Par Olivier Marion, associé. PwC
Le contexte économique actuel fait suite à trois années de crise économique et financière sans précédent, qui ont affaibli certaines entreprises et leurs trésoreries. De nombreuses entreprises ont aujourd’hui besoin de renforcer leurs fonds propres, parfois dans l’urgence. Voilà de quoi fournir en 2012 des opportunités aux investisseurs, industriels ou financiers. Mais attention, pas à n’importe quelles conditions…

Les opportunités de reprise d’entreprises en difficulté, que ces dernières se situent hors procédure, ou au contraire dans le cadre de procédures amiables ou judiciaires, se sont multipliées en 2011 et leur essor se poursuit en ce début d’année 2012. Une bonne raison pour rappeler quelques fondamentaux.

Réaliser un bon diagnostic des difficultés de l’entreprise
Réaliser un diagnostic sans concessions des difficultés : si l’entreprise en question se trouve en situation difficile, c’est qu’il y a certainement une bonne raison… et souvent plusieurs ! Le projet de reprise doit inclure comme préalable une vision claire et sans concession des difficultés rencontrées et de leurs causes, conjoncturelles et structurelles. Les risques liés à la société doivent également être identifiés car l’investisseur pourrait en hériter dans le cadre de sa prise de participation s’il n’y prend garde. L’identification des difficultés et de leurs causes, puis des solutions pour y remédier, vient étayer le projet de reprise. Le syndrome de l’investisseur tombant «?amoureux?» de la cible et faisant fi des dysfonctionnements et des risques identifiés lors des phases de due diligences peut s’avérer particulièrement coûteux dans les contextes d’entreprises en difficulté…
Stabiliser la situation et éradiquer les pertes : l’urgence caractérise ce type de reprise, avec pour premier impératif de réduire les pertes et de mettre l’entreprise sous contrôle. Il faut à tout prix éviter d’arriver à la sensation de vider l’eau de la coque du navire alors qu’une voie d’eau continue de causer des dégâts. Les différentes fonctions «?vitales?» de l’entreprise doivent être sécurisées, un cap clair et réaliste doit être fixé au management, et le premier effort doit être porté sur la stabilisation des foyers de pertes identifiés lors du diagnostic, ce qui peut notamment inclure la fermeture d’activités non rentables ou leur cession.
La trésorerie reste le nerf de la guerre : si elle est mal gérée, mal contrôlée ou encore mal anticipée, le projet de reprise peut rapidement tourner à l’échec. La visibilité et la qualité du contrôle interne sur la trésorerie sont essentielles, en considérant avec la plus grande circonspection tout montant non immédiatement disponible (trésorerie bloquée dans les filiales, montant servant de garantie, etc.). Les besoins de trésorerie, par définition importants en phase de retournement, doivent par ailleurs être anticipés sur la base d’un outil suffisamment fin, faute de quoi l’entreprise peut faire face à des surprises… parfois fatales. Attention également aux retards de paiement accumulés avant reprise, pas toujours visibles dans les comptes, notamment dans les sociétés de taille moyenne. Dans de tels contextes, si l’éthique des anciens dirigeants vous inspire des doutes, abstenez-vous d’investir.

Mettre en œuvre les mesures nécessaires au redressement
L’entreprise doit être dirigée en phase de retournement : une tentation légitime peut être de conserver l’équipe de direction en place afin de profiter de sa connaissance de l’entreprise et de son secteur d’activité, ainsi que de son enthousiasme à participer au projet de redressement. L’analyse mérite néanmoins d’être réalisée au cas par cas, et un manager efficace en phase de croissance peut parfois se retrouver inadapté à conduire des phases de restructuration et de recentrage sur les fondamentaux. La mise en place d’une équipe de management soudée et compétente dès le début du projet de redressement sera décisive pour la réussite du redressement, quitte à renforcer, voire changer, une partie de l’équipe sans tarder, éventuellement via recours à des managers de transition adaptés aux situations de crise.

Les mesures douloureuses ne doivent pas être différées : les investisseurs ayant été impliqués dans des projets de reprise d’entreprises en difficulté sont catégoriques : les mesures douloureuses à mettre en œuvre doivent l’être au plus tôt, au risque d’être encore plus difficiles a posteriori, tout en ayant laissé se dégrader la situation dans l’intervalle. Licenciement, fermeture d’activité, arrêt d’une relation avec un fournisseur historique, etc., autant de sujets sensibles dont peuvent dépendre la survie de l’entreprise et le succès du plan de retournement.
Utiliser à bon escient les opportunités liées aux procédures collectives : selon la situation de la société cible et le profil de l’investisseur, il peut être pertinent d’utiliser telle ou telle procédure collective dans le cadre du projet de reprise. Par exemple, si la société cible doit négocier avec ses créanciers préalablement à la reprise, les discussions peuvent être facilitées par l’ouverture d’un mandat ad hoc ou d’une conciliation. Si le repreneur considère une société cible ayant déposé le bilan, une reprise en plan de continuation peut lui permettre de s’émanciper du financement du besoin en fonds de roulement… mais peut présenter d’autres risques, à circonscrire avant tout investissement.

Ne pas compter sur la croissance pour solutionner les problèmes
La croissance et l’investissement ne résoudront pas tous les problèmes : trop souvent, les plans de redressement sont principalement fondés sur une croissance de l’activité ou sur un programme d’investissement. Certes, ces facteurs seront importants pour le succès du projet, et tout gain provenant de ventes additionnelles, d’amélioration de capacité ou de productivité seront bons à prendre. Mais miser uniquement sur ces évolutions, par nature difficiles à maîtriser dans leur calendrier et leur ampleur, vous fait courir un risque élevé. Ils reviennent par ailleurs à occulter les changements nécessaires à apporter à l’organisation dans sa physionomie et sa taille actuelle, qui seront autant de fragilités conservées qui réapparaîtront au prochain «?coup de froid?».
Rester concentré sur le retournement : une fois les premiers efforts de redressement accomplis et les premiers signaux positifs obtenus, le management peut être tenté, au gré des opportunités, de se tourner temporairement ou partiellement vers d’autres sujets : développement d’un nouveau produit, accès à un nouveau marché, opportunité de croissance externe, etc. Cette baisse d’attention sur le projet de redressement peut s’avérer coûteuse, car l’entreprise reste fragile durant cette phase de convalescence. L’énergie du management et des salariés, ainsi que les ressources financières, doivent rester focalisées sur un seul but : redresser l’entreprise dans la durée et assurer sa pérennité, sur la base d’un plan de retournement
détaillé prédéfini.
Partager un projet avant de partager son succès : la reprise d’une entreprise en difficulté doit être accompagnée d’un alignement parfait entre la vision du management et les attentes des nouveaux actionnaires. Management et actionnaires vont devoir s’épauler durant la phase de redressement, par définition sensible et intense. Un manque de cohérence ou de clarté du projet ou de l’agenda des uns et des autres finira immanquablement par créer une distorsion qui pénalisera la mise en œuvre du retournement. Le partage du succès viendra dans un second temps si la première étape est respectée !
Mobiliser les forces vives de l’entreprise : au risque de répéter une idée tombant sous le sens, un projet de reprise ne peut se faire sans l’adhésion des salariés et du management de l’entreprise. Ces derniers sortent bien souvent secoués d’une phase de turbulence précédant la reprise, et le fait de les faire participer individuellement et collectivement au plan de redressement sera le meilleur gage de son succès. Comme le rappelle l’adage : «?la volonté accomplit des miracles?»... y compris en matière de retournement d’entreprise.


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