« Il manque à l’Europe une véritable politique de concurrence à dimension économique et industrielle »
Entretien avec Marie-Hélène Huertas, directeur concurrence et éthique, Vivendi
Décideurs. Le droit de la concurrence est perçu comme une entrave pour les entreprises. Vivendi a-t-il par le passé ressenti de telles entraves ?
Marie-Hélène Huertas. Au sein de l’Union européenne, la règle est la libre concurrence, cette règle est respectée et c’est bien ainsi. La difficulté vient de son application rigide. Les États-Unis par exemple ont une démarche plus pragmatique avec un vrai souci de politique industrielle. Par exemple, fin 2011, Vivendi a acquis la partie Recording d’EMI. Un contrôle de la concentration était imposé par les textes. Nos parts de marché étaient élevées, mais toutes les majors de l’industrie musicale étaient en lice pour acheter ce joyau britannique. Or, la zone où nous avons eu le plus de difficultés a été l’Union européenne. Pourtant, cette opération permettait la création d’un champion européen d’une industrie musicale en pleine crise. Cet argument, la Commission européenne n’a jamais souhaité le prendre en compte.
Décideurs. Considérez-vous que le droit de la concurrence européen soit inadapté ?
M.-H. H. Le problème ne vient pas des règles de fond qui doivent être respectées. Il vient d’une application qui ne prend pas assez en compte la réalité économique. D’autres autorités de concurrence dans le monde sont plus ouvertes dans leur appréciation des impératifs stratégiques des groupes industriels. Prenons un exemple franco-français : la fusion TPS/Canal+ : plus de cinq ans après la fusion, l’Autorité de la concurrence nous a imposé de procéder à une nouvelle notification de fusion sous la menace d’avoir à revenir à la situation ex ante. Comment présenter une nouvelle notification dans un marché de la télévision payante qui, cinq ans plus tard, n’est plus le même, notamment du fait de la croissance exponentielle des géants du Net tels qu’Apple, Google etc. ? Il est évident qu’en 2012, le monopole sur la télévision par satellite n’a plus le même impact. Il faut moduler les procédures du droit de la concurrence pour faire plus de place au contexte économique et social. En freinant les grands groupes dans leur croissance, c’est tout le tissu économique, et aussi l’emploi, qui souffrent.
Décideurs. Pour vous il s’agirait donc d’un problème de politique économique ?
M.-H. H. Parfaitement : il manque à l’Europe une véritable politique de concurrence à dimension économique et industrielle. C’est d’ailleurs un des points soulevés par le rapport Gallois. Si l’Europe reste à la traîne des autres pays, nous prenons le risque de voir nos industries faiblir, surtout dans la conjoncture actuelle. Soutenir ses entreprises ne signifie pas sombrer dans le protectionnisme. Mais il faut admettre une certaine souplesse compte tenu de la crise. Dans la fusion avec EMI, nous aurions eu moins de difficultés si nous avions été un fonds d’investissement, uniquement préoccupé par les profits, alors que Vivendi menait un véritable projet de consolidation d’un secteur fragile tout en permettant qu’un joyau industriel reste en Europe.
Marie-Hélène Huertas. Au sein de l’Union européenne, la règle est la libre concurrence, cette règle est respectée et c’est bien ainsi. La difficulté vient de son application rigide. Les États-Unis par exemple ont une démarche plus pragmatique avec un vrai souci de politique industrielle. Par exemple, fin 2011, Vivendi a acquis la partie Recording d’EMI. Un contrôle de la concentration était imposé par les textes. Nos parts de marché étaient élevées, mais toutes les majors de l’industrie musicale étaient en lice pour acheter ce joyau britannique. Or, la zone où nous avons eu le plus de difficultés a été l’Union européenne. Pourtant, cette opération permettait la création d’un champion européen d’une industrie musicale en pleine crise. Cet argument, la Commission européenne n’a jamais souhaité le prendre en compte.
Décideurs. Considérez-vous que le droit de la concurrence européen soit inadapté ?
M.-H. H. Le problème ne vient pas des règles de fond qui doivent être respectées. Il vient d’une application qui ne prend pas assez en compte la réalité économique. D’autres autorités de concurrence dans le monde sont plus ouvertes dans leur appréciation des impératifs stratégiques des groupes industriels. Prenons un exemple franco-français : la fusion TPS/Canal+ : plus de cinq ans après la fusion, l’Autorité de la concurrence nous a imposé de procéder à une nouvelle notification de fusion sous la menace d’avoir à revenir à la situation ex ante. Comment présenter une nouvelle notification dans un marché de la télévision payante qui, cinq ans plus tard, n’est plus le même, notamment du fait de la croissance exponentielle des géants du Net tels qu’Apple, Google etc. ? Il est évident qu’en 2012, le monopole sur la télévision par satellite n’a plus le même impact. Il faut moduler les procédures du droit de la concurrence pour faire plus de place au contexte économique et social. En freinant les grands groupes dans leur croissance, c’est tout le tissu économique, et aussi l’emploi, qui souffrent.
Décideurs. Pour vous il s’agirait donc d’un problème de politique économique ?
M.-H. H. Parfaitement : il manque à l’Europe une véritable politique de concurrence à dimension économique et industrielle. C’est d’ailleurs un des points soulevés par le rapport Gallois. Si l’Europe reste à la traîne des autres pays, nous prenons le risque de voir nos industries faiblir, surtout dans la conjoncture actuelle. Soutenir ses entreprises ne signifie pas sombrer dans le protectionnisme. Mais il faut admettre une certaine souplesse compte tenu de la crise. Dans la fusion avec EMI, nous aurions eu moins de difficultés si nous avions été un fonds d’investissement, uniquement préoccupé par les profits, alors que Vivendi menait un véritable projet de consolidation d’un secteur fragile tout en permettant qu’un joyau industriel reste en Europe.