Par Alexis Chabert, avocat of counsel. Delsol Avocats
Les procès en concurrence déloyale se multiplient, fruits d’une guerre économique exacerbée par la crise. Pour obtenir un dédommagement, les victimes d’actes déloyaux doivent fournir d’une part la preuve des agissements de leurs concurrents, et d’autre part celle, difficile, du préjudice économique qui en résulte. Mais même sans dédommagement, l’action judiciaire a le mérite de dissuader les fautifs de renouveler leurs comportements déviants…

Nul besoin de souligner le foisonnement actuel des actions judiciaires en concurrence déloyale qui sont fondées sur le principe de responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle posé par l’article 1382 du Code civil. Les nouveaux moyens de communication ont accru la concurrence entre acteurs économiques et généré des tensions qui aboutissent, particulièrement en temps de crise, à des contentieux complexes. Ces actions impliquent qu’il soit démontré que le libre jeu de la concurrence (principe fondateur du droit européen) a été affecté par un comportement abusif et déloyal, qu’il convient de sanctionner. Les exemples de ces comportements sont multiples, allant du débauchage abusif et massif de l’équipe commerciale d’un concurrent à l’utilisation illicite du nom d’un concurrent comme outil de référencement sur Internet. Le succès d’un procès en la matière réside ainsi dans l’offre probatoire du demandeur, tant à l’égard du comportement déloyal dénoncé que du préjudice qui en résulte ; or ces preuves peuvent être difficiles à apporter.

Les armes extra-judiciaires pour démontrer les faits de concurrence déloyale

La mise en œuvre d’une telle action judiciaire nécessite la plupart du temps qu’un enquêteur privé soit saisi pour obtenir un maximum d’informations sur le comportement fautif d’un concurrent ou d’un salarié. À ce titre, il est bien souvent plus habile stratégiquement de laisser se développer un comportement déloyal pour pouvoir mieux le faire sanctionner. L’intervention confidentielle de l’enquêteur privé participe de cette stratégie et ses rapports d’enquête sont des armes indéniables en justice. La Cour de cassation considère à cet égard que les constations de ces enquêteurs sont admissibles selon les mêmes modalités et sous les mêmes réserves que tout autre mode de preuve. La Cour de cassation souligne en outre que la valeur accordée à ces éléments de preuve relève de l’appréciation souveraine des juges du fond qui donnent, en pratique, à ces rapports une force supérieure - ou à tout le moins comparable - à une attestation ou encore à un témoignage. Il n’en demeure pas moins que la prudence est de mise, dès l’instant où ces enquêteurs, membres d’une profession réglementée, doivent respecter une déontologie et des principes d’ordre public, tel le respect de la vie privée. Le second moyen qui peut être efficace en matière de démonstration de faits de concurrence déloyale fautifs est le procès-verbal de constat élaboré par un huissier de justice. Il faut cependant savoir que ce dernier ne peut intervenir sans y être autorisé, uniquement dans les lieux publics, faute de quoi son procès-verbal serait déclaré irrecevable. La question a pu se poser s’agissant des constats réalisés sur les foires et salons, pour lesquels la Cour de cassation a statué qu’il s’agissait de lieux publics, pour peu que les constats soient faits à partir des allées et non pas sur les stands des exposants. A ces procédés extra-judiciaires, peuvent s’ajouter des procédures judiciaires plus classiques, telles les saisies ou les expertises ordonnées au visa de l’article 145 du Code de procédure civile.

Les ordonnances sur requête
Au visa des articles 145 et 493 du Code de procédure civile, les juges autorisent toute victime prétendue d’actes de concurrence déloyale à procéder à des constats au sein même d’une entreprise concurrente agissant de manière déloyale et même de procéder à des saisies de documents de nature administrative et commerciale ou de correspondances et d’e-mails. L’atout majeur de ces procédures est leur caractère non contradictoire. Elles impliquent cependant que des commencements de preuve puissent être fournis au président de la juridiction saisie et nécessitent donc que des premiers constats d’huissiers ou des rapports d’enquêtes aient d’ores et déjà été réalisés. L’impact de ces procédures est indéniable, dès l’instant où ces ordonnances permettent à un acteur économique de se présenter, sans aucun avertissement, avec un huissier aidé parfois d’experts informaticiens et même de la force publique, chez son concurrent pour saisir un certain nombre de documents. La limite à la mise en œuvre de ces mesures de saisie extrêmement intrusives réside dans le respect du secret des affaires, que le magistrat doit garantir. Il ne peut être permis ainsi à un acteur économique, prétendument victime d’actes de concurrence déloyale, d’utiliser l’ordonnance sur requête pour obtenir de manière abusive des informations qui relèvent du secret des affaires, ce qui conduit souvent le magistrat à ordonner que les pièces saisies soient séquestrées chez l’huissier, à charge pour le demandeur de solliciter leur expertise de manière contradictoire. À ce stade, et même ensuite d’une saisie de documents probants intéressants, il demeure à la charge du demandeur victime des actes de concurrence déloyale de prouver qu’il a subi un préjudice en lien direct avec ces faits fautifs.

La démonstration d’un préjudice lié aux faits de concurrence déloyale

La nécessité probatoire qui incombe ici au demandeur se heurte à une sérieuse difficulté pratique et économique dans la mesure où, même en présence d’actes de concurrence déloyale incontestables, il est parfois extrêmement délicat de prouver qu’ils ont causé directement un préjudice au demandeur. À titre d’exemple, on peut citer le cas des appels d’offres. Comment réussir à démontrer qu’un appel d’offres a été remporté par un concurrent grâce aux informations confidentielles qu’un ancien salarié a pu lui fournir ? Comment démontrer que la diminution du chiffre d’affaires ou les pertes constatées comptablement ensuite d’actes de concurrence déloyale en sont la conséquence directe ? Une décision du tribunal de commerce de Paris du 30 mars 2011 est venue assouplir cette exigence probatoire formelle, puisqu’il a été jugé que « s’inféraient nécessairement des actes déloyaux, l’existence d’un préjudice, serait-il simplement moral… ». Cette appréciation du tribunal de commerce pourrait permettre d’imaginer l’obtention de dommages et intérêts indépendamment de toute démonstration irréfutable d’un préjudice économique.

L’efficacité des procès en concurrence déloyale est donc relative compte tenu des difficultés probatoires que rencontre nécessairement le demandeur. Il n’en demeure pas moins que ces différentes procédures judiciaires peuvent aussi permettre de limiter les comportements déviants et deviennent ainsi des actions dissuasives plutôt qu’indemnitaires.

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