Par Patrick Gerry, avocat associé, et Betty Viau, avocat. Simmons & Simmons
Les obligations des maîtres de l’ouvrage envers leurs cocontractants et sous-traitants sont à nouveau renforcées par le législateur. De nouvelles règles modifient de manière impérative les conditions de paiement dans les marchés de travaux privés. En outre, il est mis à la charge du maître de l’ouvrage une obligation de vigilance en matière de respect du droit social.

En 2014, le droit de la construction a connu deux évolutions, passées relativement inaperçues, malgré leur importance pratique et juridique :
• la modification des règles de paiements des entrepreneurs dans les marchés privés,
• le renforcement des obligations du maître d’ouvrage et du donneur d’ordre en matière de respect par leurs sous-traitants et/ou cocontractant du droit social.

Réforme des conditions de paiement des entrepreneurs
Cette réforme des conditions de paiement des entrepreneurs dans un marché privé est intervenue dans le cadre de la loi n°2014-344 du 17?mars 2014 pourtant relative à la consommation. Est modifié l’article L. 111-3-1 du code de la construction et de l’habitation (CCH) lequel prévoyait l’application des délais de paiement issus de la loi de modernisation de l’économie (LME) uniquement aux «?marchés privés conclus entre professionnels soumis au code de commerce?», le lien avec le droit de la consommation est donc ténu. La modification opérée qui vise notamment à imposer le versement d’acompte mensuel est également l’occasion de rappeler les délais de paiement applicables.

Paiements d’acomptes. L’article L. 111-3-1 du CCH indique que «?les prestations qui ont donné lieu à un commencement d'exécution des marchés privés mentionnés au 3° de l'article 1779 du code civil ouvrent droit à des acomptes?». Sont donc concernés par cette réforme l’ensemble des intervenants participant à un projet de construction, l’article 1779, 3° visant le «?louage d'ouvrage et d'industrie […] des architectes, entrepreneurs d'ouvrages et techniciens par suite d'études, devis ou marchés?». Il est désormais ajouté que ces dispositions seront applicables aux sous-traitants.
Les demandes relatives à ces acomptes doivent être faites à la fin du mois au cours duquel est réalisée ou commencée la prestation et leur montant est fixé à «?la valeur des prestations auxquelles il se rapporte?». Il n’est donc plus possible de prévoir le paiement d’un intervenant à l’achèvement d’une phase, par exemple l’obtention d’un permis de construire purgé de tout recours dans un contrat de maîtrise d’œuvre, sans possibilité de percevoir des acomptes mensuels.

Délais de paiement. L’article L. 111-3-1 du CCH dans sa rédaction antérieure à la loi de mars?2014 renvoyait aux dispositions de l’alinéa 9 de l’article L. 441-6 du code de commerce qui s’appliquent aux acomptes mensuels et au paiement du solde du marché (l’acompte à la commande reste régi par les stipulations du contrat). Cet article prévoit que : «?Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours à compter de la date d'émission de la facture?».
L’innovation est d’intégrer à ce délai de 45 ou 60 jours, de manière impérative, «?le délai d'intervention du maître d'œuvre ou du prestataire [dont l'intervention conditionne le règlement des acomptes mensuels] est inclus dans le délai de paiement de ces acomptes mensuels?». En outre «?Le maître d'œuvre ou le prestataire habilité à recevoir les demandes de paiement est tenu de faire figurer dans l'état qu'il transmet au maître d'ouvrage en vue du règlement la date de réception ou de remise de la demande de paiement de l'entreprise?».
On rappellera que le non-respect ouvre la possibilité pour l’entrepreneur de recourir à une exception d’inexécution et donc de «?suspendre l'exécution des travaux ou des prestations après mise en demeure de son débiteur restée infructueuse à l'issue d'un délai de quinze jours?». En outre, la réforme de 2014 a ajouté à l’indemnité forfaitaire de 40?euros et aux intérêts de retard, une «?amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale?» en cas de non-respect des dispositions relatives aux délais de paiement.

Vigilance du maître d’ouvrage en matière de droit social
La loi n°014-790 du 10?juillet 2014 visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale a renforcé les obligations et responsabilités du maître d’ouvrage et du donneur d’ordre en matière de respect par leurs cocontractants et/ou sous-traitants de certains principes et droits fondamentaux du droit social. Il est important de noter les obligations du maître de l’ouvrage sont limitées, il ne s’agit en effet que d’une obligation d’injonction après information par les autorités de contrôle et non de vérification systématique. L’injonction vise, selon les cas, non seulement les carences d’un sous-traitant mais aussi des cocontractants voire même celles du cocontractant du sous-traitant.
Ainsi le nouvel article L. 4231-1 du code du travail impose au maître de l’ouvrage ou au donneur d’ordre une obligation vigilance en matière de conditions d’hébergement des salariés de son cocontractant ou de son sous-traitant.
L’article L. 8281-1 prévoit ensuite une obligation d’injonction si le sous-traitant, direct ou indirect, ne respecte pas les dispositions légales ou les stipulations conventionnelles notamment en matière de :
• libertés individuelles et collectives dans la relation de travail ;
• exercice du droit de grève ;
• durée du travail, repos compensateurs, jours fériés, congés annuels payés, durée du travail et travail de nuit des jeunes travailleurs ;
• conditions d'assujettissement aux caisses de congés et intempéries ;
• salaire minimum et paiement du salaire, y compris les majorations pour les heures supplémentaires ;
• règles relatives à la santé et sécurité au travail, âge d'admission au travail, emploi des enfants.
Enfin, cette obligation d’injonction existe aussi en cas de «?non-paiement partiel ou total du salaire minimum légal ou conventionnel dû au salarié de son cocontractant, d'un sous-traitant direct ou indirect ou d'un cocontractant d'un sous-traitant?». Les sanctions du non-respect par le maître de l’ouvrage de son obligation seront précisées par décret. Le texte prévoit toutefois déjà que pour ce qui concerne le respect des conditions décentes d’hébergement, «?le maître d'ouvrage ou le donneur d'ordre est tenu de prendre à sa charge l'hébergement collectif des salariés?» si l’injonction est sans effet. En matière de non-paiement du salaire minimum et en cas de «?manquement à ses obligations d'injonction et d'information […] le maître d'ouvrage ou le donneur d'ordre est tenu solidairement avec l'employeur du salarié au paiement des rémunérations, indemnités et charges dues?».

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