, le paysage des cabinets d’avocats d’affaires est développé dans les pays aux plus forts taux de croissance, le Nigeria en tête.
La zone reste cependant peu investie par les cabinets étrangers. Ces derniers préfèrent constituer des partenariats avec des avocats aux activités transfrontalières. En effet, les liens entre les pays d’Afrique centrale étant très distants, il est difficile de faire le projet d’une ouverture de bureau dans une ville, au risque de voir ses activités se limiter à son périmètre. C’est pourtant le pari réalisé par des cabinets en 2012. Herbert Smith Freehills a choisi la Guinée (lire l’interview de Bertrand Montembault ci-dessous), tandis que Norton Rose s’est installé à Dar es Salam en Tanzanie, ouvrant ainsi son cinquième bureau africain (avec Casablanca, Johannesburg, Cape Town et Durban).
L’intérêt pour ces pays est réel de la part des cabinets étrangers spécialisés en pétrole et gaz, d’avantage que de la part des spécialistes du M&A et des marchés de capitaux. Les cabinets recherchent les mandats de développement minier en particulier, en lien avec l’Australie, le Canada et la Chine.

lire l'entretien avec Bertrand Montembault, associé responsable du bureau de Conakry, Herbert Smith Freehills

L’Afrique australe : un marché mature mais fermé

L’Afrique du Sud reste la destination préférée des capitaux étrangers. En 2011, elle a attiré près de la moitié de l’investissement direct étranger en Afrique subsaharienne, estimé à 12,5?milliards de dollars par an. Le marché des avocats d’affaires sud-africain est le seul du continent à avoir atteint une certaine forme de maturité. Les structures y sont nombreuses et variées. Le pays accueille aussi bien les plus gros cabinets locaux que la plupart des cabinets internationaux. Johannesburg est la ville, avec Casablanca, qui attire le plus les installations d’avocats.
Le marché reste cependant encore très replié sur lui-même, en raison avant tout de son histoire. Si certains cabinets ouvrent des antennes dans les pays limitrophes, comme au Swaziland ou au Mozambique, et traitent de dossiers transfrontaliers, l’ouverture sur le reste du continent et donc sur l’international est très limité. D’où l’intérêt pour les cabinets étrangers de viser d’autres villes-plates-formes (lire l’Afrique centrale). L’exception reste ENS, qui a récemment ouvert des cabinets au Rwanda, au Burundi et en Ouganda, et dont l’objectif affiché est de devenir une firme panafricaine.
Les cabinets étrangers se sont peu installés à Johannesburg. L’américain White & Case y est présent depuis 1995 avec une petite équipe tournée vers les ressources naturelles, le financement de projet et les opérations corporate. Les britanniques Norton Rose et Eversheds (lire entretien avec Boris Martor page 65) ont constitué des équipes beaucoup plus importantes. Norton Rose a réussi en 2010 sa fusion avec Ogilvy Renault pour créer un cabinet de deux cents avocats. Le canadien Fasken Martineau, présent dans la capitale économique depuis 2003, a quant à lui séduit un des géants locaux, Bell Dewar, et intégré ses avocats locaux dans l’équipe de soixante-dix spécialistes en énergies/infrastructures de son partenaire.

lire l'entretien avec Piet Faber, chief executive, ENS






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