Par Danielle Elkrief, avocat à la Cour, et Clément Walckenaer, avocat collaborateur. Elkrief Avocat
Si le contexte économique actuel favorise la qualification de « rupture brutale » au visa de l’article L442-6 I 5 du Code de commerce, et implique ce faisant une vigilance accrue des acteurs économiques, il reste que la jurisprudence rendue en 2014 rappelle fort heureusement également le droit fondamental de rompre un contrat sans prise en charge des conséquences de la rupture par son auteur.

Il est constant que les dispositions de l’article L442-6.I.5e du Code de commerce sont d’ordre public et doivent encourager une certaine prudence de l’agent économique qui entend mettre fin à une relation commerciale. Néanmoins dans un contexte économique propice aux ruptures de partenariats, avec difficultés de reconversion pour le partenaire qui s’estime évincé, encore faut-il rappeler la liberté dont dispose toute société de rompre un contrat, y compris sans préavis, particulièrement en cas de comportement inacceptable de son cocontractant.

L’exclusion de préavis en cas de fautes graves
Le principe étant de ne pas rompre « une relation commerciale établie, sans préavis écrit (…) et respectant la durée minimale de préavis déterminée » au regard de la durée des relations commerciales, l’immédiateté de la rupture demeure strictement circonstanciée à des cas d’une particulière gravité.
Ainsi, si l’article L442-6 I 5° susvisé autorise l’absence de préavis « en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure » et ce faisant le non-paiement d’indemnités compensatrices (CA Grenoble 24.04.2014 RG 11/04956), la Cour de cassation exige de l’auteur de la rupture qu’il démontre que les manquements de son cocontractant soient « d’une gravité telle qu’ils justifiaient la résiliation unilatérale et immédiate du contrat » (Cass Com 24.06.2014 n°12-27908 - CA Paris 11.09.2014 JurisData 2014-02366).
L’accumulation d’avertissements, de plaintes, de mises en demeure antérieurement à la rupture participe de cette démonstration (CA Paris 10.09.2014 RG 12/22749), le partenaire défaillant ne pouvant se retrancher systématiquement derrière les dispositions de l’article L442-6 I 5° tout en portant atteinte à la substance des contrats conclus. (1)

A défaut, le respect d’un préavis de nature à écarter le principe d’une condamnation
Si néanmoins les manquements incriminés n’autorisaient pas l’absence de préavis, encore convient-il de rappeler que la notification et le respect d’un délai de prévenance raisonnable excluent, pour le partenaire qui s’estime évincé, de se prévaloir d’un préjudice résultant de la rupture (CA Paris 1.10.2014 JurisData 2014-023552 / CA Paris 11.09.2014 RG 12/18874) ou du non renouvellement de son contrat.
Il convient de rappeler par ailleurs que, au visa de cet article L442-6.I.5°, le seul préjudice résultant d’une rupture brutale consiste dans la perte de marge brute escomptée pendant la durée du préavis raisonnable qui n’aurait pas été – le cas échéant – respecté ni notifié par écrit. Sauf à poursuivre et démontrer une rupture « abusive » au-delà de son caractère brutal, d’aucune manière ces dispositions n’autorisent par conséquent l’indemnisation, souvent sollicitée cependant, de licenciements de salariés, d’intérêts d’emprunts, de loyers commerciaux etc., lesquels résulteraient non pas du caractère brutal de la rupture, mais de la rupture elle-même (CA Paris 27.02.2014 JurisData 2014-003547 ; CA Paris 20 mars 2014 JurisData n°2014-005437)
L’état de dépendance économique dont se prévaudrait par ailleurs le partenaire évincé, serait-il démontré qu’il n’est qu’une circonstance de nature à apprécier la durée du préavis, sans que ne puissent être réclamées de sommes distinctes au seul visa de cet état (Cass. Com 20 mai 2014 n°13-16398).
Ce sachant que selon la jurisprudence récente, les parties demeurent fort heureusement libres de convenir des modalités de la rupture de leur relation commerciale, ou de transiger sur l’indemnisation du préjudice subi par suite de la brutalité d’une rupture (Cass Com 16.12.2014 n°13-21363).

Sur la durée du préavis en fonction de relations commerciales
qui se doivent d’être établies
De manière constante, ne sont pas admises comme établies des relations commerciales ne présentant pas le caractère de stabilité exigé et d’une trop courte durée (une durée d’un an pouvant être considérée comme insuffisante : CA Paris 20.03.2014 JurisData 2014-005437).
Par ailleurs et, à titre d’exemple, des contrats successifs conclus à la suite d’appels d’offres ne sont pas constitutifs de relations commerciales établies à défaut de contrat-cadre et d’absence de chiffre d’affaires minimum garanti (Cass Com 4.11.2014 n°13-22726).
De plus, le caractère établi des relations s’apprécie au regard des parties mises en cause. Il a pu être admis qu’une société qui substitue sa filiale dans une relation commerciale ne pouvait invoquer l’existence d’un groupe de sociétés pour prétendre à une poursuite de la relation commerciale alors que sa filiale constitue une personne juridique autonome distincte (CA Paris 7 mai 2014 RG 12/04632).
De la pratique ressort pourtant une certaine tendance de la part des demandeurs à tenter de mettre en cause différentes sociétés, parfois totalement distinctes, notamment au sein d’un même groupe de sociétés.
S’il est ainsi admis qu’une relation commerciale puisse se poursuivre entre différents partenaires dès lors qu’il s’agit d’une prestation identique sans interruption entre les flux d’affaires, avec volonté de poursuivre la relation antérieurement nouée (CA Paris 10.09.2014 n°12/11809), le principe fondamental de l’autonomie des personnes morales, y compris au sein d’un même groupe, demeure. Seule une immixtion réelle de la holding dans la gestion des filiales, que les factures émises par l’une profitent aux autres, ou la démonstration d’une volonté affichée d’établir entre elles une telle solidarité, serait de nature à combattre ce principe d’autonomie (CA Paris 20 mars 2014 JurisData n°2014-005437). Déjà en 2012 notamment, la Cour de cassation avait exclu la mise en cause de la société mère aux seuls motifs qu’elle définirait la politique du groupe et aurait un intérêt aux opérations (Cass Com 11.09.2012 n°11-17458).

Sur la compétence judiciaire exclusive, en cas de contentieux
Il sera enfin rappelé que l’article D442-6 du Code de commerce et son annexe 4-2-1 confèrent compétence exclusive à certains tribunaux de commerce et à la seule Cour d’appel de Paris pour connaître des contentieux relatifs notamment aux ruptures brutales de relations commerciales au visa de l’article L442-6 I 5° (CA Lyon 9.10.2014 JurisData 2014-023820 ; CA Rennes 10.06.2014 JurisData 2014-017847 ; Cass Com 24.09.2013 n°12-21089).
Et ce sauf à ce que les demandes soient dissociables comme semble l’autoriser un arrêt du 7 octobre 2014 de la Cour de cassation, ce qui semble peu propice à une bonne administration de la justice et à l’unicité d’un litige reposant sur les mêmes faits (Cass Com 7.10.2014 n°13-21086).
En revanche, ces règles de compétence n’auraient pas pour effet, selon la Cour d’appel de Paris, d’exclure le recours à l’arbitrage, lorsque celui-ci est contractuellement prévu, pour trancher des litiges nés de l’application de l’article L442-6 (CA Paris 1.07.2014 JurisData 2014-015198).

1-Cf des décisions plus anciennes : Cass Com 21.02.2012, n° 09-15438 – Cass Com 31.03.2009 n°07-20991 - CA Versailles 6 Novembre 2008 – n° 07/05360

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