Par Thierry Gontard, associé gérant, et Jean-Louis Lantenois, senior counsel. Simmons & Simmons
Maintenir un équilibre entre les droits des actionnaires, des sociétés et du management reste une nécessité, y compris dans le cadre de la prévention des prises de contrôle rampantes. Les acteurs défendent leurs intérêts propres : le management veut s’affranchir de ses mandants et les actionnaires souhaitent rester libres dans leurs choix d’investissement et pouvoir contrôler la direction.

Dans les années 1980, les gouvernements qui pilotaient les privatisations se sont intéressés aux problématiques de transparence et de sécurité en raison de l’ouverture du capital des sociétés cotées françaises aux investisseurs anglo-saxons. Ils ont cherché à mettre en place une relation équilibrée entre l’actionnariat et le management ce qui a permis le développement du marché financier français et de la place de Paris.

Nécessité de transparence
Historique des seuils
Dans un premier temps, des règles de transparence ont été instaurées, mettant ainsi un terme au sacro-saint secret des affaires. À partir de 1985, déclarer un franchissement de seuil fut obligatoire et permit une première détection des mouvements de capitaux. La multiplication des seuils s’est faite au fil du temps : prise en compte dans le calcul des droits de vote, introduction des déclarations d’intention, extension des instruments détenus pris en comptes.
La dernière modification est entrée en vigueur le 1er octobre 2012, à la suite de la montée au capital de LVMH chez Hermès en utilisant des contrats à terme prévoyant le dénouement en espèces d’une différence de cours, dorénavant, ces instruments seront également soumis à déclaration quand ils ont un effet économique similaire à la possession des actions.

Les déclarations d’intention et leurs enjeux subtils : les limites
Aujourd’hui, en pratique, les déclarations d’intention dues à l’occasion du franchissement des seuils de 10, 15, 20 et 25 % du capital ou des droits de vote doivent être rédigées d’une façon plus précise qu’auparavant. Ces déclarations conservent leur caractère liant pour une durée de 6 mois avec la possibilité de changer d’intention à condition d’informer immédiatement le marché. Le gain en précision peut avoir des effets secondaires redoutables pour le déclarant car ultérieurement, toute modification des intentions publiée sera interprétée comme un signal fort envoyé au marché, ce qui entraînera des réactions immédiates à tous les niveaux.
Il convient donc de trouver un point d’équilibre entre les exigences de transparence et les intérêts légitimes des déclarants pour ce qui appartient encore au secret des affaires.

Nécessité de sécurité
Assurer la pérennité des sociétés françaises cotées et la stabilité de leur management est une préoccupation des pouvoirs publics. À cet effet, plusieurs textes visent à lutter contre les prises de contrôle rampant et à renforcer les moyens de défense des sociétés cotées et de leur management contre les offres hostiles.

Le contrôle rampant

Si d’un point de vue juridique le niveau de contrôle d’une société se définit par la détention de 50 % du capital plus une action, il est bien connu de longue date que le contrôle de fait d’une société se situe à un niveau de détention bien plus faible : présomption de contrôle à 40 %, voire beaucoup moins. Pour les sociétés cotées dont l’actionnariat est généralement plus éparpillé, la prise de contrôle qui déclenche une offre publique obligatoire a vu son seuil progressivement abaissé de 50 % à
33 % puis récemment à 30 %.
Cette évolution a été réalisée au fil du temps en réaction à des prises de contrôle ou des tentatives de prises de contrôle qui ont été réalisées à des niveaux légèrement inférieurs au seuil de déclenchement d’une offre, alors en vigueur.
Un nouveau durcissement de la réglementation est envisagé avec un projet d’introduction d’un seuil de réussite obligatoire appliqué aux offres publiques d’achat, afin d’éviter qu’une offre «?demi-réussie?» n’aboutisse de fait à conférer le contrôle de la société visée alors que son initiateur ne détiendrait à l’issue de l’offre qu’une portion du capital et des droits de vote comprise entre 30 et 50 %.
Ceci revient à inverser le régime antérieur qui prévoyait la possibilité pour l’initiateur de renoncer à son offre en cas de succès insuffisant et constitue un progrès dans la cohérence entre les intentions affichées par un initiateur et les modalités de son offre. Toutefois, ce nouveau régime d’offre conditionnelle risque incidemment d’interdire tout achat de titres de la cible par l’initiateur pendant la période d’offre, ce qui romprait l’équilibre avec les moyens de défense dont dispose la société.

Les moyens de défense à la main du management
Les sociétés visées par une offre publique d’achat se sont vues au fil du temps bénéficier de divers moyens de défense, sortant ainsi de leur état de paralysie initiale. Ces mesures doivent faire l’objet d’une autorisation de l’assemblée générale soit préalablement soit en cours d’offre, ce qui permet dans ce dernier cas aux actionnaires de se déterminer connaissance prise des caractéristiques réelles de l’offre déposée.
Les dirigeants de la société visée doivent veiller à ne présenter au vote des actionnaires que des mesures visant à la défense des intérêts sociaux et se garder de présenter des mesures qui pourraient apparaître comme destinées à la défense de leurs intérêts personnels.
Parmi ces moyens très divers, nous citerons les pratiques suivantes :
- les modifications statutaires relatives aux droits de vote : institution d’un droit de vote double, voire plafonnement des droits de vote dont disposent les actionnaires en assemblée. Ces modifications réduisent les pouvoirs en assemblée des initiateurs d’une offre avec un effet immédiat si besoin est.
- les programmes de rachat d’actions en cours peuvent être poursuivis en période d’offre si cela a été autorisé par une assemblée générale
- une offre publique de rachat d’actions (« OPRA ») peut être annoncée par la société cible, encore faut-il que cela corresponde à l’intérêt social
- la distribution d’un dividende exceptionnel peut également être proposée en période d’offre et soumise à une assemblée générale (si les conditions sont réunies).
- l’émission comme l’exercice de valeurs mobilières donnant accès au capital sont destinés à renchérir le coût d’acquisition d’une société visée par une offre afin de dissuader l’initiateur d’une offre considérée comme hostile ou non sollicitée. Les délégations antérieures consenties à la direction pour réaliser ces émissions sont généralement suspendues en période d’offre. Une assemblée générale tenue connaissance prise d’une offre peut autoriser la mise en œuvre d’émissions destinées à faire échec à l’offre.

On citera en particulier les bons d’offre (bons Breton) introduits en France afin de faciliter la défense des sociétés cotées contre les offres hostiles. À cet effet, on notera que le quorum et la majorité requis sont ceux des assemblées générales ordinaires, bien que le vote intervienne dans le cadre d’une assemblée générale extraordinaire. Malgré cela, aucune émission de ces bons n’a été réalisée à ce jour. L’instrument présente-t-il un intérêt réel pour les sociétés en dehors d’un éventuel effet dissuasif ?

En conclusion, les progrès réalisés en matière de transparence et en matière de sécurité au profit des sociétés et de leurs dirigeants ne doivent pas réduire inconsidérément les prérogatives des actionnaires car cela aboutirait à scléroser la place de Paris.

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