Par Brigitte Daille-Duclos, avocat associé. Field Fisher Waterhouse
L’obligation de loyauté du dirigeant est une création jurisprudentielle. La Cour de cassation l’a consacrée en 1996 dans l’arrêt « Vilgrain », vis-à-vis des associés, à propos de la cession de titres de la société. Cette obligation a été élargie au fil des années à d’autres domaines et à divers types de sociétés.

L’obligation de loyauté du dirigeant s’inscrit dans le courant des « principles of corporate governance » américains, et plus généralement dans celui de la moralisation du droit des affaires. Elle s’applique notamment en cas de cession de titres mais aussi dans le domaine de la concurrence et même quand une opération menée par le dirigeant pour son compte personnel a des incidences vis-à-vis des associés et de la société.

L’obligation de loyauté du dirigeant, « en sa qualité », en cas de cession des titres
Initiée par l’arrêt Vilgrain, la jurisprudence de la Chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé, au visa de l’article 1116 du Code civil, que le dirigeant viole son obligation de loyauté «en sa qualité de dirigeant» s’il a dissimulé aux associés qui lui ont cédé des titres de la société, l’existence de négociations en cours avec des tiers pour le rachat de ces mêmes titres à un prix supérieur, et plus généralement s’il a occulté une information de nature à influencer leur décision.
La Cour de cassation a jugé le 6 mai 2008 que le dirigeant a une obligation d’information même lorsque le demandeur peut disposer de l’information qu’il allègue avoir été dissimulée. Dans cette affaire, la cour d’appel avait jugé que la réticence dolosive n’était pas constituée, parce que les héritiers de l’associé, cédants, «avaient à leur disposition l’intégralité des documents comptables et qu’il leur appartenait de se faire assister de conseils […] susceptibles de les informer sur le prix qu’ils pouvaient demander». La Cour de cassation a cassé cet arrêt au motif que les juges du fond auraient dû rechercher si le dirigeant de la société «n’avait pas manqué à son obligation de loyauté à laquelle il était tenu, en sa qualité, à l’égard des associés cédants en s’abstenant d’attirer leur attention sur l’existence dans le patrimoine de cette société de bénéfices distribuables d’un montant supérieur à celui du prix stipulé».
Pourtant, l’associé à une obligation de se renseigner. Il faut peut-être en conclure que l’appréciation de la Cour de cassation se fait in concreto et donc en l’espèce en considération du fait que les héritiers de l’associé, cédants, n’étaient pas avertis et que l’information à leur égard devait être renforcée.
La 1ère Chambre civile de la Cour de cassation a adopté cette jurisprudence de la Chambre commerciale dans un arrêt du 25 mars 2010. Elle a confirmé que le gérant viole son obligation de loyauté et doit être condamné à des dommages-intérêts, dès lors qu’il n’a pas informé de façon précise l’associé qui lui a cédé ses parts sociales des négociations qu’il avait entreprises parallèlement sur la revente de ces titres à un tiers à un prix très supérieur.

L’obligation de loyauté du dirigeant, «en sa qualité», en matière de concurrence
L’obligation de loyauté du gérant de SARL a été affirmée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation en 1998 au visa contestable de l’article 1382 du Code civil, C’est sur le fondement plus adapté de l’article L.223-22 du Code de commerce, relatif à la responsabilité du gérant de la SARL, qu’elle a jugé le 15 novembre 2011, que « l’obligation de loyauté et de fidélité pesant sur lui, en sa qualité de gérant de la société lui interdi(…)t de négocier en qualité de gérant d’une autre société un marché dans le même domaine d’activité ».
Cet arrêt ajoute une obligation de « fidélité » plus floue que celle de loyauté. Il interdit au gérant d’une SARL, en sa qualité de dirigeant, de concurrencer cette SARL. Cela est conforme à son obligation d’agir dans l’intérêt de la société.
En revanche, ce même arrêt a jugé que, « sauf stipulation contraire, l’associé d’une société à responsabilité limitée n’est, en cette qualité, tenu ni de s’abstenir d’exercer une activité concurrente de celle de la société ni d’informer celle-ci d’une telle activité et doit seulement s’abstenir d’exercer d’actes de concurrence déloyaux ».
Ainsi, l’associé qui exerce des actes de concurrence non déloyaux vis-à-vis de la société n’est pas déloyal même s’il n’en informe pas la société, « sauf stipulation contraire ». Cela implique que les statuts pourraient prévoir une obligation des associés de non concurrence ou d’information préalable.
Plusieurs questions se posent : L’associé qui concurrence sa société sans même l’en informer n’agit-il pas contrairement à l’affectio societatis et à l’intérêt social ? Cette jurisprudence est-elle applicable dans tous les types de sociétés ? Elle l’est certainement dans les sociétés commerciales. La réponse est moins évidente pour les sociétés de personnes.

L’obligation de loyauté du dirigeant s’applique au dirigeant d’une SAS et à des opérations menées pour son compte

Très récemment, le 28 décembre 2012, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a appliqué l’obligation de loyauté au dirigeant d’une SAS. En l’espèce, un membre du comité de direction, le Dr. B d’une SAS de médecins constituée pour l’exploitation d’une clinique, avait cédé ses actions à ses associés en avril 2003. Deux ans plus tard, ces derniers ont cédé leurs actions à un tiers. Ils ont alors assigné le Dr. B. en paiement de dommages-intérêts, au motif qu’il avait acheté en janvier 2003, par sociétés interposées, l’immeuble dans lequel était exploitée la clinique, alors qu’il savait que les autres associés avaient l’intention de l’acquérir pour exercer leur activité.
La cour d’appel avait considéré que l’acquisition de l’immeuble par le Dr. B « sans la moindre transparence à l’égard des autres associés », et à son seul profit, ne suffisait pas à caractériser une faute de ce dirigeant envers ses associés. Elle avait également jugé que le Dr. B. n’avait pas violé ses obligations d’associé et de dirigeant, l’acquisition n’ayant pas été faite en sa qualité d’associé ou de dirigeant l’opération ayant été effectuée par le biais d’un crédit-bail.
La Cour de cassation a cassé cet arrêt, considérant que, même si le Dr. B avait acquis l’immeuble pour son compte personnel, il avait manqué à son devoir de loyauté envers ses associés, en les laissant dans l’ignorance de l’opération d’acquisition, alors que ces associés entendaient l’acheter pour y exercer leur activité.
C’est dire que la Cour de cassation a encore élargi l’obligation de loyauté du dirigeant qui s’applique dans le cadre d’une SAS et à une opération effectuée à titre personnel mais qui a des incidences vis-à-vis des associés du dirigeant.

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