Les quinze ans de 1000mercis et l’offensive menée dans la Silicon Valley remettent sous les feux des projecteurs cette pionnière de la publicité et du marketing interactif propulsée malgré elle en tête des archétypes féminins du leadership.

Le 5 décembre 1972, les époux Costes ont contourné le droit français. Ils ont inventé un prénom. Celui de leur fille Yseulys. À l’officier d’état civil aveyronnais, ils ont déclaré : « C’est d’origine bretonne. » Sceptique, l’homme a fini par plier. Yseulys est ainsi devenue « la première du prénom » en France. Une primeur qu’elle revendique, voire défend bec et ongles. « J’ai déposé tous les noms de domaine il y a une quinzaine d’années. Imaginez une voiture qui s’appelle Yseulys ! », plaisante-t-elle l’air horrifié. Cet anecdotique baptême préfigure sa capacité à prendre une longueur d’avance et à donner du sens à des choses sur lesquelles le commun des mortels ne daignerait même pas poser un regard. « Elle a ce goût du détail », confirme Thibaut Munier, son associé depuis le 23 février 2000. Ce jour-là, ils ont fondé 1000mercis avec l’idée de collecter de la data pour mieux explorer les désirs des consommateurs. Ce jour-là, ils n’ambitionnaient pas de révolutionner le marketing et encore moins de changer le monde. Ce jour-là, ils avaient juste envie de faire un site Web de suggestions de cadeaux sur le modèle des listes de mariage, puis de le faire grandir. Quinze ans plus tard, le duo est à la tête d’un puissant groupe de marketing interactif valorisé 135 millions d’euros en Bourse. Ensemble, ils détiennent encore 43 % du capital. Un joli pactole. Lucide, Yseulys Costes martèle comme pour conjurer le sort : « Il n’y avait rien au départ, il peut ne rien y avoir à la fin. »

 

« Elle était déjà très en avance »

Le départ. L’hyperactive Costes n’était sûrement pas dans les starting blocks pour courir le marathon de l’entrepreneuriat. « Petite, elle voulait être marchande de laine », taquine Thibaut Munier, convaincu que « c’est l’idée du premier site de liste de cadeaux qui lui a donné envie de créer 1000mercis ». « Entreprendre, c’était le seul moyen de continuer à m’amuser en marketing interactif », ajoute celle qui a fait le grand saut après avoir été enseignante-chercheuse puis coordinatrice à l’IAB France (Interactive Advertising Bureau) pendant deux ans. Aujourd’hui, Yseulys Costes est devenue incontournable dans la sphère digitale. « C’est l’une des rares femmes à avoir bâti une grosse boîte cotée », constate le business angel Marc Simoncini, un soutien de la première heure. Élue « Femme Internet » de l’année 2001, citée en exemple par ses pairs de l’écosystème numérique, l’e-entrepreneuse a redistribué les cartes du marketing traditionnel en érigeant la data en sacro-saint levier pour les entreprises avides de conquérir des clients. Autrement dit, elle a lancé les premières bases de données utilisateurs intelligentes. Et pour cela, la cofondatrice de 1000mercis a eu un sacré flair. Très tôt, Yseulys Costes a mis le doigt dans l’engrenage de la recherche. « Elle était déjà très en avance : elle parlait de marketing viral avec beaucoup d’expérience et de compréhension technique », se souvient Patricia Barbizet, CEO de Christie’s International, qui l’a repérée il y a plus de dix ans lors d’une conférence.

 

Défricheuse dans l’âme, la jeune Costes sait déjà qu’il existe un nouvel eldorado. Elle l’a vu aux États-Unis où elle a fait une partie de ses études à l’Anderson School of Management et à la Harvard Business School. La frénésie autour de l’Internet a déjà commencé à échauffer les esprits. Mais pas le sien. «  C’est une chercheuse qui réfléchit, calcule, étudie. Elle est presque à contre-courant de la Net économie qui va à deux mille à l’heure ! Souvent, je lui ai conseillé d’aller plus vite mais elle a toujours fonctionné à son rythme. Et ça marche, la preuve », reconnaît Marc Simoncini qui lui a mis le pied à l’étrier entrepreneurial en investissant en 2000 cinq millions de francs dans 1000mercis. « Il a suffi de dix minutes pour que je lui dise "OK" : savoir ce que les gens vont acheter, c’est une donnée qui vaut très cher », analyse celui qui venait de faire fortune en vendant son site internet iFrance à Vivendi. Fabrice Grinda, fondateur du site d'enchères Aucland et Oriane Garcia, la fondatrice de Caramail, font également partie de l’aventure. Bien leur en a pris. Simoncini aurait ainsi empoché quelque trente millions d’euros.

 

Endurante, workaholic, hyper-organisée

En coulisses, on dépeint une grande peur du regret chez celle qui a pourtant paraphé très jeune le pacte pour enfiler le costume précaire de l’e-entrepreneuse. Cette peur, c’est son moteur, le catalyseur qui la pousse à agir et lui évite de se trouver des excuses. Une de ses plus grandes phobies : « Faire porter ses regrets à ses enfants. » Sa fille est âgée de quelques mois quand elle se lance dans l’aventure entrepreneuriale. Comme beaucoup, Yseulys Costes a appris son métier sur le tas. Elle a accepté de prendre des risques avant de découvrir que son épée de Damoclès serait surtout de les faire peser sur les autres. Pour supporter cette responsabilité, la provinciale, qui ne vient donc pas du sérail parisien ni de celui des grandes écoles, a dû sortir de sa chrysalide : « C’est une workaholic assumée », observe son associé. Et de lâcher cette anecdote lorsque la jeune femme s’étonnait auprès de ses collaborateurs deux minutes après être montée dans un train en partance pour Besançon à 6h17 : « Quoi ?! Qu’est-ce que tu fais, tu bosses pas ?! » Son sens aigu de l’organisation serait tellement poussé qu’il aurait déteint sur les bureaux de 1000mercis, jugés par certains un poil aseptisés : « Elle écrit toujours sur des feuilles à petits carreaux perforées et sa trousse la suit partout. Lors des conseils d’administration, elle sort son matériel comme si elle était à l’école. Elle adore la papeterie et les petits rangements. Elle est hyper-organisée », souligne Thibaut Munier.

 

En France, Yseulys Costes détonne dans le paysage entrepreneurial. D’abord, « 1000mercis est une des premières start-up françaises où les fondateurs sont des chercheurs », insiste Marc Simoncini, qui salue la démarche académique intimement liée au fonctionnement de l’entreprise. Ensuite, la cofondatrice est tout sauf un entrepreneur classique : « Elle aime le chemin autant que le but », explique un proche. Là où la plupart agitent le drapeau à planter en haut de la montagne, Yseulys Costes savoure le paysage pendant l’ascension avec ses copains de cordée. Endurante, la self-made-woman a construit en quinze ans un petit empire. Le résultat d’une épopée digitale sans faille convoyée par plus de 400 collaborateurs mis en ordre de bataille dans l’un des six bureaux implantés par le groupe à Paris, Lyon, New York, Londres, Dubai et San Francisco. Au total, 1000mercis opère dans une cinquantaine de pays dont trois ont été ouverts au cours des vingt-quatre derniers mois. Bilan, la croissance est tout simplement insolente et le chiffre d’affaires, de 45,2 millions en 2014, continuellement en progression : « Plus de 15 % de croissance par an pour fêter nos quinze ans, c’est une jolie coïncidence », se réjouit Thibaut Munier qui compte parmi ses clients des multinationales aussi prestigieuses que Procter & Gamble, Allianz et autres Priceminister.

 

Son dernier challenge : s’expatrier dans la Silicon Valley

Et ce n’est que le début. Revenir en France, le duo n’y pense pas. Un an après son expatriation dans la Silicon Valley, Yseulys Costes se déclare « over expectation ». « C’est un changement fabuleux », renchérit son associé. « Il fallait oser », tempère Cécile Moulard fondatrice de l’IAB qui siège au board depuis la création de 1000mercis. Oser lancer Numberly, une marque spécifique pour partir à l’assaut des USA. Oser faire ses valises avec mari et enfants. Oser sortir de sa zone de confort quinze ans après la création de 1000mercis. « Repartir de zéro, c’est un beau challenge », reconnaît Dorothée Lacroix, international managing director du groupe. « Cela ne m’a surpris qu’à moitié, avance Marc Simoncini. Sur le marché français, ils étaient à l’étroit. » « Il fallait aller chercher le business là où il est, et se confronter à la compétition », martèle la CEO. Un signal fort envoyé aux équipes. « J’étais la première à ouvrir un bureau, à Londres en 2008. Leur départ m’a réconfortée et m’aide à mieux communiquer avec eux sur les challenges à l’international », admet Dorothée Lacroix.

 

Six mois avant leur départ, ils ont repensé toute la gouvernance de l’entreprise. Un travail de titan. « C’était difficile pour nous comme pour les collaborateurs qui sont restés à Paris », avoue le cofondateur. « C’est inconfortable mais c’est aussi très stimulant. Cela m’a redonné de l’élasticité et la capacité à réinventer des choses », s’ébaudit Yseulys Costes. Pourtant, le duo est arrivé à Palo Alto avec quelques inhibitions. « Ils ont un réservoir de croissance énorme », rassure Marc Simoncini. Dans ce monde impitoyable où la compétition fait rage et où la cadence de travail est effrénée, ils savaient qu’ils n’étaient pas en terrain conquis. « Ils font deux journée en une », confirme l’une de leurs proches collaboratrices. « Yseulys répond au téléphone à toutes les heures du jour et de la nuit. Elle a un sens inouï de la communication et une grande fidélité en amitié », admire son amie Patricia Barbizet.

 

Un an après, les dirigeants ont le sentiment d’avoir passé un cap. À observer la croissance du chiffre d’affaires à l’international – qui devrait s’établir à plus de 20 % fin 2015 –, il n’y a aucun doute, 1000mercis est parfaitement dans la course. « C’est rassurant ! », déclare Yseulys Costes qui peut à loisir exprimer son tempérament de bourreau de travail au pays des workaholics. Pour elle, c’est un jeu. « C’est une vraie geek, décrit son associé. Enfant déjà, elle était fondue de technologie. » Le jour de ses dix ans, alors qu’elle avait demandé un ordinateur, son père lui a offert un vélo. Depuis, elle déteste le vélo. Cela ne l’empêche pas de mouliner sans cesse pour apporter des réponses innovantes aux entreprises qui souhaitent optimiser leurs actions de conquête et de fidélisation grâce aux médias interactifs. Au cœur de la Silicon Valley, the queen et the king du marketing ont boosté l’évolution de leurs produits, notamment en matière de programmatique et de Real Time Bidding (RTB), les fameuses enchères en temps réel. Si 1000mercis se positionne souvent à la pointe en consacrant 10 % de son chiffre d’affaires à la R&D pour améliorer ses algorithmes, il arrive aussi parfois que certains concurrents détectent en amont une tendance. « Cela me rend dingue ! », s’exclame Yseulys Costes néanmoins, consciente que les ratés font aussi partie du jeu. Et la CEO de renchérir : « Ce n’est pas agréable mais c’est nécessaire : il faut être lucide pour dompter les risques. »

 

L’histoire dans l’histoire

Pour comprendre comment ce duo a créé 1000mercis, il faut rembobiner le film. Remonter bien au-delà du partenariat stratégique conclu avec Albatross Global Solutions qui renforce l’expertise CRM In Store du groupe, et son dernier coup de poker avec le lancement de cette offre de display en RTB, qui ouvre un nouveau canal relationnel venant compléter l'e-mail, les réseaux sociaux et le mobile. Enjamber les années d’expansion internationale et de croissance externe avec le lancement de la marque Numberly, l’acquisition de Matiro, la création de la filiale à Londres et le rachat d’Ocito. Mettre sur pause pour se remémorer cette IPO éclair, bouclée en six mois – alors que le groupe n’avait ni banque ni directeur financier – et qui a valorisé sur Alternext la société à quarante millions d’euros trois jours avant que les marchés financiers ne s’écroulent. Revenir en 1995 pour retrouver Yseulys Costes et Thibaut Munier dans les couloirs de l’université de Paris-Dauphine.

 

C’est l’histoire dans l’histoire. Celle qu’ils évoquent toujours avec beaucoup de pudeur. « Je les connaissais très bien tous les deux mais quand elle m’a invité à leur mariage, je ne savais même pas qu’ils étaient en couple », s’étonne encore Pierre Kosciusko-Morizet. « Pour vivre heureux, vivons cachés », semble être devenu le mantra d’Yseulys Costes dont la pire angoisse serait un portrait titré : « Le couple à la tête de 1000mercis ». « Cela reste principalement mon associé », insiste-t-elle sans s’appesantir sur le sujet.

 

Au bureau, ils sont d’une discrétion légendaire. Au point que certains sont tombés des nues. « Il y avait des rumeurs, mais de là à penser que c’était une réalité ! », s’exclame Dorothée Lacroix, qui attribue néanmoins le succès de 1000mercis à « leur complicité, leur complémentarité et leur entente parfaite ». Quand ils se rencontrent en 1995, ils reviennent tous les deux des États-Unis avec la même envie : faire du marketing. Il sera interactif pour elle, relationnel pour lui. « Quand on s’est présenté en DEA, on était l’un après l’autre et on avait la même histoire, raconte Yseulys Costes. Pendant nos thèses, on est naturellement devenus super copains. » Étudiant brillant, Thibaut Munier sort major du DEA et opte pour le dispositif Cifre (Conventions industrielles de formation par la recherche) laissant ainsi sa bourse à celle qui n’est pas encore son associée. Chacun de leur côté, ils enchaînent les conférences académiques « où l’on mange bien, où l’on voit des gens intelligents un peu partout », se remémore avec plaisir la jeune Costes qui a fait de Munier le parrain de sa fille avant d’en faire son associé, puis son colocataire, et enfin son mari en mai 2009. « Cela s’est fait avec le temps », conclut-elle en souriant.

 

Les dirigeants s’arrachent son expertise

Nous avons rencontré Yseulys Costes à San Francisco en mai dernier. Elle est arrivée en retard à cause du traffic. Les temps de trajets sont importants pour cette « multitaskeuse » éprise de rentabilité temporelle. « Son plaisir, c’est manger un sandwich dans sa voiture tout en transmettant une idée à un collaborateur embarqué à bord », révèle Thibaut Munier. Cet été, nous avons à nouveau passé deux heures avec la CEO de 1000mercis qui nous a ouvert les portes de sa maison parisienne ayant appartenu à une amie de George Sand. Tout un symbole pour celle qui raconte son coup de foudre pour cette bâtisse à grands coups de « j’ai craqué, j’ai craqué », répété en boucle.

 

À côté de son petit royaume, la queen du marketing s’est construit un dense réseau de relations dans l’industrie, les médias et la tech. « Si on ne rencontre pas des gens, c’est compliqué de faire du business », allègue-t-elle. Sa maison de Palo Alto est rapidement devenue une plaque tournante. Les dirigeants européens s’y pressent avec curiosité pour toucher du doigt le mythe mirifique de la Silicon Valley. Guillaume Pepy (SNCF), Anne Lauvergeon (Sigfox), Christophe Cuvillier (Unibail-Rodamco) sont de ceux qui lui rendent fréquemment visite. « C’est l’occasion de passer des moments privilégiés », s’enthousiasme la jeune quadra qui réunit à la même table Renaud Laplanche et Frédéric Mazzella dans la plus pure tradition du barbecue à l’américaine.

 

À la question : est-elle une figure de proue féminine, l’intéressée répond du tac au tac : « J’ai été très tôt présente dans les réseaux de femmes comme Cyberelles. » Aujourd’hui, elle siège aux côtés de Barbara Dalibard (SNCF) et Pascale Witz (Sanofi) à l’advisory board du Professional Women's Network. « En France ou dans la Silicon Valley, les femmes sont sous-représentées dans la tech. C’est important d’en parler car nous avons encore plein d’étapes à franchir », déplore celle qui s’assied à la table de François-Henri Pinault (Kering), Vincent Bolloré (Vivendi) et Thierry de La Tour d'Artaise (Seb). Les grands groupes cotés se l’arrachent pour féminiser leurs conseils d’administration et de surveillance. Mais ce n’est pas son seul atout. « Non seulement Yseulys perçoit les nouvelles tendances, mais elle les rend intelligibles avec une facilité déconcertante. Cette capacité à donner du sens fait qu’elle peut dire à un dirigeant : voilà ce qui va changer dans vos métiers », explique Patricia Barbizet qui l’a cooptée au conseil d’administration de Kering. Pour Vivendi, c’est un chasseur de têtes qui l’a repérée. Chez Seb, c’est le P-DG en personne qui l’a contactée sur recommandation d’Anne Méaux, la fondatrice de l’agence Image 7. De quoi booster son ego ? « C’est surtout enrichissant », objecte Yseulys Costes pour qui la transmission est essentielle. La chercheuse a fait ses armes à Harvard. Depuis son installation dans la Silicon Valley, elle intervient régulièrement à l’université de Stanford et de Berkeley.

 

De la théorie de la tomate à sa « culture du faire »

Marc Simoncini s’étonne encore, au fond, qu’un enseignant-chercheur puisse être aussi un entrepreneur. Pour Yseulys Costes, c’est un peu évident, elle qui descend d’une lignée de femmes institutrices. Biberonnée à la transmission, l’Aveyronnaise cultive sur l’autre versant un goût de la terre hérité de ses grands-pères. Dans la maison de Palo Alto, elle jardine en famille pour transmettre à ses trois enfants « la culture du faire ». Ensemble, « on plante des graines et on s’en occupe jusqu’à ce que cela devienne une tomate », confie-t-elle. Une façon de permettre à sa descendance de comprendre les conséquences de leurs actes. Cette innocente « théorie de la tomate » formalise plus qu’il n’y paraît ses profondes racines entrepreneuriales. Elle révèle aussi les arcanes de sa méthode managériale.

 

Costes a l’art et la manière de combler le gap entre le knowing et le doing. Pour elle, une bonne idée sans exécution n’a aucune valeur. Récemment, elle a fait plancher ses équipes sur la question des moyens nécessaires pour prendre une bonne décision. Depuis, les Powerpoints sont bannis des comex 1000mercis, au profit de documents Word dans lesquels les membres sont invités à rédiger l’histoire de leurs décisions. Une manière subtile de rappeler aux équipes que ce qui compte, c’est le chemin qui mène à l’entrepreneuriat. « Yseulys a ce talent pour remettre les choses en perspective dans son intérêt comme dans celui des autres », relève Patricia Barbizet avant d’ajouter : « 1000mercis, c’est une vraie maison. » Le genre de maison où les nouveaux collaborateurs ont pendant longtemps construit eux-mêmes leur bureau. Le genre de maison où l’expression « stratégie d’entreprise » est considérée comme tabou. Le genre de maison où l’on n’affiche pas des valeurs désincarnées sur les murs d’une cafétéria parce que les collaborateurs baignent dans une culture de l’accomplissement impulsée par leur CEO. Et Thibaut Munier de se risquer à la métaphore : « On est des mécanos chez 1000mercis. On ne fait pas les choses en rêvant à plus grand. On creuse notre sillon dans le "bien faire". » Un héritage que sa partenaire tient aussi de son enfance où elle apprenait à bricoler avec son père.

 

Le goût des autres

Sa jeunesse parle de transmission et de partage. Elle est émaillée de grands rassemblements et d’activités collectives. Cet ancrage familial a donné à Yseulys Costes ce goût des autres. Au point que cette inclination pour le genre humain transpire dans l’organisation de son entreprise. « La culture 1000mercis est de type familial. Elle repose sur le respect et la confiance mutuelle. Il n’y a pas de pathos derrière et encore moins de dérive comme "je m’occupe de tout pour toi" », éclaire Cécile Moulard.

 

C’est le père d’Yseulys Costes, psychologue du travail, qui lui a sans doute légué l’art et la manière de savoir s’entourer. « Elle a fait très peu d’erreurs d’embauche. Yseulys évite l’écueil du clonage en recrutant des gens très divers. Le plus grand talent d’un chef d’entreprise, c’est de savoir s’entourer des meilleurs », distingue un membre de son board. Le premier salarié, Julien Chailloux, était étudiant à l’Essec. « Il m’installait mon PC, il était hyper-sympa et très débrouillard », se souvient Yseulys Costes qui lui a décoché un « je vous ramène à Paris », le jour où elle a décidé de fonder 1000mercis. À l’époque, c’est dans sa cuisine, rue de Rochechouart, que la start-up est basée. Depuis, l’entreprise a fait du chemin, tout comme l’étudiant aujourd’hui executive VP et affublé du sobriquet « Djoules ». Même modus operandi avec Dorothée Lacroix, embauchée le jour où l’entreprise fêtait ses trois ans. « J’ai passé mon entretien et il y avait une fête dans les bureaux. Yseulys et Thibaut m’ont proposé de rester à la soirée », raconte la jeune femme. « Le thème c’était 1000 pâtes, se souvient la CEO. Elle a passé son temps à servir des pâtes : cette fille, c’est une machine ! » Depuis, celle que l’on surnomme « Doro » siège au comité exécutif et pilote le bureau londonien du groupe. « 1000mercis c’est une famille : on est sept au comex et on est tous là depuis plus de dix ans », note la jeune femme.

 

Ritualiser, c’est l’autre péché mignon d’Yseulys Costes. « La data, c’est très immatériel, démêle-t-elle. Les collaborateurs sont d’autant plus importants qu’il n’y a pas de production physique. » Toutes les occasions sont bonnes pour célébrer les succès et autres anniversaires. La CEO a d’ailleurs créé en interne la 1000mercis Cup : un événement vieux de quinze ans où les collaborateurs répartis en équipes s’affrontent dans une série d’épreuves. « C’est un genre d’olympiades avec des jeux de société et d’adresse, décrit Dorothée Lacroix. Les gagnants remportent une coupe ! C’est dérisoire mais ce qui compte, c’est le plaisir de passer du temps ensemble et aussi d’humilier gentiment ses collègues ! »

 

Une e-entrepreneuse avec une drôle de fermeté

À écouter son entourage, Costes gagne grâce à son enthousiasme débordant et à sa force de persuasion. Certains de ses proches ajoutent qu’elle fait des affaires avec « une drôle de fermeté ». Pour Pierre Kosciusko-Morizet, qui fut l’un de ses tout premiers clients du temps où il était CEO de Priceminister, « c’est une excellente vendeuse ! ». « Elle adore convaincre. C’est un jeu pour elle », ajoute M. Munier. Parmi la petite dizaine de personnes que nous avons interrogées, toutes ont une anecdote à raconter pour illustrer la force de conviction hors du commun de l’entrepreneuse. Comme la fois où cette fétichiste du rose a réussi à persuader un constructeur de micro-informatique de lui créer un modèle de la dite couleur. La fois où elle s’est mise à pleurer devant les flics pour les convaincre de la laisser filer alors qu’elle remontait d’Aveyron avec la Rover de sa mère dont le pot d’échappement était dans le coffre. Celle où, en 1998, elle a gentiment malmené un vendeur France Télécom éberlué d’entendre une cliente lui demander une ristourne avec assurance : « Qu’est-ce que vous pouvez faire pour nous en plus de l’abonnement téléphonique ?! » « Cette manière de poser la question m’a déstabilisée, se souvient amusée Cécile Moulard qui venait de l’embaucher à l’IAB. Le plus drôle c’est qu’on est reparti de la boutique avec des dizaines de coupons de réduction ! »

 

Et puis il y a eu cette fois qui a tout changé. Un jour de décembre 1999. Yseulys Costes est à bord d’un avion, direction Nice où elle doit donner une conférence. Thibaut, lui, est à Sidney quand son téléphone sonne. À l’autre bout du fil, celle qui n’est pas encore son associée lui déballe son idée en vrac : « Noël, les listes de cadeaux, connaître les souhaits des individus, collecter de la data opérationnellement pour faire levier sur le marketing... » Quand ils se voient à Paris le vendredi suivant, elle lui bombarde : « Tu décides avant lundi. Si on le fait, il faut le faire vite. » Cet empressement, Costes le tient de sa capacité à voir le dessous des cartes et à conserver chaque fois un coup d’avance. Pourquoi a-t-elle choisi de s’associer à Thibaut Munier ? « On s’est toujours bien entendu », rétorque-t-elle avec cette authentique franchise qui la caractérise. Le dimanche soir, leur destin commun était scellé : lui, l’expert en marketing relationnel, elle, la spécialiste en marketing interactif. Et voilà quinze ans plus tard l’e-entrepreneuse propulsée en tête des archétypes féminins du leadership.

 

Le syndrome rigolo

Le rire est un des traits de caractère d’Yseulys Costes, qui vous raconte sa vie comme une succession d’anecdotes, tout en ponctuant chacune de ses phrases d’un « c’était rigolo ». Par exemple, lorsque Thibaut l’a appelée pour lui dire qu’il était mobilisé pour faire son service militaire alors qu’elle venait de recevoir sur le compte de 1000mercis le virement de cinq millions de francs de Simoncini. « C’est dur de ne pas rire au moins une fois dans une réunion avec elle », déclarent à l’unanimité les membres du board de 1000mercis. Son dernier fait d’armes : le Reactivator. « C’est un nom viril, n’est-ce pas ? », lance-t-elle avec facétie pour tester notre réaction. C’est son nouveau joujou. Le dernier-né d’une longue série de produits made in 1000mercis. Celui-ci a vocation à renouer le contact avec des clients devenus inactifs. « C’est la population qui croît le plus vite dans les data bases aujourd’hui. On aide les marques à réactiver leurs clients », explique-t-elle plus sérieusement.

De là vient le glissement vers le concept Reactivator. « Au début, c’était une blague entre nous », mentionne Thibaut Munier. Et puis trois minutes avant une conférence, ils ont décidé de conserver le nom. « Elle a toujours voulu faire des choses rigolotes : "Il faut que ça soit rigolo !" C’est toujours ce qu’elle dit à nos clients. » De quoi déstabiliser les dirigeants de grands groupes, guère habitués à plaisanter quand il est question de business. « Yseulys a cette indépendance et cette manière bien à elle de regarder le monde. Elle donne le sentiment que les choses sont faciles. Cela lui donne un avantage majeur. C’est pour cela qu’elle réussit si bien », juge Cécile Moulard sans emphase. Dans la bouche d’une Yseulys Costes férue de superlatifs, cela aurait donné : « Elle est hyper-rigolote ! »

 

Émilie Vidaud

 

 

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