Par Jérôme Barré, avocat associé. Franklin
La lutte contre l’évasion fiscale semble être au cœur des préoccupations politiques du législateur. Alors même que l’informatique et l’électronique ont étendu leur pouvoir permettant de tracer et d’enregistrer la plupart des mouvements financiers, « on » semble découvrir une évasion fiscale jusqu’alors insoupçonnée. « On » légitime ainsi la batterie de mesures coercitives qui s’est agrégée depuis plusieurs années pour combattre les évadés fiscaux…

Plusieurs mesures en vue de limiter l’intérêt fiscal des départs à l’étranger vont à l’encontre de la liberté d’aller et venir. Les États (tout comme les contribuables) doivent respecter à la fois la lettre et l’esprit des lois qu’ils édictent. Nous allons observer que la France suit un chemin qui n’est nullement irréprochable au regard des différents engagements internationaux dont la valeur supranationale est consacrée par la Constitution. Un certain nombre de mesures visent donc littéralement à freiner les départs à l’étranger.
À cet égard, la liberté d’aller et venir proclamée à l’article 2 du 4e Protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CEDH) consacre la liberté pour chaque personne de quitter n’importe quel pays à n’importe quel moment choisi par lui, quels qu’en soient les motifs. L’affirmation d’une telle liberté renforce le droit pour le résident d’un État de choisir le lieu de sa résidence fiscale.

La mesure phare : l’exit-tax - Abus de droit
Le mécanisme d’imposition des plus-values latentes, dit «d’exit tax» illustre une fâcheuse tendance de l’état à vouloir s’affranchir des textes internationaux, en adaptant subtilement sa législation à cette fin. Ainsi, l’article 167 bis du CGI permet à la France d’imposer la plus-value latente dont disposerait un résident fiscal français au moment de son départ à l’étranger sur des titres, cotés ou non, selon un certain nombre de conditions. Ce qui paraît le plus choquant est le fait générateur de l’imposition qui est réputé naître un jour avant la date du départ hors de France.
C’est un peu comme si un impôt était exigé un jour avant la mort d’une personne décédée. Le fisc est donc capable de taxer « à cours inconnu » - diraient les Assets Managers – alors même que la date exacte de son départ demeure incertaine. L’État français contourne ainsi délibérément les règles conventionnelles d’attribution du droit d’imposer en évitant, en matière de plus-values, la règle d’attribution à l’État de résidence du cédant, créant ainsi une fiction fiscale un jour avant le véritable événement.
On remarquera que l’Administration fiscale ne se prive jamais de remettre en cause la date d’un départ dès lors qu’elle y a intérêt, considérant qu’un critère d’une convention ou du droit interne n’est pas réuni. Ici, au contraire, elle prétendrait qu’elle connaît par anticipation la date d’un départ. Il s’agit ici d’un intéressant changement de doctrine.
L’État français institue ici un détournement de convention fiscale lui permettant de taxer une plus-value alors même que la personne concernée est résidente de France, n’a pas cédé ses titres et ne dispose pas de la contrepartie financière pour acquitter l’impôt.
Ce contournement, manifestement délibéré, constitue une véritable entorse aux principes développés par la Convention de Vienne sur le droit des traités qui énonce les principes relatifs à leur application et leur interprétation au titre desquels s’inscrit l’obligation d’interprétation de bonne foi des traités et qui vise la conduite adoptée ultérieurement par les États parties à l’accord dans le cadre de son application. Dans ces circonstances, il est légitime de soutenir que ce dévoiement fiscal est contraire aux engagements internationaux pris par la France.
D’ailleurs, l’affirmation d’une telle contrariété n’est pas innovante. Les Pays-Bas ont un système relativement semblable que la Cour suprême néerlandaise a été amenée à invalider sur le fondement de l’interprétation de bonne foi des traités en affirmant que si une fiction fiscale permet un transfert du droit d’imposer, la contrariété aux règles de droit fiscal international est avérée.

Les freins supplémentaires à la liberté d’aller et venir
Depuis l’entrée en vigueur de la deuxième loi de finances rectificative pour 2012, les non-résidents français sont assujettis aux prélèvements sociaux sur leurs revenus immobiliers : leurs revenus fonciers perçus depuis le 1erjanvier 2012 et leurs plus-values immobilières réalisées au titre de cessions intervenues depuis le 18?août 2012 sont soumis aux contributions et prélèvements sociaux (CSG/CRDS).
Or, cet assujettissement ne leur rend aucune contrepartie sociale. Ainsi, «on» demande aux étrangers ayant investi en France de participer à l’effort de guerre contre la crise. Pour les non-résidents de longue date et non-citoyens français, ces mesures sont perçues comme une véritable injustice. Pour les candidats au départ, c’est une façon de diminuer l’intérêt fiscal de leur départ s’ils possèdent de l’immobilier en France.
Il existe un risque de double paiement des charges sociales car l’intéressé non-résident demeure tenu au versement de ces charges dans son pays de résidence.
Par ailleurs, au regard de l’ISF, il n’est plus possible pour les non-résidents de prendre en compte le compte courant d’associé (dette que la société devra rembourser !) pour la détermination de la valeur des parts qu’ils détiennent dans une SCI française. Cette modification constitue une réelle mauvaise surprise pour les étrangers investisseurs en France, en particulier les investisseurs fortunés qui investissent nos côtes et font vivre l’activité locale.
Les particuliers ne sont cependant pas les seuls visés par l’arsenal mis en place, les entreprises sont également dans son collimateur notamment à travers le mécanisme d’imposition des plus-values liées aux transferts de siège ou d’établissement à l’étranger lorsqu’ils sont accompagnés de transferts d’éléments d’actifs. Ce mécanisme a déjà été jugé contraire au principe de liberté d’établissement et la nouvelle possibilité offerte à l’entreprise d’opter pour l’étalement de l’imposition sur cinq ans n’entraîne pas nécessairement la perte de tout vice à cette mesure. Une question préjudicielle est d’ailleurs en attente de jugement sur un dispositif semblable en Allemagne.

Les conséquences induites par l’ensemble de ces mesures
L’ensemble de ces mesures aboutit à des conséquences en contradiction avec l’objectif poursuivi par l’État. En effet, en imposant les plus-values latentes réalisées avant le départ hors de France, l’exit-tax incite véritablement les jeunes entrepreneurs à quitter notre pays le plus rapidement possible pour en limiter l’effet.
L’assujettissement des non-résidents à la CSG/CRDS sur leurs revenus immobiliers et leurs plus-values immobilières ainsi que le rehaussement très significatif de l’ISF dû à l’absence de prise en compte des comptes courants d’associés les invite à céder leurs actifs français.
Qui trop embrasse mal étreint…

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