Par Bruno Serizay, avocat associé. Capstan
Les entreprises peuvent instituer des régimes de prévoyance-santé-retraite adaptés à chaque catégorie professionnelle. Cette reconnaissance de la Cour de cassation, qui sécurise les entreprises et facilite le développement de la protection sociale, devrait conduire à une révision du décret du 9 janvier 2012.

Trois arrêts de la Cour de cassation du 13 mars 2013 consacrent les régimes catégoriels de protection sociale. Il faut en analyser la portée.

La reconnaissance des régimes catégoriels de protection sociale
a) Pour le Conseil constitutionnel, « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ».

L’arrêt de 1996()1 juge que les salariés placés dans une situation identique doivent bénéficier d’une rémunération égale, sauf raisons objectives et pertinentes ; c’est le principe « travail égal-salaire égal». Les avantages sociaux restaient accordés en considération de l’appartenance à une catégorie professionnelle.

b) La jurisprudence postérieure à 1996 a consacré une égalité universelle mesurée au regard de la situation de chaque salarié face à l’avantage considéré. Cadres et non cadres étant placés dans la même situation face à l’exigence de se nourrir ou de se reposer, ils devaient, indépendamment de leur statut, bénéficier des mêmes tickets restaurants ou des mêmes congés ; « la seule différence de catégorie professionnelle ne justifie pas, en elle-même, la différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard de l’avantage considéré »(2).
L’amélioration du statut n’était plus la résultante d’une conquête des avantages sociaux mais l’expression d’un droit à convoiter les avantages de son voisin.
L’égalité cessait d’être l’expression objective de l’appartenance à une catégorie pour devenir l’expression subjective de la situation du salarié par rapport à l’avantage.

c) Le 28 mars 2012, la Cour de cassation a admis que l’avantage catégoriel pouvait avoir pour objet ou pour but de prendre en compte les spécificités de chaque catégorie professionnelle.
Les trois arrêts du 13 mars 2013 (3)  jugent dans le même sens que : en raison des particularités des régimes de prévoyance (…) qui reposent sur une évaluation des risques garantis en fonction des spécificités de chaque catégorie professionnelle, prennent en compte un objectif de solidarité et requièrent dans leur mise en œuvre la garantie d’un organisme extérieur à l’entreprise, l’égalité de traitement ne s’applique qu’entre les salariés d’une même catégorie professionnelle ».

La protection sociale est bien un élément du statut catégoriel, même si la démonstration de la Cour est moins convaincante tant il est difficile de voir dans la solidarité – qui pourrait s’exprimer aussi bien de façon intercatégorielle – dans l’évaluation du prix des garanties – qui pour la plupart est indépendante de la catégorie professionnelle – et dans l’intervention d’un assureur, une quelconque justification du caractère catégoriel desdits avantages.

La définition objective de la catégorie professionnelle
Ni la loi ni la jurisprudence ne définissent la notion de catégorie professionnelle. Pour le Larousse, la catégorie est « un ensemble de personnes ou de choses de même nature » ; la catégorie professionnelle est donc un ensemble de personnes placées dans une situation professionnelle de même nature, c’est-à-dire occupant des emplois de même nature, requérant un niveau partagé de technicité, de responsabilité, d’autonomie, de formation, d’expérience, soumis à des contraintes professionnelles équivalentes et générant un niveau homogène de rémunération.
Il ne fait pas de doute qu’en application de ces critères, les cadres, les non-cadres, les agents de maîtrise constituent, chacun, des catégories professionnelles susceptibles de bénéficier de garanties sociales catégorielles. De même, les cadres dirigeants qui sont l’objet d’une réglementation spécifique en sont une autre.

Les catégories identifiées par les entreprises, au vu des conditions d’emploi – qui peuvent justifier une mesure particulière de la durée du travail (4) – ou des responsabilités professionnelles particulières – par exemple du fait de délégations de pouvoirs ou de la participation à un organe de gouvernance – voire de la localisation de l’activité, ont logiquement un caractère professionnel.

La remise en cause du décret du 9 janvier 2012
a) Depuis 2010, l’article L 242-1 du Code de la Sécurité sociale (5) précise que sont éligibles aux exonérations sociales les régimes de protection sociale qui
« revêtent un caractère obligatoire et bénéficient à titre collectif à l’ensemble des salariés ou à une partie d’entre eux sous réserve qu’ils appartiennent à une catégorie établie à partir des critères objectifs déterminés par décret en Conseil d’État ».

b) Le décret n°2012-25 du 9 janvier 2012 n’est pas conforme à la délégation donnée par la loi au Gouvernement.

- Le décret réserve les exonérations par principe aux régimes intercatégoriels et simplement par exception aux régimes catégoriels, alors que la loi n’établissait pas une telle distinction, d’où une rupture d’égalité.
- Le décret pose le principe que le régime catégoriel n’est justifié que s’il couvre «tous les salariés que leur activité professionnelle place dans une situation identique au regard des garanties concernées ».

D’une part un tel principe n’est ni de près, ni de loin, un critère ; c’est une condition ; d’autre part la vision égalitariste justifiant cette condition, reprise de la jurisprudence de 2008, est désormais radicalement écartée par la Cour de cassation.

- L’article R 242-1-1 identifie une liste de catégories professionnelles, par renvoi aux catégories définies par la CCN du 14 mars 1947 et aux conventions collectives, et non des critères.

- Le décret instaure une série de conditions totalement étrangères à la définition de critères.

Dès lors qu’il ne se limite pas à définir des critères, le décret est illégal au regard de l’article L 242-1 et mérite d’être annulé.
Il l’est également au regard de l’article L O 111-3 IV du Code de la Sécurité sociale qui attribue au seul pouvoir législatif le soin de fixer les règles applicables aux exonérations sociales.

1- Cass. soc., 29 octobre 1996, n° 92-43.680, Société Delzongle c/ Mme Ponsolle
2-  Cass, soc, 20 février 2008, n° 05-45601 ; Cass. Soc 1er juillet 2009, n°07-42.675
3-  Cass. Soc. 13 mars 2013 n°11-20490, 10-28022, 11-23761.
4-  Cadres au forfait.
5-  Loi n°2010-1594 du 20 décembre 2010 de financement de la Sécurité sociale pour 2011.




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